MÉMOIRESTout le monde s’affaire, je fais distribuer un peu de thé qui reste.À 22 heures, au moment du départ, la quatrième pièce nous rejointenfin, conduite par son chef de pièce Neveu, un Parisien toujoursde bonne humeur. Il prend sa place d<strong>ans</strong> la colonne. La nuit estnoire, c’est la nouvelle lune. Je marche à pied devant la colonne, laboussole à la main. Les chefs de voiture sont à pied pour guider lestracteurs, éviter les trous d’obus et les tranchées.Il s’agit de gagner la porte sud, point de rendez-vous. Vers 23 heuresnous arrivons près de la position de la 1 re batterie qui estprobablement devant. Je vais sur la droite des véhicules durégiment.C’estla2 e batterie. Le capitaine Chavanac est en tête assis sur l’ailed’un tracteur. «Çavamonfils»me dit-il. « Tu sais où il faut aller ? »« Oui. » « Bon, alors je suis ta colonne. »Quelques minutes plus tard, je tombe sur une colonne arrêtée oùje retrouve le capitaine Morlon, le capitaine Bricogne et lecommandant du régiment Laurent-Champrosay.« Mes respects mon commandant, je vous amène la 4 e .La2 e suit et la3 e est derrière. »Parfait, il faut attendre que la colonne démarre. Et c’est l’attente.Les hommes s’impatientent. Tout est calme mais si les Boches ontl’idée d’envoyer une fusée éclairante, ce serait du joli.Le «patron»discute avec le lieutenant Devé des Brenn-Carriers 1 quiest perdu d<strong>ans</strong> le noir et se dispose à repartir vers le nord. Lecommandant le conduit vers la porte sud. Ils reviennent et lesBrenn-Carriers démarrent.Il est plus de minuit. Vers 1 heure, les fantassins franchissent lapasse déminée et s’élancent, appuyés par les Brenn.Les Boches se réveillent – Fusées – Tout le monde stoppe. Ouf ! ilsn’ont rien vu. Les corps-à-corps commencent. Les mitrailleusestirent. Le commandant Champrosay s’énerve et prend la tête de lacolonne des véhicules devant les ambulances. La colonne s’ébranle.Des véhicules sont touchés et flambent. Il va falloir défiler avec nostracteurs devant ces brasiers : quelles cibles pour lesmitrailleuses boches.Il est 2 heures du matin. Ma batterie arrive près de la porte, jemonte d<strong>ans</strong> le premier tracteur, laisse filer les véhicules qui sontdevant, et commande « en avant, à toute vitesse ».Malgré les trous, le tracteur bondit, les balles sifflent, les ballestraceuses nous entourent. C’est une vision digne de Dante. LesMalgaches sont couchés au fond du véhicule.À 100 mètres à peine de la porte, le tracteur est traversé par unerafale. Le chauffeur est touché aux yeux, moi à la jambe. Le moteurn’a rien. Le chauffeur n’y voit plus. Je lui dis d’appuyer surl’accélérateur, je me soulève sur ma jambe valide et j’attrape levolant de la main gauche.Plus vite…J’aperçois une mitrailleuse à droite, les balles sifflent, j’oblique àgauche, devant nous un canon de Bofors des fusiliers marins.Plus vite…J’essaye de le rejoindre. Là, doucement… Le canon va abriter lemoteur. À gauche, une voiture flambe… plus vite.Ouf… la première ligne ennemie est franchie, le barrage de feu estpassé. Je fais arrêter. Deux véhicules de la batterie sont derrière, lecamion avec le serre-file ne suit pas. Il faut repartir, je prends laplace du chauffeur qui passe derrière. Ma jambe droite est lourde,je ne peux freiner que du pied gauche, je prends le cap 223°. Je repèreune étoile et je fonce. Le chef de pièce surveille les compteurs, unmile, deux miles, nous rattrapons le pick-up radio du capitaine.Quatre miles, six miles… Ce doit être là.J’arrête. Des véhicules perdus tournent en rond, je les arrête. Lebrouillard de l’aube est intense.On cherche un peu, un feu rouge clignotant, nous y sommes, c’estla brigade anglaise.Je retrouve le chef d’état-major du général Kœnig, le commandantMasson, quelques chars britanniques, des ambulances.L’auto-mitrailleur observatoire de la 3 e batterie est là avec l’aspirantBoris effondré. Le capitaine Gufflet a été tué d’une balle en pleincœur à 100 mètres de la sortie.Je demande un paquet de p<strong>ans</strong>ements. Le chef d’état-major me faitdescendre et m’oblige à monter d<strong>ans</strong> une ambulance. J’obéis àcontrecœur. Je confie le tracteur au chef de pièce et je lui remets laconduite de la colonne avec ma boussole.Le jour pointe. Il y a un épais brouillard. Je lui donne les ordres :nouveau cap plein sud pendant vingt kilomètres, puis plein estpour retrouver les lignes alliées.On me hisse d<strong>ans</strong> l’ambulance, on m’enlève mon pistolet. On medonneàboire.Nous sommes le 11 <strong>juin</strong>. C’est mon anniversaire, j’ai vingt-huit<strong>ans</strong>… mon plus bel anniversaire. Je suis vivant, j’ai sorti de BirHacheim un peloton de pièces et un canon et j’ai sûrement gagnéune étoile ou une palme.Jean Mathieu Boris, ici en 1944 (coll. particulière).1L’orthographe exacte de ce véhicule britannique est « Bren Carrier » (NDLR).80 l Juin <strong>2012</strong> • N° 44
MÉMOIRESBritanniques et Américainsd<strong>ans</strong> la bataille de Bir HakeimLes artilleurs britanniques de la 43 e batterieAux côtés des quelque 3 <strong>70</strong>0 Français de Bir Hakeim, il convient designaler les hommes de la liaison britannique et les artilleurs de laD Troop de la 43 Battery du 11th City of London Yeomanry LightAnti-Aircraft Regiment RA –les« Rough Riders » –, commandée parle lieutenant Beauchamp 1 .Parmi ces artilleurs figurait le sergent Peter Coomber. Engagé d<strong>ans</strong>les «COLY»en 1938, il prit part à la campagne de France au sein dela 43 e batterie, qui appartenait alors à la 1re division blindée britanniqueen qualité de « Light Anti-Aircraft Battery », avant d’embarquerpour l’Égypte en octobre 1941.La batterie intégra la 8 e armée britannique peu avant Noël et rejoignitle désert avec des canons Bofors. À la mi-mai 1942, la D Troop futaffectée sur la position – ou «box»– de Bir Hakeim, afin de renforcerles défenses antiaériennes des Forces françaises libres, dont lecommandement britannique jugeait la dotation insuffisante.Selon le témoignage de Peter Coomber, « Bir Hakeim était la dernièred’une série de positions de défense au sud de Tobrouk, que l’arméeallemande devait vaincre pour avancer plus à l’est. De la fin maijusqu’au 2 <strong>juin</strong>, la vie d<strong>ans</strong> le «box»devint très désagréable, voireinvivable, à cause des bombardements quotidiens et des feux demortier, ainsi que des raids aériens des Stukas, deux fois par jour, etdu mitraillage régulier des chasseurs allemands ; s<strong>ans</strong> compter queles munitions venaient à manquer et que l’eau se faisait rare. Le 11 <strong>juin</strong>,il fut décidé d’évacuer le «box»à la nuit tombée, et ce en deuxgroupes.Heureusement, la « D Troop » faisait partie du premier groupe, carceux qui étaient restés derrière furent malheureusement prisd’assaut.Il y avait plus de 3 500 soldats d<strong>ans</strong> le « box », mais seule la moitiéparvint à s’en sortir. Il était difficile d’avancer à cause des véhiculesen feu et des coups de fusil, et l’un des membres de la troupe futmortellement blessé. La troupe parvint finalement à se mettre àcouvert et fut tr<strong>ans</strong>férée vers un camp de base en Égypte.D’autres troupes de la 43 e batterie étaient aussi en opérations plus aunord, d’où elles se retirèrent pour rejoindre Tobrouk ; certaines d’entreelles retournèrent également à leur camp de base. Sur la totalité desmembres de la batterie, seuls trente-six réussirent à rentrer au campde base. »L’American Field Service Free French Forces(AFS FFF)En 1940, Alan Rutherfurd Stuyvesant (1905-1954), un jeuneAméricain, diplômé de Princeton, s’enrôlait d<strong>ans</strong> l’American FieldService (AFS) avec son frère Lewis (1903-1944).SelonunarticledeThe Daily Princetonian paru à l’été 1942, il désiraitalors « se rendre utile d’une manière ou d’une autre contre les forcesdel’Axe»en conduisant « une ambulance en France. Avant qu’il eûtpu être équipé et envoyé à l’étranger, l’armistice fut signé et, en pleinmilieu de l’océan, il reçut la nouvelle qu’il n’aurait pas la possibilitéde servir la cause. Lui et son frère Lewis débarquèrent à Lisbonne etretournèrent aux États-Unis.À l’automne 1940, l’American Field Service reçut une demande deconducteurs volontaires de la part de l’équipe anglaise, l’Hadfield-Spears Field Hospital, qui opérait avec les Français Combattants 2 auMoyen-Orient. Seuls quelques hommes étaient nécessaires.Stuyvesant fit partie du groupe de dix-sept. Il servit tout au long dela campagne des Français Combattants en Syrie, l’été dernier (1941).Au terme de cette campagne, les Américains n’avaient plus d’utilitéd<strong>ans</strong> l’unité Hadfield-Spears ; c’est pourquoi Stuyvesant et quatreautres Américains offrirent leurs services aux Français Combattantscomme conducteurs d’ambulance. Les Français acceptèrent et l’AFSenvoya des ambulances pour compléter les quelques-unes que lesFrançais avaient déjà. C’est en grande partie grâce au travail queStuyvesant et ses quelques camarades accomplirent l’année dernière,durant la campagne de Syrie, qu’on demanda au Field Service defournir les unités d’ambulance à l’armée britannique au Moyen-Orient. La majorité des volontaires qui s’enrôlent actuellement etdepuis ces huit derniers mois servent d<strong>ans</strong> l’armée britannique, unpetit groupe d’une section (environ vingt ambulances et vingt-cinqconducteurs) ayant été rattaché aux Forces françaises libres 3 .»Selon George Rock, à la fin de mai 1941 quatre Américains de l’AFS,Alan et Lewis Stuyvesant, Charles Norman Jefferys et LeClair Smith,demandèrent à servir directement avec les Français Libres. Ilsquittèrent l’ambulance Hadfield-Spears le 1 er juillet suivant, pourrejoindre à titre individuel le groupe sanitaire divisionnaire de la1 re division française libre à Damas 4 . Alan Stuyvesant prit lecommandement du groupe, qui s’élargit et devint l’American FieldService Free French Forces (AFS FFF).1Le général Kœnig, d<strong>ans</strong> Bir Hakeim, 10 <strong>juin</strong> 1942, paru aux Éditions Robert Laffont en 1971, signale de manière erronée, p. 207 et 212, quatre-vingt-quatreartilleurs de la 43 Company of London Yeomanry Light Anti-Aircraft Battery of Royal Artillery (COLYLAA Battery RA), équipée de six canons Boforsde 40 mm. « La liste nominative des militaires des Forces françaises libres présents à Bir Hacheim du 27 mai au 11 <strong>juin</strong> 1942 », réalisée au QG de la 1 rebrigade française libre le 22 novembre 1943, enregistre, quant à elle, quatre-vingt-douze artilleurs, sous les ordres du lieutenant A. J. Beachman (sic),etdix-neuf officiers de liaison britannique, comprenant les capitaines F. S. Edmeades (Royal Artillery), C. Lapworth (Royal. Fusilier), A. L. Pitman (RoyalSussex Regt), Fitzgenald (Mecce Corps) et N.T.I.C. Tomkins (missing), de son vrai nom Edward Tomkins (1915-2007), fait prisonnier à la sortie de BirHakeim.2Le 13 juillet 1942, le Comité national français (CNF), présidé par le général de Gaulle, « prenant acte de l’adhésion de tous les groupements qui, àl’intérieur même du pays, participent activement à la résistance », a renommé la France Libre « France Combattante » pour signifier l’union de «laFrance Libre, représentée par les Forces françaises libres, les possessions d’Outre-mer et les Français à l’étranger » et de « la France Captive, qui luttecontre l’envahisseur et l’autorité usurpée d’un pseudo-gouvernement fonctionnant sous le contrôle de l’ennemi ».3« Princeton Graduate Captured by Itali<strong>ans</strong> While Driving for American Field Service », The Daily Princetonian, vol. 67, n° 73, vendredi 7 août 1942, p. 4.4George Rock, « Interim Activities », History of the American Field Service, 1920-1955, p. 60.Juin <strong>2012</strong> • N° 44 l 81
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SommaireIntroductionLe mot du prés
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HISTOIRETémoigner de Bir HakeimLab
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HISTOIREsuccessifs de Rommel, les b
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HISTOIRENote sur les prisonniers de
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CARNETSExtraits des carnets de rout
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CARNETSdans lequel on finit par y r
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CARNETStous deux s’abattent en un
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CARNETSExtraits du journal de Paul
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CARNETSLe physique baisse progressi
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CARNETSau canon ennemi. Le Boche se
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CARNETStête, la tête de la colonn
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CARNETSLe colonel Amilakvari part a
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