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Lire le livre - Bibliothèque

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Une sonnerie de téléphone. À tâtons el<strong>le</strong> alluma la lampe de chevet. El<strong>le</strong> décrocha <strong>le</strong>combiné. Bagherian avait une voix lointaine. Des grésil<strong>le</strong>ments. Puis tout s’éclaircit,on aurait dit qu’il lui parlait de la chambre voisine. Était-el<strong>le</strong> bien installée ? Il luidonnait des conseils d’ordre pratique : el<strong>le</strong> pouvait prendre des repas à l’hôtel ou dans<strong>le</strong> café du coin de la rue ; <strong>le</strong> mieux pour el<strong>le</strong>, c’était de rester tant qu’el<strong>le</strong> <strong>le</strong> voudraitdans cet hôtel jusqu’à ce qu’el<strong>le</strong> trouve un travail, et même après ; si el<strong>le</strong> avait besoind’argent, qu’el<strong>le</strong> ail<strong>le</strong> de sa part dans une banque dont il lui indiquait l’adresse. El<strong>le</strong>savait très bien qu’el<strong>le</strong> ne <strong>le</strong> ferait jamais. El<strong>le</strong> avait refusé l’enveloppe d’argentliquide, quand il l’avait accompagnée à la gare de Lausanne. El<strong>le</strong> n’avait accepté queson salaire de gouvernante des enfants. Gouvernante : un mot qu’aurait utiliséBagherian. Il se moquait lui-même de certaines expressions désuètes qui revenaientsouvent sur ses lèvres et intriguaient Margaret Le Coz. Un jour, el<strong>le</strong> l’avaitcomplimenté pour sa manière de par<strong>le</strong>r si délicate. Il lui avait expliqué qu’il avait étéé<strong>le</strong>vé dans des éco<strong>le</strong>s françaises en Égypte par des professeurs beaucoup plussourcil<strong>le</strong>ux de la syntaxe et du vocabulaire qu’on ne l’aurait été à Paris. Quand el<strong>le</strong>raccrocha <strong>le</strong> combiné, el<strong>le</strong> se demanda si Bagherian la rappel<strong>le</strong>rait. C’était peut-être ladernière fois qu’il lui parlait. Alors, el<strong>le</strong> serait seu<strong>le</strong> dans cette chambre d’hôtel, aumilieu d’une vil<strong>le</strong> inconnue, sans savoir très bien pourquoi.El<strong>le</strong> éteignit la lampe de chevet. Pour <strong>le</strong> moment, el<strong>le</strong> préférait la pénombre. Denouveau, il s’était produit une cassure dans sa vie, mais el<strong>le</strong> n’en avait aucun regret,ni aucune inquiétude. Ce n’était pas la première fois… Et cela se passait toujours dela même manière : el<strong>le</strong> arrivait dans une gare sans que personne l’attende et dansune vil<strong>le</strong> où el<strong>le</strong> ne connaissait pas <strong>le</strong> nom des rues. El<strong>le</strong> n’était jamais revenue aupoint de départ. Et, d’ail<strong>le</strong>urs, il n’y avait jamais eu de point de départ, comme pources gens qui vous disent qu’ils sont originaires de tel<strong>le</strong>s provinces et de tels villages etqu’ils y retournent de temps en temps. El<strong>le</strong> n’était jamais retournée dans un lieu oùel<strong>le</strong> avait vécu. Par exemp<strong>le</strong>, el<strong>le</strong> ne reviendrait plus en Suisse, la Suisse qui luiparaissait un refuge quand el<strong>le</strong> était montée dans <strong>le</strong> car à la gare routière d’Annecy etqu’el<strong>le</strong> craignait qu’on ne la retienne à la frontière.El<strong>le</strong> éprouvait une sensation d’allégresse chaque fois qu’el<strong>le</strong> devait partir et, àchacune de ces cassures, el<strong>le</strong> était certaine que la vie reprendrait <strong>le</strong> dessus. El<strong>le</strong> nesavait pas si el<strong>le</strong> resterait longtemps à Paris. Cela dépendait des circonstances.L’avantage, c’est que l’on sème faci<strong>le</strong>ment quelqu’un dans une grande vil<strong>le</strong>, et ceserait encore plus compliqué pour Boyaval de la repérer à Paris qu’en Suisse. El<strong>le</strong>avait dit à Bagherian qu’el<strong>le</strong> chercherait un travail de secrétariat puisqu’el<strong>le</strong> parlaital<strong>le</strong>mand et de préférence dans des bureaux où el<strong>le</strong> se fondrait parmi <strong>le</strong>s autres. Ilavait paru étonné et même vaguement inquiet. Et pourquoi pas gouvernante, denouveau ? El<strong>le</strong> ne voulait pas <strong>le</strong> contredire. Oui, gouvernante, à condition de trouverune famil<strong>le</strong> où el<strong>le</strong> se sentirait à l’abri.L’après-midi où el<strong>le</strong> se présenta à l’agence Stewart, faubourg Saint-honoré, el<strong>le</strong>attendit longtemps avant d’être reçue par un blond d’une cinquantaine d’années auxpetits yeux b<strong>le</strong>us. Il s’assit à son bureau et l’observa un moment d’un œil attentif etfroid de maquignon. El<strong>le</strong> restait debout, gênée. Ce type allait peut-être lui dire d’unevoix sèche : Déshabil<strong>le</strong>z-vous. Mais il lui désigna <strong>le</strong> fauteuil de cuir, en face de lui.- Vos noms et prénoms ?Il avait pris une fiche et décapuchonné son stylo.- Margaret Le Coz.

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