MÉMOIRESavec ma courroie, je n’ai pas vu ces gens-là. Quand il a été questionde redémarrer le camion, bien sûr il n’est pas reparti. Les hommesvalides ont poussé, y compris le capitaine Simon, et le moteur aredémarré. On a continué notre route pendant un certain temps eton voyait au loin le point de ralliement, il y avait trois feux. Mais ily avait trois barrages de mitrailleuses constants à passer, c’étaitvraiment des rub<strong>ans</strong> de balles traceuses, il fallait passer ded<strong>ans</strong>, onn’avait pas le choix. On a eu de la chance de tous passer malgré desimpacts d<strong>ans</strong> le bas de caisse et des blessés qui ont été à nouveautouchés. On a eu une chance extraordinaire.On était parvenu ainsi au point de ralliement où nous attendaientdes ambulances anglaises, françaises et des camions. C’était unpoint de ralliement pour nous aider une fois sortis à évacuer le plusrapidement vers l’arrière.Quand je suis arrivé, il faisait presque jour. On a eu de la chance carun brouillard s’est levé sur le désert, ce qui nous a beaucoup servi,nous empêchant d’être repérés par les avions. Le docteur Durbachs’est vite occupé de ses blessés. Il y en avait une vingtaine d<strong>ans</strong> lecamion, les uns sur les autres, des pauvres gars qui avaient crié, quim’engueulaient parce que je les secouais. Mais ce n’était pas de mafaute, je ne pouvais rien faire d’autre. Quand j’ai fait ensuitel’inspection du camion, j’ai constaté qu’il y avait une rafale de tirautomatique entre les pédales de frein. J’avais eu mon tirailleur tuésur le marchepied, le support du rétroviseur côté droit était coupépar un éclat, une balle avait traversé le pare-brise juste au-dessus dema tête. Le plus fort de tout c’est que d<strong>ans</strong> la roue de secours logéederrière mon siège, entre la caisse et la cabine du camion, il y avaitun anti-char qui était non explosé ! On a eu une chance incroyable !J’ai toujours pensé et je pense toujours que le pauvre tirailleur estmort à ma place. Placé comme il était, debout sur le marchepied,moi assis, l’impact qui l’a tué était à hauteur de ma tête. S<strong>ans</strong> levouloir il m’a fait écran.StS : D<strong>ans</strong> quel état sort la 101 e compagnie auto de cette bataille deBir Hakeim ?RD : Au moment de la sortie, l’échelon arrière, le génie, l’intendanceainsi que la 101 e ne sont plus à El Adem. Tous ont été regroupésd<strong>ans</strong> la hâte à Bir Bu Maafes, car il s’est passé une choseextraordinaire la veille de la sortie. En effet le lieutenant Renault,parti inspecter l’état des pistes d<strong>ans</strong> la région de Bir Hakeim, estrevenu rapidement prévenir de l’imminence d’une attaqueallemande après avoir vu des chars allemands. Personne ne lecroyait, y compris le commandant Dulau. C’était pourtant vrai !L’alerte générale a alors été donnée et tout l’échelon arrière a eu letemps de mettre en route les camions et de là, partir d<strong>ans</strong> les plusbrefs délais. Grâce au lieutenant Renault, ils ont échappé à unedestruction totale. Après Bir Hakeim, je ne sais pas combien il estressorti exactement de camions, mais chez les conducteurs, il y enavait la moitié qui étaient restés, prisonniers ou tués.StS : Êtes-vous conscients à l’époque du retentissement de cettebataille de Bir Hakeim ?RD : Non, on ne s’est pas rendu compte tout de suite. D’abord onavait été très secoué. Nous avions perdu beaucoup de monde. Surles 3 <strong>70</strong>0 hommes de Bir Hakeim, on en a perdu environ 800 (blessés,prisonniers ou morts). Quand on est sorti de ce guêpier, on n’étaitpas anéanti. C’était pourtant le but de Rommel d’anéantir ce nid deFrançais Libres qui gênait. Le retentissement de tout cela, on l’a suaprès. Sur le moment on n’était pas informé, le général Kœnig avaitautre chose à penser. Par exemple, nous n’avons pas été informé dumessage du général de Gaulle au général Kœnig : « Sachez et dites àvos troupes que toute la France vous regarde et que vous êtes sonorgueil ». On a su tout cela par la suite. On s’en est rendu comptepar l’attitude des Anglais qui a toujours été très bonne envers nous,d’ailleurs, on était devenu un peu des héros. Cette brigade françaiselibre a tout de même permis le rétablissement des lignes dedéfenses anglaises sur El Adem. S<strong>ans</strong> cette résistance de BirHakeim, je pense que les troupes de l’Axe seraient arrivées au canalde Suez. Cela a permis aux Anglais d’amener de nouvelles troupeset de refaire une ligne de défense sur El Alamein.Puis il y a eu des notes de service qui nous ont expliqué que cen’était pas une défaite mais bien une victoire. Car beaucoupaffirmaient et considéraient que nous nous étions sauvés. Mais onne s’est pas sauvé, on a reçu l’ordre de sortir. On n’a pas fuil’ennemi, on l’a combattu les armes à la main. Et d’ailleurs il n’yavait pas d’autre solution, sinon on aurait été complètementanéanti, peut-être même fusillé par les Allemands. On s’est renducompte que l’on avait fait une grande chose et c’est la gloire de la1 re BFL. C’est toujours la gloire actuelle des anciens de Bir Hakeim.StS : J’ai l’impression qu’aujourd’hui coexistent plusieurs« familles » au sein des anciens de la 1 re BFL… Il y a ceux qui étaientà Bir Hakeim, ceux qui n’y étaient pas, le 2 e bataillon de Légion quiy était, et le premier qui n’y était pas…RD : Je ne crois pas que cela ait porté de conséquences, en tout caspas chez nous. D’ailleurs on n’en parlait plus, on en parlait peutêtreà la Légion. On avait fait quelque chose, on se disait untel n’estpas revenu, untel était prisonnier… cela s’arrêtait là. C’est plutôt dupoint de vue des récompenses que j’ai été un peu frustré. J’ai reçuune citation à Bir Hakeim : « Jeune conducteur, ayant toujours faitpreuve de belles qualités militaires… volontaire pour un convoi d<strong>ans</strong>la position de Bir Hakeim d<strong>ans</strong> la nuit du 7 <strong>juin</strong> 42 ; au cours de lasortie a réparé sous les tirs des armes ennemies son camion en panneet a réussi à le ramener d<strong>ans</strong> les lignes amies ».Mais on a juste oublié de dire qu’il y avait une vingtaine depersonnes ded<strong>ans</strong> ! C’est ce qui comptait ! Le camion, peu importe !Il a été mis à la ferraille ! Quand on m’a remis cette citation, je n’y aipas prêté tellement attention. J’avais la croix de guerre avec étoilesd’argent, j’étais content. Mais j’aurais dû demander à l’époque unerectification à cette citation. Parce que j’ai des preuves formellesqu’il y avait des gens d<strong>ans</strong> le camion, des gens à qui je ne peux pasdire que je leur ai sauvé la vie, mais la captivité, cela c’est sûr.D’ailleurs le général Simon m’a souvent dit par la suite : «Duval,c’estgrâceàvoussijesuislà». Et je lui répondais invariablement :« Vous savez mon général, on ne peut pas savoir ! Parce que vousseriez peut-être sorti d’une autre façon »…Le parcours de René Duval suit ensuite celui de la 1 re DFL : combatsd’El Himmeimat, campagne de Tunisie, débarquement à Naples,Monte Cassino, Italie du Nord, débarquement à Cavalaire, Lyon,campagne d’Alsace et campagne des Alpes jusqu’à la Victoire. Lebrigadier René Duval est démobilisé le 30 <strong>juin</strong> 1945 après une épopéed<strong>ans</strong> les rangs de la France Libre qui aura duré cinq années.En 2000, il publie un livre de souvenirs sous le titre «Mémoiresd’unvolontaire de la France Libre, 1940-1945 ». Aujourd’hui René Duvalvit paisiblement d<strong>ans</strong> la Manche, à Gouville-sur-Mer, à deux pas dulieu de son évasion de <strong>juin</strong> 1940.Jeunes volontaires de Coutainville (coll. particulière).64 l Juin <strong>2012</strong> • N° 44
MÉMOIRESMon dernier jour et ma sortie de l’enferde Bir Hakeim (10 - 11 <strong>juin</strong> 1942)par Lucien BourderiouxMaréchal des logis à la compagnie de QG n° 51 lors de la bataille de Bir Hakeim, Lucien Bourderioux (1918-2011) a rédigéce témoignage en 1985.Avant que ma mémoire ne défaille, je vais consigner, d<strong>ans</strong> les pagesqui suivent, une petite partie du souvenir de la plus fantastiquebataille des Forces françaises libres (FFL) du général de Gaulle, àlaquelle j’ai participé, pendant le conflit mondial 39-45, il y amaintenant quarante-trois <strong>ans</strong>.Je dédie ces souvenirs à mes descendants, mon fils, mes petits-fils,en souhaitant, de toute mon âme, qu’ils ne connaissent jamais detelles épreuves. J’aimerais qu’ils sachent toujours agir pourconserver et tr<strong>ans</strong>mettre intact ce précieux patrimoine de libertéque le sacrifice d’une petite minorité d’hommes a su leur préserver.Que les souffrances physiques et morales, la peur qui m’a souventpris aux entrailles ne deviennent jamais un vain sacrifice !Voici maintenant le récit de mon dernier jour et ma sortie de l’enferde Bir Hacheim…*10 <strong>juin</strong> 1942 - Bir Hacheim ! Une citerne (Bir en arabe signifie puits)marquée par un semblant de fortin, utilisée en relais par lescaravanes senoussies (nomades libyens) sillonnant le désert duSahara en temps de paix. Un coin perdu d<strong>ans</strong> le grand désert deLibye, à une centaine de kilomètres au sud-ouest de Tobrouk.C’est la position retranchée de l’extrême sud du front anglais quiremonte jusqu’à la Méditerranée où la 8 e armée britannique essaiede contenir l’Afrikakorps du maréchal allemand Rommel 1 sur lechemin de l’Égypte et du Moyen-Orient.12 km² de sable et de rocailles, presque plats, où se sont organisés età moitié enterrés les deux mille cinq cents hommes de l’échelon Ade la 1 re brigade française libre depuis février 1942. Effectif renforcéprogressivement pour atteindre trois mille six cents à la fin mai.J’appartiens à cette brigade depuis mon ralliement aux FFL enjanvier 1941. J’ai vingt-quatre <strong>ans</strong>. Je suis sergent, agent de liaisonau bureau opérationnel de l’état-major, secrétaire-chef et, endéplacements, conducteur du véhicule du chef d’état-major de labrigade, le commandant Masson.La brigade est sous les ordres du général Kœnig.Depuis dix jours, nous subissons les assauts répétés, de plus en plusviolents, de trois divisions (deux allemandes, une italienne, trenteseptmille hommes environ) qui nous encerclent totalement depuisle 2 <strong>juin</strong>. Pilonnés s<strong>ans</strong> relâche par l’aviation et l’artillerie lourde,subissant tout le jour une mitraille intense de roquettes, de mortiers,de canons légers et d’armes automatiques, je me suis très souventdemandé si je sortirai vivant de cette fournaise.Chaque minute qui passe m’étonne d’être toujours entier. Ce 10 <strong>juin</strong>1942 devait être le dernier jour de cet horrible cauchemar.Après une nuit épuisante (comme les dix précédentes d’ailleurs)passée à dégager du sable et des pierres qui avaient envahi la veilleles trous de protection des véhicules encore en état de rouler, afinqu’ils soient prêts, le cas échéant, à un départ rapide, à remplir descentaines de sacs de sable pour remplacer ceux des parapets destranchées, des trous individuels, des emplacements de combatd’armes lourdes, etc., que les éclats d’obus, de bombes et les ballesavaient crevés et vidés d<strong>ans</strong> la journée, à attendre son tour auxpoints de distribution des ultimes munitions, des derniers quartsd’eau de la réserve, à enterrer les morts, toutes tâches impossibles àVue aérienne de la position (musée de l’ordre de la Libération).Les restes du fortin de Bir Hakeim (ECPAD).1Rommel a été promu au grade de generalfelmarschall le 22 <strong>juin</strong> 1942, donc après Bir Hakeim (NDLR).Juin <strong>2012</strong> • N° 44 l 65
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SommaireIntroductionLe mot du prés
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HISTOIRETémoigner de Bir HakeimLab
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HISTOIREsuccessifs de Rommel, les b
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HISTOIRENote sur les prisonniers de
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CARNETSExtraits des carnets de rout
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CARNETSdans lequel on finit par y r
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CARNETStous deux s’abattent en un
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