<strong>Urgences</strong> <strong>psychiatriques</strong> :<strong>de</strong>s proches dans le désarroiQuelques cas vécusFrancine Lejeune,Similes Wallonie- Un fils vit <strong>de</strong>puis un an dans la salle <strong>de</strong>séjour <strong>de</strong> la maison familiale, « squattant »en permanence le divan, y dormant, y mangeant,refusant d’en bouger <strong>et</strong> <strong>de</strong> se laver.- Une personne hésite à suivre son conjointdans sa démarche <strong>de</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong> mise enobservation <strong>de</strong> leur fille, qui présente <strong>de</strong>stroubles psychiques, <strong>de</strong>s hallucinations, <strong>de</strong>sdélires à tendance mystique. La personnemala<strong>de</strong> refuse <strong>de</strong> se reconnaître comm<strong>et</strong>elle ; elle ne fait <strong>de</strong> tort à personne mais lecertificat du psychiatre est formel. La misesous protection est, hélas, la seule possibilitéexistante <strong>de</strong> traiter au mieux <strong>et</strong> au plus tôt cequi est peut-être un épiso<strong>de</strong> unique <strong>de</strong> troublesschizophréniques qui pourrait être suivid’une rémission complète.- Un mari a dû quitter sa femme après 14ans <strong>de</strong> vie commune, vu l’impossibilité pourses enfants encore jeunes <strong>et</strong> lui <strong>de</strong> vivre avecson épouse, mala<strong>de</strong> psychique. Celle-ci nefaisait plus rien à la maison, négligeait sesenfants <strong>et</strong> refusait <strong>de</strong> voir un mé<strong>de</strong>cin. L’ai<strong>de</strong>d’un administrateur provisoire <strong>de</strong> biens <strong>et</strong>d’une assistante sociale du CPAS n’y a rienchangé. C<strong>et</strong> homme se <strong>de</strong>man<strong>de</strong> que fairepour que son épouse consulte un mé<strong>de</strong>cin.« La loi est mal faite, dit-il. C’est en quelquesorte non-assistance à personne en dangerque <strong>de</strong> ne pas intervenir, sous prétextequ’elle ne constitue pas un risque pour ellemême<strong>et</strong> pour les autres ».- Un couple âgé, dont le mari souffrait d’unegrave maladie, avait un fils schizophrène quisaccageait régulièrement l’appartement familial<strong>et</strong> en était venu à j<strong>et</strong>er ses parents <strong>de</strong>hors,la nuit, en exerçant sur eux <strong>de</strong>s violences.Les essais d’hospitalisation ne servaient àrien car, <strong>de</strong>vant le juge <strong>et</strong> le psychiatre, lemala<strong>de</strong> donnait l’impression d’être « normal »,les trompant ainsi sur son état. Il était doncchaque fois renvoyé chez ses parents. Cesont les services sociaux qui, s’étant aperçusdu véritable calvaire vécu par le couple, sesont résolus à hospitaliser en gériatrie ces<strong>de</strong>ux parents épuisés, afin <strong>de</strong> les protéger.Ce n’est que bien plus tard que le fils a enfinaccepté <strong>de</strong> se faire hospitaliser.Quand on parle d’urgences en psychiatrie,nous les voyons sous <strong>de</strong>ux aspects, selonl’état <strong>de</strong> nos mala<strong>de</strong>s. En eff<strong>et</strong>, une caractéristiqu<strong>et</strong>ypique <strong>de</strong>s psychoses est le manque<strong>de</strong> reconnaissance <strong>de</strong> sa maladie par lapersonne qui en est atteinte.S’il tombe sous le sens qu’une personnequi ne se sent pas bien du tout <strong>de</strong>man<strong>de</strong> àvoir un mé<strong>de</strong>cin d’urgence, c’est une autreaffaire que <strong>de</strong> faire adm<strong>et</strong>tre à une personneen proie à une phase maniaque, à <strong>de</strong>s hallucinations,ou à un délire, qu’elle doit êtreprise en charge d’urgence par un serviceapproprié, vu les difficultés qu’elle cause àson entourage ou les situations dangereusesdans lesquelles elle se m<strong>et</strong>.Dans le premier cas, avec <strong>de</strong> la chance,la personne se présentera d’ellemêmeaux urgences d’un hôpital général<strong>et</strong> sera, au besoin, orientée vers unC.H.P. ou vers <strong>de</strong>s soins ambulatoires.Malheureusement, <strong>de</strong> tels exemples sontrares parmi les cas évoqués par les membres<strong>de</strong> Similes lors <strong>de</strong> nos groupes <strong>de</strong> parole. Lamajorité <strong>de</strong>s familles en difficulté se trouveconfrontée à une première poussée <strong>de</strong> psychoseou à une rechute accompagnées d’hallucinations<strong>et</strong> <strong>de</strong> délires parfois violents.Souvent, les familles, qui vivent avec leurproche mala<strong>de</strong> 24h/24 ont pressenti la gravité<strong>de</strong> leur état bien avant les mé<strong>de</strong>cins.Or, quand, par chance, on parvient à leurfaire consulter un généraliste ou un psychiatre,ils se présentent tout différents <strong>de</strong>ce qu’ils sont en famille <strong>et</strong> « trompent leurmon<strong>de</strong> ». Comme la communication entreentourage <strong>et</strong> professionnel <strong>de</strong> la psychiatrieest encore souvent bien difficile, la situationdu mala<strong>de</strong> s’aggrave <strong>de</strong>vant ses prochesconsternés <strong>et</strong> impuissants. Il faut alors attendrela « catastrophe » (violences, tentatives<strong>de</strong> suici<strong>de</strong>, perturbations <strong>de</strong> l’ordre public,<strong>et</strong>c.) pour qu’enfin soit mise en route la seulesolution possible : la mise sous protection.(Je ne parlerai pas <strong>de</strong>s cas où le mala<strong>de</strong>comm<strong>et</strong> un délit <strong>et</strong> se voit passer sous lerégime <strong>de</strong> la défense sociale).Ainsi s’explique pourquoi c<strong>et</strong>te mesure <strong>de</strong>protection, dans plus <strong>de</strong> 90 % <strong>de</strong>s cas, alieu selon la procédure d’urgence <strong>et</strong>, tropsouvent, dans <strong>de</strong>s circonstances très péniblespour le mala<strong>de</strong> <strong>et</strong> ses proches quil’aiment <strong>et</strong> se sentent coupables <strong>de</strong> le voirainsi emmené <strong>de</strong> force. Une fois calmépar <strong>de</strong> puissants sédatifs, il arrive souventqu’au terme du 7 ème jour d’hospitalisation, sasortie soit décidée sans qu’un traitement <strong>et</strong>un suivi adéquats aient pu être mis en place.En eff<strong>et</strong>, le juge, les avocats, les psychiatresmême, se laissent souvent impressionnéspar les dénégations empreintes <strong>de</strong> bonne foi<strong>et</strong> les arguments pertinents du mala<strong>de</strong>, quiapparaît alors comme victime d’un entourageborné ou hostile. Bien souvent, on est repartipour un autre cycle qui aboutira <strong>de</strong> nouveauà une hospitalisation sous contrainte.Proches <strong>et</strong> usagers commencent à prendreconscience <strong>de</strong>s préjudices, voire <strong>de</strong>s traumatismesréels accompagnant ce « remueménage» médico-juridico-policier, cause d<strong>et</strong>ensions, d’angoisses <strong>et</strong> <strong>de</strong> violences parfoissubies par l’entourage <strong>et</strong> le mala<strong>de</strong> luimême.Tout en étant conscients <strong>de</strong> la nécessitéd’une loi visant à prévenir les abus qui ontpu se produire dans le passé <strong>et</strong> à protégerla personne mala<strong>de</strong> en premier lieu, nous20 Confluences n°11 septembre 2005
Fan<strong>et</strong>te Brueldéplorons le fait que c<strong>et</strong>te mise sous protectiondoive, dans la majorité <strong>de</strong>s cas, êtredécidée dans l’urgence.Lorsque quelqu’un est amené à l’hôpitalen état <strong>de</strong> <strong>crise</strong> délirante, c’est queson entourage n’a pas trouvé d’autremoyen <strong>de</strong> l’ai<strong>de</strong>r à se reprendre en main.L’hospitalisation sous contrainte peut doncêtre considérée a priori, comme un échec <strong>de</strong>sdispositifs d’encadrement <strong>et</strong> <strong>de</strong> soins dont lesparents <strong>et</strong> les proches <strong>de</strong>vraient faire partie.Pour alimenter la réflexion, j’évoquerai unnuméro du périodique <strong>de</strong> l’association EUFAMI(Fédération Européenne <strong>de</strong>s Associations<strong>de</strong>s Familles <strong>de</strong>s Mala<strong>de</strong>s Psychiques 1 ).Un article comparait les différentes législations<strong>de</strong> 6 pays <strong>de</strong> ce qui était encore la C.E.Au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong>s lois propres à chaque pays, c’estla volonté <strong>de</strong> traiter le problème <strong>de</strong> façon plushumaine qui m’avait impressionnée.L’accent est mis sur les divergences d’opinions.Patients, familles, professionnels <strong>de</strong> lapsychiatrie <strong>et</strong> <strong>de</strong>s soins <strong>de</strong> santé, assistantssociaux, policiers, journalistes <strong>et</strong> membresdu public ont souvent <strong>de</strong>s opinions très tranchéesqu’ils défen<strong>de</strong>nt avec véhémence.Il s’agit en eff<strong>et</strong> d’une question complex<strong>et</strong>ouchant aux droits <strong>de</strong> l’homme, à la philosophie,à l’éthique, à l’autonomie du patient, à laresponsabilité professionnelle <strong>et</strong> à la sécurité<strong>de</strong>s personnes, <strong>et</strong>c. L’agressivité non contrôléed’un mala<strong>de</strong> psychique, sa violence <strong>et</strong> sapeur concernent aussi la société. Quant auxfamilles, elles se r<strong>et</strong>rouvent piégées entreleur affection pour leur membre souffrant <strong>et</strong>leur crainte, comparable à celle du public,face à une maladie qu’elles ne comprennentpas bien.A Vienne, un groupe <strong>de</strong> travail composéd’usagers, <strong>de</strong> proches <strong>et</strong> <strong>de</strong> professionnels(infirmiers <strong>psychiatriques</strong>, psychiatres,juges, avocats <strong>de</strong> patients) s’est rencontrérégulièrement pendant plus d’un an. Un <strong>de</strong>sparticipants, usager <strong>de</strong> longue date <strong>de</strong> lapsychiatrie, a fait forte impression en déclaranten son nom propre <strong>et</strong> au nom d’autresusagers, que le traitement sous contrainte,parfois accompagné <strong>de</strong> violence, avait nuigravement <strong>et</strong> plus longtemps à sa santémentale que sa psychose elle-même.La première conclusion <strong>de</strong>s discussions a étéqu’il était parfois aussi mauvais d’agir que <strong>de</strong>ne pas agir.Une <strong>de</strong>uxième conclusion est apparue : lameilleure façon <strong>de</strong> traiter le mala<strong>de</strong> <strong>et</strong><strong>de</strong> maintenir la sécurité <strong>et</strong> l’ordre publicétait <strong>de</strong> créer <strong>de</strong>s services mobiles d’interventionurgente fonctionnant 24h/24.(En 2001, il en existait dans une seule <strong>de</strong>sneuf régions d’Autriche, la Carinthie).Quand on considère les quelquescas vécus ci-<strong>de</strong>ssus, repris avec lesprécautions <strong>de</strong> confi<strong>de</strong>ntialité d’usage, parmitant d’autres dans les comptes rendus <strong>de</strong>nos groupes <strong>de</strong> parole, tout être doué <strong>de</strong> bonsens ne peut que constater le vi<strong>de</strong> à comblerdans les dispositifs <strong>de</strong> soins <strong>psychiatriques</strong>.Des équipes <strong>de</strong> soins d’urgence mobilesexistent déjà dans certaines régions du pays.Mais leur utilité n’est sans doute pas encorereconnue, puisqu’elles sont encore trop rares.Pourtant, elles éviteraient bien <strong>de</strong>s r<strong>et</strong>ardsdans le traitement <strong>de</strong>s maladies mentales.Les milieux <strong>psychiatriques</strong> ne s’accor<strong>de</strong>nt-ilspas à reconnaître que plus tôt on traite cellesci,meilleures sont les perspectives <strong>de</strong> guérisonou, du moins, <strong>de</strong> stabilisation ? Bien sûr,il faut <strong>de</strong>s budg<strong>et</strong>s importants pour les créer,former <strong>et</strong> payer un personnel spécialisé,efficace <strong>et</strong> motivé. Mais ne vaudrait-il pas lapeine d’évaluer <strong>et</strong> <strong>de</strong> comparer les frais <strong>et</strong> lespertes <strong>de</strong> temps énormes occasionnés parles mises sous protection inefficaces, avecceux qu’occasionnerait l’organisation d’équipesd’intervention d’urgence à domicile ? 1 Working Tog<strong>et</strong>her, issue 8. EUFAMI, Spring 2002.DOSSIERConfluences n°11 septembre 200521
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