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juin 2012 - BIR HAKEIM – 70 ans

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MÉMOIRESCette dernière frayeur m’a laissé tout tremblant. J’ai toujours eu lahantise d’être fait prisonnier, cette idée m’a obsédé pendant toutce suspense. Nous repartons. Beauroir n’en peut plus, je ne vauxguère mieux.Le jour se lève maintenant et toujours peu d’espoir, d<strong>ans</strong> cebrouillard qui limite l’horizon à quelques mètres. Nous marchonsde plus en plus lentement quand, soudain, nous entendons, derrièrenous, un véhicule qui s’approche. Nous faisons un écart sur lagauche, nous ne trouvons pas de cache. Le bruit est à présent toutproche, s<strong>ans</strong> que nous puissions, d<strong>ans</strong> le ouaté de la brume, nousrendre compte s’il vient de droite ou de gauche. Nous nous plaquonsvite au sol, en souhaitant que ce ne soit pas un ennemi.Quelques secondes d’intense angoisse quand, brusquement,émerge de l’écran nuageux, à quatre mètres à peine, un pick-up que,de suite, je reconnais anglais.Il est chargé à bloc de matériel, sur lequel sont juchés quatre soldats.Je reconnais, très vite au volant, le lieutenant Ollivier, commandantla compagnie de QG à laquelle nous appartenons, Beauroir et moi.Deux Cambodgiens sont à ses côtés, le fusil braqué sur nous.Nous sautons et crions de joie.Le pick-up s’arrête. Je parlemente avec Ollivier qui ne nousreconnaît pas. Il faut croire que nous sommes en piteux état !Malgré la surcharge évidente, il nous invite à grimper et nousaccrocher sur le chargement avec les autres. Ouf ! Nous ne sommespas encore tirés d’affaire mais l’espoir renaît.Ollivier nous explique qu’après bien des péripéties, lui aussi a raté lepoint de ralliement, perdu la colonne et avoue qu’il est un peu égaréd<strong>ans</strong> cette purée de pois. Il estime, toutefois, que nous devons être àune vingtaine de kilomètres au sud-ouest de Bir Hacheim et que,maintenant, il va faire route plein est, direction l’Égypte, en espérantne pas faire de mauvaises rencontres. Il nous apprend que le camionqui brûlait, près de la sortie, était celui de Pigois et Fauvart.Ma gorge se serre à la pensée de ce qui a pu arriver à mes deux copains.Personne, d<strong>ans</strong> le pick-up, ne possède une goutte d’eau et nousdevons rester sur notre soif. Je me contente de lécher mon casque,sur lequel il y a une petite pellicule de condensation. Ce contacthumide sur la langue me revigore un peu. Beauroir en fait autant.Ollivier nous remet à chacun un fusil, de ceux récupérés sur lesmorts de la compagnie, avec quelques cartouches, puis nousgrimpons nous installer sur le chargement.Je m’accroche à un cordage et cale mes pieds comme je peux sur lacargaison. Nous partons à travers le brouillard, l’allure est assez lenteet le moteur semble souffrir. Espérons qu’il tiendra le coup ! Lescahots sont nombreux et chaque secousse m’oblige à fournir unsérieux effort pour rester accroché à ma place. La position est plutôtinconfortable.Il y a maintenant près d’une heure que nous roulons et jecommence à être épuisé. Je me demande si je vais pouvoir résisterlongtemps. Mes doigts sont à vif sur la corde et chaque ballantdevient un supplice.Le jour est levé, le brouillard, toujours très dense, est notreprovidentiel sauveur pour le moment car il nous soustrait auxregards ennemis, s’il y en a. Je suis tr<strong>ans</strong>i de froid, mes membress’engourdissent, je m’accroche avec l’énergie du désespoir, j’ai peurde lâcher prise, ma soif est toujours intolérable, mon supplice n’enfinit pas.Une bonne demi-heure, qui m’a paru un siècle, s’écoule encoreavec toujours la même angoisse et les mêmes tortures.Brusquement, le brouillard se dissipe. En quelques minutes, lesoleil apparaît. Bientôt, ses rayons matinaux déjà chauds meréchauffent. Il me semble que mes membres deviennent moinsraides, je reprends courage.Maintenant, notre vue porte jusqu’à l’horizon mais, avec cettevisibilité, d’autres dangers vont surgir. D’instinct, nous scrutons ledésert d<strong>ans</strong> toutes les directions.Soudain, j’aperçois, au nord, une traînée de poussière ocre quidécèle, par son importance, une circulation de plusieurs véhicules.Je hurle, à l’attention d’Ollivier, ce que j’ai vu. Il arrête le pick-up,descend de la cabine et inspecte à la jumelle, d<strong>ans</strong> la direction queje lui indique. Du sol, il ne distingue rien. Il grimpe près de moi et,après quelques secondes d’observation, nous dit : « Il semble qu’il yait deux camions précédés d’un plus petit véhicule, roulant aussi versl’est, mais il faut nous rapprocher pour mieux voir leurs gueules ».J’ai profité de ce répit, s<strong>ans</strong> descendre, pour protéger mes mainsavec des lambeaux de ma chemise dont il ne reste plus grand chose.Nous repartons, assez lentement, pour ne pas soulever trop depoussière révélatrice et nous obliquons légèrement vers le nord.Ollivier a passé le volant à un Cambodgien. Il continue d’observeren roulant. Les cahots sont moins violents car le chauffeur voit où ilroule et louvoie pour les éviter. Chacun a son fusil armé enbandoulière. J’oublie mes malheurs personnels, mon attentioncomplètement retenue par la présence de cet éventuel danger. Nousnous sommes bien rapprochés et, s<strong>ans</strong> jumelles, je distingue lestrois véhicules.Le pick-up accélère, Ollivier sort la tête à la portière et nous crie :« Ce sont des Anglais ! » Une explosion de joie se manifestebruyamment chez tous les occupants du pick-up. Nous roulonsmaintenant assez vite, et sommes à un petit kilomètre de nos amis.Je me sens des forces nouvelles. Est-ce bien cette fois le vrai salut ?Le moteur commence à tousser de façon inquiétante. Nous sommesencore à 500 mètres environ des trois véhicules : un camion de laLégion, un de l’artillerie plein de soldats et un pick-up destr<strong>ans</strong>missions.Encore deux ou trois hoquets du moteur et nous voilà arrêtés.Ollivier bondit de sa cabine, rouge comme une tomate en criant :« Merde de merde, nous voilà à sec à présent ». Je saute à terre, tire uncoup de fusil en l’air, pendant que tout le monde agite les bras àl’attention de nos amis.Les deux camions se sont arrêtés. Le 4x4 des tr<strong>ans</strong>missions entameun large crochet à droite et vient vers nous. Le conducteur est unsous-lieutenant que je reconnais très vite. C’est Desnoyers, un typede Chelles, presqu’un voisin d<strong>ans</strong> le civil. Lui ne me reconnaît pas.Je lui montre mon pay-book (carnet de solde d<strong>ans</strong> l’armée anglaise)pour le convaincre. Je quémande un peu d’eau. Ils sont huit d<strong>ans</strong>cette voiture et personne n’en possède une seule goutte. Desnoyersm’explique qu’ils ont été obligés de pisser à tour de rôle d<strong>ans</strong> leurradiateur qui manquait dangereusement d’eau. Leur radiofonctionne et ils ont établi, il y a peu de temps, un contact avec uneunité anglaise assez proche qui se replie aussi vers l’est. Ces Anglaisont signalé que l’échelon B de notre brigade, en retraite lui-aussi, setrouvait, aux dernières nouvelles, à une petite centaine dekilomètres au nord-est.S’il n’a pas d’eau, Desnoyers a une bonne réserve d’essence. Nousremplissons la moitié de notre réservoir et nous voici repartis.Nous nous installons en queue de ce petit convoi, après avoir perçules cris d’enthousiasme et de joie des occupants des deux camionsànotreintention.J’ai repris ma place inconfortable. Mes muscles se sont décontractéset reposés pendant cet arrêt. Mes doigts, bien que j’aie renforcé leurprotection, recommencent bien vite à me faire souffrir.Il est environ 9 heures du matin et le soleil darde déjà des rayonsbrûlants. Ma langue me paraît gonflée d<strong>ans</strong> ma bouche sèche àJuin <strong>2012</strong> • N° 44 l 77

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