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Lire le livre - Bibliothèque

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El<strong>le</strong> avait travaillé une quinzaine de jours dans une annexe de Richelieu Intérim, pastrès loin, du côté de Notre-Dame-des-Victoires. Il l’attendait, là aussi, à sept heures dusoir, au coin de la rue Radziwill. El<strong>le</strong> était seu<strong>le</strong> quand el<strong>le</strong> sortait du premierimmeub<strong>le</strong> sur la droite, et, la voyant marcher vers lui, Bosmans avait pensé queMargaret Le Coz ne risquerait plus de se perdre dans la fou<strong>le</strong>, une crainte qu’iléprouvait par moments, depuis <strong>le</strong>ur première rencontre.Ce soir-là, sur <strong>le</strong> terre-p<strong>le</strong>in de la place de l’Opéra, des manifestants étaientrassemblés face à une rangée de CRS qui formaient une chaîne tout <strong>le</strong> long dubou<strong>le</strong>vard, apparemment pour protéger <strong>le</strong> passage d’un cortège officiel. Bosmansétait parvenu à se glisser à travers cette fou<strong>le</strong> jusqu’à la bouche du métro, avant lacharge des CRS. Il avait à peine descendu quelques marches que, derrière lui, desmanifestants refluaient en bousculant ceux qui <strong>le</strong>s précédaient dans <strong>le</strong>s escaliers. Ilavait perdu l’équilibre et entraîné une fil<strong>le</strong> en imperméab<strong>le</strong> devant lui, et tous deux,sous la pression des autres, étaient plaqués contre <strong>le</strong> mur. On entendait des sirènesde police. Au moment où ils risquaient d’étouffer, la pression s’était relâchée. Le flotcontinuait à s’écou<strong>le</strong>r <strong>le</strong> long des escaliers. L’heure de pointe. Ils étaient montésensemb<strong>le</strong> dans une rame. Tout à l’heure, el<strong>le</strong> s’était b<strong>le</strong>ssée contre <strong>le</strong> mur et el<strong>le</strong>saignait à l’arcade sourcilière. Ils étaient descendus deux stations plus loin et il l’avaitemmenée dans une pharmacie. Ils marchaient l’un à côté de l’autreà la sortie de la pharmacie. El<strong>le</strong> portait un sparadrap au-dessus de l’arcadesourcilière, et il y avait une tache de sang sur <strong>le</strong> col de son imperméab<strong>le</strong>. Une ruecalme. Ils étaient <strong>le</strong>s seuls passants. La nuit tombait. Rue B<strong>le</strong>ue. Ce nom avait paruirréel à Bosmans. Il se demandait s’il ne rêvait pas. Bien des années plus tard, ils’était retrouvé par hasard dans cette rue B<strong>le</strong>ue, et une pensée l’avait cloué au sol :Est-on vraiment sûr que <strong>le</strong>s paro<strong>le</strong>s que deux personnes ont échangées lors de <strong>le</strong>urpremière rencontre se soient dissipées dans <strong>le</strong> néant, comme si el<strong>le</strong>s n’avaient jamaisété prononcées ? Et ces murmures de voix, ces conversations au téléphone depuisune centaine d’années ? Ces milliers de mots chuchotés à l’oreil<strong>le</strong> ? Tous ceslambeaux de phrases de si peu d’importance qu’ils sont condamnés à l’oubli ?- Margaret Le Coz. Le Coz en deux mots.- Vous habitez dans <strong>le</strong> quartier ?- Non. Du côté d’Auteuil.Et si toutes ces paro<strong>le</strong>s restaient en suspens dans l’air jusqu’à la fin des temps et qu’ilsuffisait d’un peu de si<strong>le</strong>nce et d’attention pour en capter <strong>le</strong>s échos ?- Alors, vous travail<strong>le</strong>z dans <strong>le</strong> quartier ?- Oui. Dans des bureaux. Et vous ?Bosmans était surpris par sa voix calme, cette manière paisib<strong>le</strong> et <strong>le</strong>nte de marcher,comme pour une promenade, cette apparente sérénité qui contrastait avec <strong>le</strong>sparadrap au-dessus de l’arcade sourcilière et la tache de sang sur l’imperméab<strong>le</strong>.- Oh moi… je travail<strong>le</strong> dans une librairie…- Ça doit être intéressant…Le ton était courtois, détaché.- Margaret Le Coz, c’est breton ?- Oui.- Alors, vous êtes née en Bretagne ?- Non. À Berlin.

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