l’immeub<strong>le</strong>. Un gros garçon à la peau blanche, inséparab<strong>le</strong> de Mérovée, buvaittoujours ses paro<strong>le</strong>s d’un air à la fois effarouché et admiratif. Un blond au visageosseux portait des lunettes teintées et une chevalière, et, <strong>le</strong> plus souvent, gardait <strong>le</strong>si<strong>le</strong>nce. Leur aîné devait avoir environ trente-cinq ans. Son visage était encore plusnet dans <strong>le</strong> souvenir de Bosmans que celui de Mérovée, un visage empâté, un nezcourt qui lui faisait une tête de bou<strong>le</strong>dogue sous des cheveux bruns plaqués enarrière. Il ne souriait jamais et il se montrait très autoritaire. Bosmans avait crucomprendre qu’il était <strong>le</strong>ur chef de bureau. Il <strong>le</strong>ur parlait avec sévérité comme s’il étaitchargé de <strong>le</strong>ur éducation et <strong>le</strong>s autres l’écoutaient, en bons élèves. C’est à peine siMérovée se permettait de temps en temps une remarque inso<strong>le</strong>nte. Les autresmembres du groupe, Bosmans ne s’en souvenait pas. Des ombres. Le malaise que luicausait ce nom, Mérovée, il <strong>le</strong> retrouvait quand deux mots lui étaient revenus enmémoire : « la Bande Joyeuse ».Un soir que Bosmans comme d’habitude attendait Margaret Le Coz devantl’immeub<strong>le</strong>, Mérovée, <strong>le</strong> chef de bureau et <strong>le</strong> blond aux lunettes teintées étaient sortis<strong>le</strong>s premiers et s’étaient dirigés vers lui. Le chef de bureau lui avait demandé à brû<strong>le</strong>pourpoint:- Vous vou<strong>le</strong>z faire partie de la Bande Joyeuse ?Et Mérovée avait eu son rire de vieillard. Bosmans ne savait quoi répondre.- La Bande Joyeuse ?L’autre, <strong>le</strong> visage toujours aussi sévère, <strong>le</strong> regard dur, lui avait dit :- C’est nous, la Bande Joyeuse, et Bosmans avait jugé cela plutôt comique à causedu ton lugubre qu’il avait pris.Mais, à <strong>le</strong>s considérer tous <strong>le</strong>s trois ce soir-là, il <strong>le</strong>s avait imaginés de grosses cannesà la main, <strong>le</strong> long des bou<strong>le</strong>vards, et, de temps en temps, frappant un passant parsurprise. Et, chaque fois, on aurait entendu <strong>le</strong> rire grê<strong>le</strong> de Mérovée. Il <strong>le</strong>ur avait dit :- En ce qui concerne la Bande Joyeuse… laissez-moi réfléchir.Les autres paraissaient déçus. Au fond, il <strong>le</strong>s avait à peine connus. Il avait été seul en<strong>le</strong>ur présence pas plus de cinq ou six fois. Ils travaillaient dans <strong>le</strong> même bureau queMargaret Le Coz et c’était el<strong>le</strong> qui <strong>le</strong>s lui avait présentés. Le brun à la tête debou<strong>le</strong>dogue était son supérieur et el<strong>le</strong> devait se montrer aimab<strong>le</strong> avec lui. Un samediaprès-midi, il <strong>le</strong>s avait rencontrés sur <strong>le</strong> bou<strong>le</strong>vard des Capucines, Mérovée, <strong>le</strong> chef debureau et <strong>le</strong> blond aux lunettes teintées. Ils sortaient d’une sal<strong>le</strong> de gymnastique.Mérovée avait insisté pour qu’il vienne prendre un verre et un macaron avec eux. Ils’était retrouvé de l’autre côté du bou<strong>le</strong>vard à une tab<strong>le</strong> du salon de thé La Marquisede Sévigné. Mérovée semblait ravi de <strong>le</strong>s avoir entraînés dans cet établissement. Ilinterpellait l’une des serveuses, en habitué du lieu, et commandait d’une voixtranchante du thé et des macarons. Les deux autres <strong>le</strong> considéraient avec unecertaine indulgence, ce qui avait étonné Bosmans de la part du chef de bureau, lui sisévère d’habitude.- Alors, pour notre Bande Joyeuse… vous avez pris une décision ?
Mérovée avait posé la question à Bosmans d’un ton sec et celui-ci cherchait unprétexte pour quitter la tab<strong>le</strong>. Leur dire, par exemp<strong>le</strong>, qu’il devait al<strong>le</strong>r téléphoner. Il<strong>le</strong>ur fausserait compagnie. Mais il pensait à Margaret Le Coz qui était <strong>le</strong>ur collègue debureau. Il risquait de <strong>le</strong>s rencontrer de nouveau, chaque soir, quand il venait lachercher.- Alors, ça vous dirait d’être un membre de notre Bande Joyeuse ?Mérovée insistait, de plus en plus agressif, comme s’il voulait provoquer Bosmans. Onaurait cru que <strong>le</strong>s deux autres se préparaient à suivre un match de boxe, <strong>le</strong> brun à têtede bou<strong>le</strong>dogue avec un léger sourire, <strong>le</strong> blond impassib<strong>le</strong> derrière ses lunettesteintées.- Vous savez, avait déclaré Bosmans d’une voix calme, depuis <strong>le</strong> pensionnat et lacaserne, je n’aime pas tel<strong>le</strong>ment <strong>le</strong>s bandes.Mérovée, décontenancé par cette réponse, avait eu son rire de vieillard. Ils avaientparlé d’autre chose. Le chef de bureau, d’une voix grave, avait expliqué à Bosmansqu’ils fréquentaient deux fois par semaine la sal<strong>le</strong> de gymnastique. Ils y pratiquaientdiverses disciplines, dont la boxe française et <strong>le</strong> judo. Et il y avait même une sal<strong>le</strong>d’armes avec un professeur d’escrime. Et, <strong>le</strong> samedi, on s’inscrivait pour un cross ouune cendrée au bois de Vincennes.- Vous devriez venir faire du sport avec nous…Bosmans avait l’impression qu’il lui donnait un ordre.- Je suis sûr que vous ne faites pas assez de sport…Il <strong>le</strong> fixait droit dans <strong>le</strong>s yeux et Bosmans avait de la peine à soutenir ce regard.- Alors, vous viendrez faire du sport avec nous ?Son gros visage de bou<strong>le</strong>dogue s’éclairait d’un sourire.- D’accord pour un jour de la semaine prochaine ? Je vous inscris rue Caumartin ?Cette fois-ci, Bosmans ne savait plus quoi répondre. Oui, cette insistance lui rappelait<strong>le</strong> temps lointain du pensionnat et de la caserne.- Tout à l’heure, vous m’avez bien dit que vous n’aimiez pas <strong>le</strong>s bandes ? lui demandaMérovée d’une voix aiguë. Vous préférez sans doute la compagnie de Ml<strong>le</strong> Le Coz ?Les deux autres avaient l’air gênés de cette remarque. Mérovée gardait <strong>le</strong> sourire,mais il semblait quand même craindre la réaction de Bosmans.- Mais oui, c’est cela. Vous avez sans doute raison, avait répondu doucementBosmans.Il <strong>le</strong>s avait quittés sur <strong>le</strong> trottoir. Ils s’éloignaient dans la fou<strong>le</strong>, <strong>le</strong> chef de bureau et <strong>le</strong>blond aux lunettes teintées marchant côte à côte. Mérovée, légèrement en arrière, seretournait et lui faisait un geste d’adieu. Et si sa mémoire <strong>le</strong> trompait ? C’était peut-
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sorti de l’une des poches de son
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Je ne sais presque rien de ces gens
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Le petit Peter lui avait montré à
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et que ce serait un raccourci. Il a