12.07.2015 Views

Lire le livre - Bibliothèque

Lire le livre - Bibliothèque

Lire le livre - Bibliothèque

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

Seu<strong>le</strong> la voix <strong>le</strong> déconcertait, ou plutôt <strong>le</strong>s rares paro<strong>le</strong>s, qui étaient des réponsesbrèves aux questions que lui posait la jeune fil<strong>le</strong>. Une voix rauque. El<strong>le</strong> venait de trèsloin et el<strong>le</strong> avait subi l’usure du temps. Bosmans put capter une phrase entière : « Ilfaut que je sois de retour vers dix heures. » El<strong>le</strong> habitait peut-être dans une maison deretraite où <strong>le</strong>s pensionnaires avaient des horaires précis.Le serveur déposa devant el<strong>le</strong> une grenadine et une tarte aux pommes. La jeune fil<strong>le</strong>avait commandé un Coca-Cola. El<strong>le</strong>s échangèrent quelques mots à voix basse. Denouveau, la jeune fil<strong>le</strong> lui tendit l’agenda qu’Yvonne Gaucher feuil<strong>le</strong>ta comme si el<strong>le</strong>cherchait la date d’un rendez-vous. À cause du col re<strong>le</strong>vé de son imperméab<strong>le</strong>, onaurait dit qu’el<strong>le</strong> se trouvait dans une sal<strong>le</strong> d’attente et qu’el<strong>le</strong> consultait l’horaire destrains.« Il faut que je sois de retour vers dix heures. » Bosmans savait que cette phrase luiresterait en mémoire et que, chaque fois, el<strong>le</strong> lui causerait un élancement douloureux,une sorte de point de côté. Il ignorerait toujours ce qu’el<strong>le</strong> voulait dire, et il enéprouverait du remords, comme pour d’autres mots interrompus, d’autres personnesque vous avez laissées échapper. C’est idiot, il n’y a qu’un pas à faire. Je dois luipar<strong>le</strong>r. Il se rappela la plaque de cuivre qui <strong>le</strong>s avait intrigués, Margaret et lui, lapremière fois, et où étaient gravés deux noms : Yvonne Gaucher. André Poutrel. Àcause d’eux, Margaret avait quitté Paris en catastrophe sans qu’il sache jamais ce quiétait arrivé. Les jours suivants, il achetait <strong>le</strong>s journaux et cherchait aux pages des faitsdivers ces deux noms : Yvonne Gaucher. André Poutrel. Rien. Le si<strong>le</strong>nce. Le néant. Ils’était souvent demandé si Margaret, el<strong>le</strong>, en savait plus long. Il se rappelait aussi ceque lui avait dit Yvonne Gaucher dès <strong>le</strong>ur première rencontre : « André vousexpliquera. » Mais André ne lui avait rien expliqué. Ou n’en avait pas eu <strong>le</strong> temps.Quelques années plus tard, il était passé devant <strong>le</strong> 194 avenue Victor-Hugo. Cenuméro était maintenant celui d’un grand immeub<strong>le</strong> neuf avec des baies vitrées.Yvonne Gaucher. André Poutrel. C’était comme s’ils n’avaient jamais existé.Yvonne Gaucher feuil<strong>le</strong>tait son agenda et la jeune fil<strong>le</strong> lui disait quelque chose à voixbasse. Mais oui, il n’y a qu’un pas à faire. Je vais lui demander des nouvel<strong>le</strong>s d’AndréPoutrel et du petit Peter. Le petit Peter. C’est ainsi qu’ils l’appelaient. Margaret et moi,nous l’appelions Peter tout court. El<strong>le</strong> me donnera enfin toutes <strong>le</strong>s explications depuis<strong>le</strong> début, depuis l’époque lointaine de « cel<strong>le</strong>s et ceux de la rue B<strong>le</strong>ue… ». Maisimpossib<strong>le</strong> de se <strong>le</strong>ver, il se sentait une lourdeur de plomb. Je n’ai pas assez decourage. Je préfère que <strong>le</strong>s choses restent dans <strong>le</strong> vague. S’il s’était trouvé encompagnie de Margaret, alors ils auraient marché vers la tab<strong>le</strong> d’Yvonne Gaucher.Mais là, tout seul… D’ail<strong>le</strong>urs, était-ce vraiment el<strong>le</strong> ? Mieux valait ne pas en savoirplus. Au moins, avec <strong>le</strong> doute, il demeure encore une forme d’espoir, une ligne defuite vers l’horizon. On se dit que <strong>le</strong> temps n’a peut-être pas achevé son travail dedestruction et qu’il y aura encore des rendez-vous. Il faut que je sois de retour vers dixheures.La jeune fil<strong>le</strong> buvait son Coca-Cola à l’aide d’une pail<strong>le</strong>. Yvonne Gaucher avait oubliéla tarte et la grenadine et regardait droit devant el<strong>le</strong>. Bosmans retrouvait <strong>le</strong> regardd’autrefois, cette expression attentive et candide de quelqu’un qui, en dépit de tout,fait confiance à la vie. À un moment, ce regard se posa sur lui, mais el<strong>le</strong> ne semblaitpas <strong>le</strong> reconnaître.Des deux, ce fut André Poutrel qu’ils rencontrèrent <strong>le</strong> premier. Bosmans se trouvaitdans la librairie des anciennes éditions du Sablier, en compagnie de Margaret. Il sesouvenait bien du temps : un après-midi de froid, de ciel b<strong>le</strong>u et de so<strong>le</strong>il, <strong>le</strong> printempsde l’hiver, la saison qu’il préférait, et qui ne compte que quelques jours, à interval<strong>le</strong>sirréguliers, en janvier ou en février. Ils avaient décidé de se promener au parc

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!