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juin 2012 - BIR HAKEIM – 70 ans

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MÉMOIRESTout le monde s’affaire, je fais distribuer un peu de thé qui reste.À 22 heures, au moment du départ, la quatrième pièce nous rejointenfin, conduite par son chef de pièce Neveu, un Parisien toujoursde bonne humeur. Il prend sa place d<strong>ans</strong> la colonne. La nuit estnoire, c’est la nouvelle lune. Je marche à pied devant la colonne, laboussole à la main. Les chefs de voiture sont à pied pour guider lestracteurs, éviter les trous d’obus et les tranchées.Il s’agit de gagner la porte sud, point de rendez-vous. Vers 23 heuresnous arrivons près de la position de la 1 re batterie qui estprobablement devant. Je vais sur la droite des véhicules durégiment.C’estla2 e batterie. Le capitaine Chavanac est en tête assis sur l’ailed’un tracteur. «Çavamonfils»me dit-il. « Tu sais où il faut aller ? »« Oui. » « Bon, alors je suis ta colonne. »Quelques minutes plus tard, je tombe sur une colonne arrêtée oùje retrouve le capitaine Morlon, le capitaine Bricogne et lecommandant du régiment Laurent-Champrosay.« Mes respects mon commandant, je vous amène la 4 e .La2 e suit et la3 e est derrière. »Parfait, il faut attendre que la colonne démarre. Et c’est l’attente.Les hommes s’impatientent. Tout est calme mais si les Boches ontl’idée d’envoyer une fusée éclairante, ce serait du joli.Le «patron»discute avec le lieutenant Devé des Brenn-Carriers 1 quiest perdu d<strong>ans</strong> le noir et se dispose à repartir vers le nord. Lecommandant le conduit vers la porte sud. Ils reviennent et lesBrenn-Carriers démarrent.Il est plus de minuit. Vers 1 heure, les fantassins franchissent lapasse déminée et s’élancent, appuyés par les Brenn.Les Boches se réveillent – Fusées – Tout le monde stoppe. Ouf ! ilsn’ont rien vu. Les corps-à-corps commencent. Les mitrailleusestirent. Le commandant Champrosay s’énerve et prend la tête de lacolonne des véhicules devant les ambulances. La colonne s’ébranle.Des véhicules sont touchés et flambent. Il va falloir défiler avec nostracteurs devant ces brasiers : quelles cibles pour lesmitrailleuses boches.Il est 2 heures du matin. Ma batterie arrive près de la porte, jemonte d<strong>ans</strong> le premier tracteur, laisse filer les véhicules qui sontdevant, et commande « en avant, à toute vitesse ».Malgré les trous, le tracteur bondit, les balles sifflent, les ballestraceuses nous entourent. C’est une vision digne de Dante. LesMalgaches sont couchés au fond du véhicule.À 100 mètres à peine de la porte, le tracteur est traversé par unerafale. Le chauffeur est touché aux yeux, moi à la jambe. Le moteurn’a rien. Le chauffeur n’y voit plus. Je lui dis d’appuyer surl’accélérateur, je me soulève sur ma jambe valide et j’attrape levolant de la main gauche.Plus vite…J’aperçois une mitrailleuse à droite, les balles sifflent, j’oblique àgauche, devant nous un canon de Bofors des fusiliers marins.Plus vite…J’essaye de le rejoindre. Là, doucement… Le canon va abriter lemoteur. À gauche, une voiture flambe… plus vite.Ouf… la première ligne ennemie est franchie, le barrage de feu estpassé. Je fais arrêter. Deux véhicules de la batterie sont derrière, lecamion avec le serre-file ne suit pas. Il faut repartir, je prends laplace du chauffeur qui passe derrière. Ma jambe droite est lourde,je ne peux freiner que du pied gauche, je prends le cap 223°. Je repèreune étoile et je fonce. Le chef de pièce surveille les compteurs, unmile, deux miles, nous rattrapons le pick-up radio du capitaine.Quatre miles, six miles… Ce doit être là.J’arrête. Des véhicules perdus tournent en rond, je les arrête. Lebrouillard de l’aube est intense.On cherche un peu, un feu rouge clignotant, nous y sommes, c’estla brigade anglaise.Je retrouve le chef d’état-major du général Kœnig, le commandantMasson, quelques chars britanniques, des ambulances.L’auto-mitrailleur observatoire de la 3 e batterie est là avec l’aspirantBoris effondré. Le capitaine Gufflet a été tué d’une balle en pleincœur à 100 mètres de la sortie.Je demande un paquet de p<strong>ans</strong>ements. Le chef d’état-major me faitdescendre et m’oblige à monter d<strong>ans</strong> une ambulance. J’obéis àcontrecœur. Je confie le tracteur au chef de pièce et je lui remets laconduite de la colonne avec ma boussole.Le jour pointe. Il y a un épais brouillard. Je lui donne les ordres :nouveau cap plein sud pendant vingt kilomètres, puis plein estpour retrouver les lignes alliées.On me hisse d<strong>ans</strong> l’ambulance, on m’enlève mon pistolet. On medonneàboire.Nous sommes le 11 <strong>juin</strong>. C’est mon anniversaire, j’ai vingt-huit<strong>ans</strong>… mon plus bel anniversaire. Je suis vivant, j’ai sorti de BirHacheim un peloton de pièces et un canon et j’ai sûrement gagnéune étoile ou une palme.Jean Mathieu Boris, ici en 1944 (coll. particulière).1L’orthographe exacte de ce véhicule britannique est « Bren Carrier » (NDLR).80 l Juin <strong>2012</strong> • N° 44

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