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Lire le livre - Bibliothèque

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et un ans. Sinon, el<strong>le</strong> l’aurait regardé d’un drô<strong>le</strong> d’air et ne l’aurait pas reconnu. Toutbaignait dans une lumière limpide, à cause de la porte ouverte sur la rue. Quelquesmots lui vinrent à l’esprit, sans doute <strong>le</strong> titre d’un <strong>livre</strong> : Une porte sur l’été. Pourtantc’était en hiver qu’il avait connu Margaret Le Coz, un hiver très froid qui lui avaitsemblé interminab<strong>le</strong>. Le bar de Jacques l’Algérien était un refuge où l’on s’abrite destempêtes de neige et il ne se rappelait pas y avoir retrouvé Margaret en été.Il constatait un phénomène étrange. Ce rêve éclairait par sa lumière tout ce qui avaitété réel, <strong>le</strong>s rues, <strong>le</strong>s gens que Margaret et lui avaient côtoyés ensemb<strong>le</strong>. Et si cettelumière avait été la vraie, cel<strong>le</strong> dans laquel<strong>le</strong> ils baignaient tous <strong>le</strong>s deux à cetteépoque ? Alors pourquoi avoir rempli, en ce temps-là, <strong>le</strong>s deux cahiers, d’une petiteécriture qui trahissait une sensation d’angoisse et d’asphyxie ?Il crut trouver la réponse : tout ce que l’on vit au jour <strong>le</strong> jour est marqué par <strong>le</strong>sincertitudes du présent. Par exemp<strong>le</strong>, à chaque coin de rue, el<strong>le</strong> craignait de tombersur Boyaval, et Bosmans, sur <strong>le</strong> coup<strong>le</strong> inquiétant qui <strong>le</strong> poursuivait sans qu’ilcomprenne pourquoi de sa malveillance et de son mépris et lui aurait volontiers fait <strong>le</strong>spoches, s’il était mort, là, dans la rue, d’une bal<strong>le</strong> au cœur. Mais de loin, avec ladistance des années, <strong>le</strong>s incertitudes et <strong>le</strong>s appréhensions que vous viviez au présentse sont effacées, comme <strong>le</strong>s brouillages qui vous empêchaient d’entendre à la radioune musique cristalline. Oui, quand j’y pense maintenant, c’était tout à fait commedans <strong>le</strong> rêve : Margaret et moi, assis l’un en face de l’autre dans une lumière limpideet intemporel<strong>le</strong>. C’est d’ail<strong>le</strong>urs ce que nous expliquait <strong>le</strong> philosophe que nous avionsrencontré un soir à Denfert-Rochereau. Il disait :- Le présent est toujours p<strong>le</strong>in d’incertitudes, hein ? Vous vous demandez avecangoisse ce que va être <strong>le</strong> futur, hein ? Et puis <strong>le</strong> temps passe et ce futur devient dupassé, hein ?Et à mesure qu’il parlait, il ponctuait <strong>le</strong>s phrases de ce hennissement de plus en plusdouloureux. Quand il lui avait demandé pourquoi el<strong>le</strong> avait choisi une chambre dansce quartier lointain d’Auteuil, el<strong>le</strong> avait répondu :- C’est plus sûr.Lui aussi s’était réfugié presque à la périphérie, tout au bout de la Tombe-Issoire, pouréchapper à ce coup<strong>le</strong> agressif qui <strong>le</strong> poursuivait. Mais ils avaient découvert sonadresse, et sa mère était venue, un soir, taper du poing à la porte de sa chambretandis que l’homme attendait dans la rue. Le <strong>le</strong>ndemain, <strong>le</strong> quartier de la Tombe-Issoire et de Montsouris lui avait semblé beaucoup moins sûr qu’il ne l’avait cru. Il seretournait avant d’entrer dans l’immeub<strong>le</strong> et, quand il montait l’escalier, il avait peurque <strong>le</strong>s deux autres ne l’attendent au fond du couloir, devant la porte de sa chambre.Et puis, au bout de quelques jours, il n’y pensait plus. Il avait trouvé une autrechambre dans <strong>le</strong> même quartier, rue de l’Aude. Heureusement, il faut aussi compter,comme <strong>le</strong> disait <strong>le</strong> philosophe, sur l’insouciance de la jeunesse, hein ? Il y avait mêmedes jours de so<strong>le</strong>il où Margaret ne <strong>le</strong> fixait plus de ses yeux inquiets.Lointain Auteuil… Il regardait <strong>le</strong> petit plan de Paris, sur <strong>le</strong>s deux dernières pages ducarnet de mo<strong>le</strong>skine. Il avait toujours imaginé qu’il pourrait retrouver au fond decertains quartiers <strong>le</strong>s personnes qu’il avait rencontrées dans sa jeunesse, avec <strong>le</strong>urâge et <strong>le</strong>ur allure d’autrefois. Ils y menaient une vie parallè<strong>le</strong>, à l’abri du temps… Dans<strong>le</strong>s plis secrets de ces quartiers-là, Margaret et <strong>le</strong>s autres vivaient encore tels qu’ilsétaient à l’époque. Pour <strong>le</strong>s atteindre, il fallait connaître des passages cachés à

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