CARNETSy a eu du dégât. Aujourd’hui j’ai eu du travail, j’ai pris une crise denerfs sur une dynamo Morris, entre-temps j’ai travaillé sur leposte de TSF de Lemaître. Je n’ai pas encore réussi à le faire marcher,espérant que, demain, nous pourrons avoir des nouvelles.Aujourd’hui, la liaison avec l’arrière a été rétablie, nous avonspu avoir du ravitaillement. Nous avons eu des nouvelles de notreéchelon, qui se trouvait à l’arrière pendant la bagarre, il y a eudes prisonniers chez nous. Kalouche, Dervo, Blac et Coton, et8 Tahitiens, le pauvre bataillon du Pacifique ramasse le coup debarre. Les prisonniers italiens que nous avons faits sont partis cematin sur Tobrouk. Le général anglais qui commande les arméesen Libye nous a donné six paquets de cigarettes, une boîte debière et un quart de whisky pour trois hommes. Ce soir, lebataillon du Pacifique se prépare à partir. À ce sujet, je ne suis pastrès content car je ne pars pas avec [lui]. C’est l’adjudantBenebig 15 et trois autres du LAD qui partent avec [lui], le reste duLAD partira d’ici quelques jours avec le BM2 16 et la Légion. Nousfaisons marche sur Benghazi 17 , les nouvelles sont bonnes, lesBoches et les Italiens sont en déroute. La journée a été assezcalme. Nos 75 ont tiré plusieurs coups sur des voitures. Je ne saispas s’il y a eu des prisonniers, je sais qu’il y a eu une voiture desAnglais qui a brûlé. Il y a encore eu une erreur, voilà les inconvénientsde la guerre. Je vais arrêter pour faire la partie de belote.Lundi 1 er <strong>juin</strong> 1942, 389 e jourHuit heures du soir. Je suis seul d<strong>ans</strong> mon camion, les copainsfont la causette dehors. C’est bien une triste journée qui se termine.Je suis à zéro ce soir. Cette fatigue n’est pas due au travailque j’ai fait, mais au bombardement que nous avons essuyé. J’aipeut-être fait 100 fois le trajet de mon camion à mon trou. Toutela journée, j’ai tendu l’oreille pour écouter le bruit des avions. J’aipassé plus de temps d<strong>ans</strong> mon trou que d<strong>ans</strong> mon camion. Toutela journée, nous avons été survolés par les avions ennemis. Nousavons essuyé quatre bombardements. Une journée record : cesvaches d’avions ont laissé tomber quelques bombes de 500 kilos,d’autres bombes à retardement. Le génie vient de faire sauter ladernière. Quel vacarme il peut y avoir pendant un bombardement! Avec ça, la DCA ne cesse de tirer. Pendant ce temps, on estd<strong>ans</strong> le trou, les nerfs crispés en attendant la mort.Le dernier bombardement a eu lieu ce soir à la soupe. J’ai eu laforce de regarder tout en étant d<strong>ans</strong> mon trou, couché sur deuxautres copains. Les avions ont lâché leurs bombes, j’ai pu admirerles types de la DCA tirer sur les bombardiers qui piquaient, touten décrochant leurs bombes. Un avion a été touché, certainementil ne rentrera pas sa base. Résultat de ces bombardements : unebombe est tombée d<strong>ans</strong> un trou de DCA des fusiliers marins,tuant 7 marins et détruisant un « Boumboum ». Un mort au BM2,puis 6 blessés, 5 camions de brûlés. Par bonheur, ce matin, lebataillon du Pacifique nous a quittés pour marcher de l’avant surBenghazi. Peut-être que nous partirons demain. Notre échelondoit arriver d<strong>ans</strong> la nuit. Je souhaite que demain nous décollionsde Bir Hakeim. Je commence à en avoir assez de ce coin. Je ressensles coups que j’ai pu me faire en sautant d<strong>ans</strong> le trou à toutevitesse, j’ai mal à un genou, puis à un coude. À un moment, j’aisauté d<strong>ans</strong> le trou par dessus les copains, nous étions les unspar-dessus les autres, personne ne dit un mot d<strong>ans</strong> cesmoments-là. J’ai bu un coup de whisky après ce dernier bombardement,le fameux whisky que le général anglais nous a payé,cela nous a remonté un peu le moral. À l’instant même, lescopains ouvrent 3 boîtes de bière, on se remonte le moral les unsDeux soldats du bataillon du Pacifique de retour de patrouille. Sur la porte ducamion Morris a été peint l’insigne de l’unité (coll. particulière).aux autres. Résultat : on est tous contents d’être passés à traverspour cette fois.J’arrête pour ce soir je vais prendre part à la discussion, peut-êtreque cela se terminera par une belote. Bonsoir.Mercredi 3 <strong>juin</strong> 1942, 391 e jour(et mardi 2 <strong>juin</strong>, 390 e jour)Il est environ trois heures de l’après-midi, je n’ai pas pu faire monjournal hier, la journée a été trop mauvaise. Hier matin, j’ai eu unpeu de travail. Sur le coup de midi, le vent de sable s’est levé. Untemps épouvantable, on ne pouvait voir à 10 mètres. Sur le coupd’une heure de l’après-midi, trop de nouvelles. Une colonneallemande a fait une manœuvre pour encercler notre position. ÀBir Hakeim, grand branle-bas. Nos 75 tirent s<strong>ans</strong> arrêt ; enrevanche, on reçoit des pruneaux de 155. Obligé de rester d<strong>ans</strong> letrou. Avec ça, les mouches, chaleur terrible, en un mot l’enfer.Non vraiment, je ne peux pas raconter toutes les souffrances quel’on supporte. On est tout dépaysé, notre bataillon n’est pas avecnous.J’étais d<strong>ans</strong> le trou avec Lemaître, Gazengel, Réveillon et, à unmoment, l’adjudant Magnier 18 . Ce dernier profite d’un moment15L’adjudant Auguste Bénébig, mécanicien, né à Nouméa en 1915, engagé d<strong>ans</strong> les FFL le 30 septembre 1940, sera fait compagnon de la Libération le 9 septembre1942. Mort à Nouméa en 1993.16Le bataillon de marche n° 2 (NDLR).17En réalité, le détachement du bataillon du Pacifique était chargé d’occuper la position de Rotonda Signali, à l’ouest de Bir Hakeim.38 l Juin <strong>2012</strong> • N° 44
CARNETSquitter, nous venons de terminer de casser la croûte et de boireun bon coup de thé, après une journée vraiment terrible. Depuisles quelques heures qui viennent de s’écouler, après avoir faitmon journal, nous avons reçu deux bombardements par avion,deux vagues de 25 avions à chaque fois, vraiment ce n’est plustenable. Pendant ces bombardements, les minutes paraissentdes heures. Combien de fois j’ai embrassé ma petite sainteThérèse, que j’ai à ma plaque d’identité, peut-être vingt fois. Jetiens d<strong>ans</strong> ma main mon petit porte-photos avec ma sainteThérèse, puis la petite photo d’Yvette.Combattants du bataillon du Pacifique à Bir Hakeim (coll. particulière).d’accalmie pour aller aux nouvelles. Il revient en nous disant quenotre bataillon fait demi-tour pour nous rejoindre, puis qu’il y aeu des morts, plusieurs blessés et plusieurs camions brûlés, celane nous met pas de baume au cœur. Il nous recommande derester d<strong>ans</strong> le trou toute la nuit. Nous sortons du trou en vitessepour aller d<strong>ans</strong> le camion chercher nos couvertures. J’en profitepour sortir ma petite valise contenant mon journal. Nous nousinstallons d<strong>ans</strong> le trou ; nous sommes trois, nous sommes obligésde recouvrir le trou avec des couvertures, retenues par des sacsde sable pour que le vent de sable ne rentre pas. Quelle chaleur !Je peux à peine me retourner, mes épaules touchent les côtés dutrou. Gazengel est obligé de mettre ses jambes sur les miennes.Vers les 7 heures, les 75 se mettent en branle, les 105 arriventau-dessus de nous. Je suis long à m’endormir. Je n’arrête pas defumer, le sable arrive à pénétrer, j’ai mal à la tête et, de plus, avectoute cette bagarre, je n’ai pas mangé. Ce matin, réveil au jour. Lanuit n’a pas été trop mauvaise, nous ramassons nos couvertures.Je fais un peu de nettoyage d<strong>ans</strong> mon camion, ce n’est pas lesable qui manque ! Les copains reviennent du jus, Gazengel m’enapporte un quart. Trois avions de reconnaissance boches noussurvolent, puis repartent. Nous remplissons des sacs de sablepour faire un plafond sur notre trou, renforcé avec une porte debenne de camion. À peine le deuxième sac rempli, nous entendonsun obus de 155 siffler ; instantanément, nous nous couchons,puis aussitôt d<strong>ans</strong> le trou. Le duel d’artillerie commence, puis lesavions viennent nous bombarder. Nous sommes blottis d<strong>ans</strong> cetrou comme des bêtes traquées. Les avions viennent par vaguesde 15 à 20 appareils, laissant tomber des bombes contenantd’autres petites bombes éclatant en 5 à 6 minutes après.Nous étions six d<strong>ans</strong> le trou à un moment, deux sacs de sable ontété projetés d<strong>ans</strong> le trou par un éclat de bombes, quelle frayeur !On a toujours l’impression que la bombe est tombée d<strong>ans</strong> le trou.Quel bruit peut faire cette quantité de bombes que portent ces25 avions… Il faut vivre ces minutes pour savoir [ce qui s’estpassé]. Je ne sais pas s’il y a eu des blessés, mais je sais que l’autode Dremon est complètement criblée, elle est considérée commeperdue.Jeudi 4 <strong>juin</strong> 1942, 392 e jourHuit heures du matin. Je viens d’aller chercher mon jus, puisrevenu en vitesse. Je profite d’un petit moment d’accalmie pourcontinuer mon journal, et, bien que je n’aie pas continué à causede quelques coups de canon ou de bombes à retardement, j’aiUn canon Bofor avec ses servants.Je reviens de mon trou j’ai dû arrêter pour m’y réfugier à causedes avions. Heureusement que, cette fois, ce sont les Anglais.Cela met un peu de baume au cœur : ils viennent de laisser tomberquelques pruneaux sur ces vaches de Boches. Vers les neufheures, ce matin, notre bataillon est rentré, Dremon et Blanchetsont venus nous voir et nous raconter leurs malheurs. Ils ont étémitraillés et bombardés drôlement, le pauvre Marcel Kollen 19 aété tué ainsi qu’un Tahitien, il y a eu une dizaine de blessés. Cecarnage s’est passé d<strong>ans</strong> le vent de sable hier. Vraiment, noussommes touchés en ce moment. Depuis ce matin, nous avons étébombardés trois fois. À l’instant où j’écris ces lignes, nos petits75 tirent sur les Boches. Je vais arrêter un moment. J’ai mal à latête. Mes yeux se ferment tout seuls. Je suis à zéro.10 heures du soir. Je reprends la plume. Lemaître, Dremon,Blanchet et Gazengel sont avec moi, Reveillon vient de nousUn canon de 75 à Bir Hakeim (coll. particulière).18Georges Magnier, né en 1916, engagé d<strong>ans</strong> les Forces françaises libres à Nouméa en janvier 1941, adjudant au bataillon du Pacifique.19Marcel Kollen, né à La Foa en 1912, employé de banque et acteur du ralliement de la Nouvelle-Calédonie à la France Libre, 1 re classe au bataillon duPacifique, tué lors de l’opération sur Rotonda Signali (1 er <strong>juin</strong> 1942).Juin <strong>2012</strong> • N° 44 l 39
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