CARNETSaussitôt coupé ma lumière et, malgré cela, je suis resté dormird<strong>ans</strong> mon camion, les copains aussi. Dremon a couché d<strong>ans</strong> letrou, près du camion. Hier, j’ai oublié de dire qu’au troisièmebombardement, des chasseurs anglais sont arrivés, puis ontengagé une bataille avec les avions ennemis. Quatre avions ennemisont été descendus. J’ai pu avoir quelques détails sur la mort deKollen. C’est à la suite d’un éclat de bombe d’un avion ennemitouché par la DCA, en piquant au sol ; ce bombardier est rentréd<strong>ans</strong> un autre, puis ils se sont abattus tous les deux en explosanttous les deux. Le pauvre est mort quelques heures après, d<strong>ans</strong> lanuit, il n’a pas pu être retourné sur Bir Hakeim, il a été enterré surplace d<strong>ans</strong> le désert de Libye, à quelques kilomètres de RotondaSignali. Je vais arrêter. Les copains sont avec moi, nos 75 crachentdepuis ce matin au four, ces vaches de Boches ont l’air de faire laboule.Je reprends la plume, il y a un moment de bon.Je n’ai pas de courage à travailler, avec ces avions qui nous obligentà rentrer d<strong>ans</strong> le trou. Ce matin, en l’espace d’une heure trente,nous avons reçu trois bombardements. La journée s’annoncemal. Nous avons eu chaud, une bombe est tombée à une trentainede mètres du trou, on a l’impression qu’elle est presque d<strong>ans</strong> letrou. Mon camion a bien été touché par les éclats, les fils de ladynamo des accus ont été sectionnés, ma réserve d’eau a été percée,la cabine a été déchirée à un endroit, l’arrière de ma caisse a euplusieurs trous. Au deuxième bombardement, un avion a été touchépar la DCA, il a explosé d<strong>ans</strong> l’air ; le pilote a été projeté avec sonparachute, nous avons pu le voir descendre d<strong>ans</strong> nos lignes.Vivement que la nuit arrive pour ne plus voir ces avions ! Noussommes comme des bêtes traquées, au moindre ronflementnous prenons la direction du trou.19 heures. Notre artillerie tire. Je suis d<strong>ans</strong> le camion, nousvenons de casser la croûte avec une boîte et un oignon. Pendantque j’écris, les copains regardent dehors pour voir s’il n’y a rien àl’horizon, car il fait un vent terrible et avec ça, du sable. Depuis cematin, nous en sommes à notre sixième bombardement, puisnous avons reçu pendant une heure des obus. À vrai dire, letemps se passe d<strong>ans</strong> le trou.J’ai parlé au colon qui est venu au camion pour me demanderune pince. Il nous a remonté le moral, il nous a dit que, d’ici deuxou trois jours, cela se terminerait. Il m’a dit que nous étions àl’honneur d<strong>ans</strong> la presse mondiale (Bir Hakeim : « Verdun deLibye »). Je viens de m’apercevoir que mon camion a eu de nouveauxéclats. Le tracteur de Lemaître, qui se trouve un peu plus loin quele mien, est complètement percé, certainement inutilisable.Certainement que ce soir je vais passer la nuit dehors carl’artillerie va nous tirer dessus. Je fais mon journal avant que lanuit arrive, car je ne peux plus faire de lumière d<strong>ans</strong> le camion àcause de tous ces trous. Je vais arrêter puis, d<strong>ans</strong> un petitmoment, je vais prendre la direction du trou.Vendredi 5 <strong>juin</strong> 1942, 393 e jourJe sors de mon trou. J’en profite pour faire mon journal envitesse. Les nuits paraissent longues quand elles sont blanches ;les journées paraissent encore beaucoup plus longues quand ilfaut rester toute une journée d<strong>ans</strong> un trou. Ce matin, au réveil,nous avons dû rentrer d<strong>ans</strong> ce boyau, s<strong>ans</strong> prendre un peu dethé. C’est sur le coup de 9 heures que je suis sorti ainsi que lescopains pour faire un peu de thé d<strong>ans</strong> mon camion, avant deretourner en vitesse [d<strong>ans</strong> le trou]. Toute la journée, nous avonseu des coups de canon au-dessus de la tête. Par contre, aucunbombardement par avion. Je ne vais pas trop bavarder, car les75 tirent. Certainement qu’il y aura la réponse. À la nuit, je vaissortir du boyau pour coucher sous mon camion. Je crois que lanuit sera mauvaise, le vent de sable se lève.Dimanche 7 <strong>juin</strong> 1942, 395 e jouret samedi 6, 394 e jourSept heures du matin. Je suis d<strong>ans</strong> le trou près du camion avecBlanchet et Lemaître. Gazengel est d<strong>ans</strong> le boyau-abri près denous. Quelques balles sifflent au-dessus de nous, ainsi que nospetits 75. Je n’ai pu faire mon journal d’hier : la journée a été tropmauvaise. Depuis le réveil jusqu’au soir à 8 heures, le dueld’artillerie a duré s<strong>ans</strong> une minute d’arrêt. Nous avons passédouze heures d<strong>ans</strong> le boyau s<strong>ans</strong> pouvoir mettre le nez dehors.Nous n’avions qu’un quart de café d<strong>ans</strong> le ventre. Jamais jusqu’àprésent, nous ne sommes restés aussi longtemps d<strong>ans</strong> le trou.Des tonnes et des tonnes de fer nous sont passées au-dessus dela tête. Quand j’aurai plus de tranquillité, je m’étendrai davantagesur tous ces mauvais moments.Lundi 8 <strong>juin</strong> 1942, 396 e jourJe sors du trou, il fait noir, je ne vois pas ce que j’écris. Je n’ai pasterminé mon journal hier. Je suis sorti de mon trou à la nuit. Hier,nous avons essuyé de l’artillerie toute la journée avec deux bombardementsd’avions et une journée qui a été dure à passer. Je nepeux continuer, il fait trop noir. Demain, je prendrai mon journald<strong>ans</strong> mon trou.Mardi 9 <strong>juin</strong> 1942, 397 e jour« Frenchmen Hurl Nazis Back at Desert "Verdun" », une de The Courrier Mail, journalde Brisbane (Australie), le 11 <strong>juin</strong> 1942 (National Library of Australia).Sept heures du matin. Je suis d<strong>ans</strong> le boyau toujours avec lescopains. Gazengel, Lemaître, Blanchet et Dremon ; ce derniervient avec nous un jour sur deux à cause de son service. Hier, lajournée fut terrible. Nous avons passé quinze heures d<strong>ans</strong> leboyau, l’artillerie n’a pas arrêté une seule minute. Avec ça, nousavons reçu trois bombardements par avions, venus en deux foispar vagues de 50 à 60 appareils. Quand les bombes tombent, c’estun vrai tremblement de terre, il y a de quoi devenir fou. Il yaeucinq morts chez nous par ces bombardements, le sergent Olin etquatre Tahitiens ; il y a certainement eu beaucoup de blessés. AuLAD, le camion de l’adjudant Magnier a pris feu, c’est une bombequi est tombée dessus. D’autres bombes sont tombées auxalentours, les hommes qui se trouvaient d<strong>ans</strong> les trous à proximitédu camion étaient recouverts de sable et de terre. Pas de blessésde ce côté-là ; beaucoup d’autres voitures ont brûlé ou sont bientouchées. Quand les jours meilleurs reviendront, je donnerai40 l Juin <strong>2012</strong> • N° 44
CARNETSbeaucoup plus de détails sur ma vie de lapin sauvage d<strong>ans</strong> montrou. Pour l’instant, le bombardement recommence, je vaisarrêter.Je ne sais s’il y a eu des morts ou des blessés. Le capitaine deBricourt est mort certainement peu de temps après le colon. Jevais arrêter, je ne peux continuer avec les mouches et je suis tropmal pour écrire.Les fusiliers marins avec leur unique pièce quadruple de mitrailleuse de 13,2 mmHotchkiss, montée sur un camion Chevrolet (Imperial War Museum).Jeudi 11 <strong>juin</strong> 1942, 399 e jouret vendredi 12 <strong>juin</strong>, 400 e jourMidi. À cette heure, je suis d<strong>ans</strong> mon camion, je respire à pleinspoumons, je ne suis plus d<strong>ans</strong> mon trou, l’oreille tendue écoutantles avions mais, pour en arriver là, j’ai dû vivre des heures horribles,des scènes que je souhaite ne jamais plus revoir. Mercredisoir, juste quelques minutes après avoir écrit mon journal, unevague d’avions – environ une centaine – est venue nous bombarder.Quel bruit de tonnerre ! Notre position n’était qu’un nuagede poussière… Puis, aussitôt après, l’artillerie n’a pas cesséd’arroser. Je me demande encore comment les bombes et lesobus ne sont pas rentrés d<strong>ans</strong> mon trou. Vraiment quelle tristemine nous pouvions avoir d<strong>ans</strong> ce trou !Mercredi 10 <strong>juin</strong> 1942, 398 e jourJe suis toujours d<strong>ans</strong> mon trou boyau, les copains sont avec moi.Dehors, il y a un brouillard à couper au couteau. Il peut être 7 heures.Quelques coups de fusil ou de mitrailleuses sont tirés par lesAllemands qui sont en bas, d<strong>ans</strong> la plaine. Jusqu’à présent,l’artillerie n’a pas ouvert le feu, certainement à cause du brouillard.La journée d’hier fut pour nous terrible. Nous sommes restésquinze heures d<strong>ans</strong> ce trou s<strong>ans</strong> pouvoir mettre le nez dehors.L’artillerie a tiré presque toute la journée et, avec ça, leurs automitrailleusesnous faisaient siffler les balles au-dessus de la tête.Nous avons essuyé trois bombardements par avion ; à un desbombardements, il y avait au moins 60 à <strong>70</strong> appareils. Hier versles 9 heures du soir, en sortant, nous avons été figés en apprenantla mort de notre chef, Broche, tué d<strong>ans</strong> son PC par un obus ; lecapitaine de Bricourt, son second, grièvement blessé 20 . Triste nuitque nous avons passée avec ces nouvelles ! De plus, l’état d’alertea été donné, et il a fallu que je sorte mon camion de ce trou, carcelui de Lemaître se trouvant à une cinquantaine du mien étaiten flammes et je craignais que le mien soit repéré. Après renseignementssur l’alerte et [voyant] que le camion de Lemaître nebrûlait plus, je suis revenu mettre mon camion d<strong>ans</strong> son trou àl’aide d’une remorque, car, pour compléter le tableau, moncamion ne marchait pas. Tout ceci d<strong>ans</strong> la nuit noire troublée parles balles perçantes que l’ennemi nous envoyait. Je vais arrêter. Jene peux continuer à écrire, je suis mal assis, j’ai mal partout.Je reprends la plume toujours d<strong>ans</strong> mon trou. Je ne suis pasencore sorti depuis ce matin. Il est environ 5 heures, il resteencore quatre heures à patienter, j’ai les fesses en compote, lesgenoux qui me font mal à force de rester recroquevillés. Avec ça,les mouches qui viennent d<strong>ans</strong> les oreilles le nez et la bouche…Je prends des crises de rage, c’est une vie de forçat. Pour lapremière fois aujourd’hui, nous avons fait un peu de porridged<strong>ans</strong> le trou. Nous avons eu soin de mettre tout ce qu’il fallaitpour le faire près du trou. Jusqu’à présent, on prenait un peu dethé le matin à 5 heures pour tenir le soir jusqu’à 9 heures. Dehors,le canon gronde ; j’entends au loin de l’artillerie, je prie sainteThérèse pour que les Anglais viennent nous délivrer.Vers midi, nous avons eu un sérieux bombardement par avion,peut-être 100 avions sont venus nous laisser tomber des bombes.Éléments de la 1 re BFL d<strong>ans</strong> le désert libyen (coll. particulière).Vers les 9 heures, comme les jours précédents nous sommes sortisdu trou, pour faire un peu de thé puis manger une boîte. Unedemi-heure après, nous recevions l’ordre de nous préparer à laisserla position ; pour cela, le gros coup était de percer la ligne ennemie.Ceux n’ayant plus de camions à la suite des bombardementsdevaient suivre à pied. Aussitôt, j’ai pris ma petite valise, ramassémon journal, les albums photos, puis quelques souvenirs, s<strong>ans</strong>oublier de déterrer mon écusson du Pacifique. Toutes ces bricolesramassées puis mises d<strong>ans</strong> mon sac, j’ai ramassé toutes lescouvertures, puis mis mon moteur en marche. J’arrête pour lireune lettre d’Yvette. Je reprends la plume après un bon quart dethé. La lettre que je viens de recevoir est de Rosette ; je croyais, àl’écriture, qu’elle était d’Yvette.Je continue ma série de mercredi. J’aurais brûlé mon camion decolère : c’est toujours d<strong>ans</strong> ces moments-là que tout s’emmêle.Vers les 10 heures du soir, les camions du LAD se sont dirigés versle PC pour attendre le départ ; de temps en temps, nos petits75 tiraient pour tromper l’ennemi. Pendant ce temps, tous lescamions arrivaient sur la ligne de départ ; ceux qui ne pouvaientmarcher étaient achevés à coups de baïonnette d<strong>ans</strong> les pneus oud<strong>ans</strong> les radiateurs. Vers les 11 heures, les camions ont commencéà démarrer, d<strong>ans</strong> mon camion j’avais Magnier, sur les ailesBlanchet et Gazengel. Triste spectacle de voir partir ce convoi20Le capitaine Gaston Duché de Bricourt, adjoint du lieutenant-colonel Broche, a été tué par le même éclat d’obus que son supérieur.Juin <strong>2012</strong> • N° 44 l 41
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