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juin 2012 - BIR HAKEIM – 70 ans

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ARTICLES DE PRESSEUn de Bir Hakeim, par Pierre GossetCe témoignage du médecin-lieutenant Pierre Gosset sur Léon Bouvier (1923-2005) est paru d<strong>ans</strong> le n° 31 de France-Orient,en novembre 1943.Il y a deux pieds de neige d<strong>ans</strong> les rues de Lwow. Au coin de laplace, un gosse de quinze <strong>ans</strong> grelotte, un paquet de journauxsous le bras. Il n’a guère vendu beaucoup de Pravda ni beaucoupde Izvestia, car il ne parle pas un mot de russe, mais, au fond desa poche, il a la précieuse carte rouge du travailleur, lui donnant,en territoire soviétique, droit à se vêtir, se nourrir, se loger, tousles droits de l’être utile à la communauté.Ce gosse, qui fut chassé de Varsovie par les bombardements deseptembre et qui fut refoulé par les Roumains à la frontière del’Ukraine, je l’ai devant moi aujourd’hui, il porte sur sa poitrine lacroix de la Libération et la croix de guerre que lui a décernées legénéral de Gaulle. Il les a conquises héroïquement à Bir Hakeim,et une manche vide pend le long de sa vareuse.D’une voix posée, en courtes phrases, il me raconte par quellesvoies étonnantes le petit vendeur français de journaux de Lwows’est trouvé sur le champ de bataille libyen...*En septembre 1939, le petit Bouvier se trouvait avec son père àVarsovie. Trois semaines plus tard, il est orphelin, son père est tuépar une bombe allemande. L’adolescent prend place d<strong>ans</strong> lalamentable cohorte des civils qui fuient l’envahisseur. Ils se dirigentvers la Roumanie. Ils sont sauvés ! Non. Impitoyablement, lessoldats roumains les refoulent d<strong>ans</strong> la zone polonaise occupéepar la Russie.Pendant huit mois, Bouvier va subsister péniblement. Il n’y a pasde place pour les bouches inutiles. Chaque matin, il va chercherle paquet de journaux à vendre, mais il ne perd jamais l’espoir derejoindre la France.Et c’est en mai 1940, au moment où l’enfer s’abat sur notre pays,qu’on tolère le passage de la Roumanie et le séjour à Bucarest.Lorsqu’il y arrive, c’est pour entrer à l’hôpital. L’hiver polonais esttrop dur pour lui.Ému par le jeune garçon, le consul de France Moeneclay 1 s’intéresseà lui, le choie, le réconforte. Un jour, il doit lui apprendre ladéfaite et l’armistice honteux.D<strong>ans</strong> les rues de Bucarest, les uniformes allemands apparaissent,chaque jour plus nombreux. La Roumanie cesse d’être un Étatsouverain.Bouvier s’inquiète bientôt de ne plus voir son protecteur. Il serend au consulat et s’informe. On lui donne une réponse vague :« Le consul est absent pour un long voyage. » Mais encore, il veutsavoir. Alors on lui confie à mi-voix : « Il a rejoint la France Libre. »– La France Libre ? Qu’est-ce-que c’est que cela ?– Vous ne savez-pas ! Il y a trois semaines, à Londres, un général dechez nous, le général de Gaulle, a appelé au micro tous les Françaisqui, comme lui, n’acceptaient pas l’armistice.Ces quelques mots suffisent pour enflammer notre jeuneenthousiasmé. Bouvier rejoindra les forces du général de Gaullequi l’appelle. Les derniers Français qui sont là se feront complicesde son projet : les représentants britanniques, gagnés à sa cause,lui obtiendront de passer par la Turquie pour rejoindre la Syrie etVichy. Ce n’est pas exactement son projet. Dès qu’il est à Ankara,il se rend chez le consul de Grande-Bretagne et le supplie de luipermettre de rejoindre les FFL 2 d’Égypte.Il plaide avec une ardeur si généreuse qu’on ne peut lui résister,il traverse la Palestine et arrive au Caire.Il a seize <strong>ans</strong> tout ronds. Tout juste l’âge auquel on dit, avec unevoix grave, pas trop bien assurée : «J’ai18<strong>ans</strong>», lorsqu’on veuts’engager.Mais l’entraînement est rude, très rude, d<strong>ans</strong> l’infanterie coloniale.Au bout de quelques semaines, les officiers remarquent la jeunerecrue qui peine s<strong>ans</strong> se plaindre. Un jour, Kœnig 3 l’appelle :« Toi, mon bonhomme, tu vas me dire ton âge, et s<strong>ans</strong> mentir cettefois-ci. »Bouvier baisse la tête et avoue.«Bon, conclut Kœnig. Le meilleur service que tu peux rendre en cemoment à ton pays est de continuer tes études. Tu vas aller faire taphilo au lycée du Caire. C’est un ordre. Tu peux rompre. »Rageur, mais soumis, le vendeur de journaux redevient lycéen.Ce n’est pas simple, lorsqu’on a du sang. Des semaines passent.Approchent les examens. Coup de tonnerre : l’affaire de Syrie sedéclenche.En deux heures, en civil, Bouvier se sauve du lycée. Il quittel’Égypte, traverse toute la Palestine et arrive à Damas, rien moinsque rassuré, mais décidé à se présenter pourtant au terribleKœnig.Le général lève les bras au ciel, mais se laisse émouvoir à moitié.Pourtant, la recrue est trop jeune encore pour se battre. Bouvierfera de l’occupation, puis servira d’interprète auprès de lacommission franco-britannique.Ainsi s’amorce l’hiver 1941. Des bruits courent d<strong>ans</strong> les étatsmajors.Bientôt une nouvelle se précise, puis les préparatifs sefont au grand jour : la brigade de Kœnig part pour l’Égypte où lasituation empire.Bouvier demande, pour la troisième fois, à être reçu par le généralKœnig. Il lui présente une requête.«Non, lui répond le général, tu es trop jeune. Rien à faire. Je net’accorde aucune autorisation et ne t’emmène pas. Mais si ça t’intéressede le savoir, nos camions passent demain à six heures sur laroute au sud de Damas. »Six heures et quart... Bouvier roule vers l’Égypte, juché sur uncamion de la colonne. Les scribes se débrouilleront entre eux.Trois mois plus tard, à Halfaya, en pleine bataille, un avis demutation officiel arrivera, précisant la situation irrégulière ducaporal Bouvier.1Pierre Moeneclay (1899-1981), engagé d<strong>ans</strong> les Forces françaises libres en Égypte le 17 octobre 1940 (NDLR).2Les Forces françaises libres (NDLR).3Le commandant Pierre de Chevigné, selon le Dictionnaire des compagnons de la Libération (Elytis, 2010), p. 161 (NDLR).Juin <strong>2012</strong> • N° 44 l 47

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