crée <strong>de</strong>s situations anarchiques échappantaux pouvoirs publics, <strong>et</strong> cela, malgré lesdiscours officiels souvent lénifiants. Pourles populations <strong>de</strong> ces zones urbaines, lesservices d’urgence <strong>de</strong>s centres hospitaliersreprésentent les seuls véritables points <strong>de</strong>référence, bien loin <strong>de</strong> la fidélisation à unmé<strong>de</strong>cin <strong>de</strong> famille <strong>et</strong> à <strong>de</strong>s années-lumière<strong>de</strong>s réseaux <strong>psychiatriques</strong>.S’acquitter <strong>de</strong>s trop plein ?Il faut bien en convenir : les urgences <strong>de</strong>shôpitaux sont <strong>de</strong> plus en plus sollicitées pourpanser les plaies <strong>de</strong> nos sociétés : toxicomanes,SDF, perturbateurs en tout genre <strong>de</strong>l’ordre public… Les services <strong>de</strong> police ontpris l’habitu<strong>de</strong> d’y déposer ces gens étiqu<strong>et</strong>és« mala<strong>de</strong>s » parce qu’ils ne savent pas tropque faire d’eux. Pas assez perturbants pouraller en prison, pas assez bien pour resterauprès <strong>de</strong>s bons citoyens … Alors, pourquoipas la gar<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’hôpital ? L’ambiguïté du rôle<strong>de</strong>s urgences commence ici…Il faut d’abord que les urgences ne soientpas, par excellence, le lieu « où la penséene se pense plus <strong>et</strong> où l’exhortation à agirest constante ». Il faudrait que les urgencesne soient pas le simple vidoir, l’évacuateurmécanique <strong>de</strong>s trop-pleins :- <strong>de</strong> la police : vis-à-vis <strong>de</strong>s personnesdérangeantes <strong>et</strong> simplement bizarres.- <strong>de</strong>s juges : qui tiennent la gar<strong>de</strong> <strong>de</strong>l’hôpital pour un dépôt transitoire quand ilssomment <strong>de</strong>s toxicomanes d’entreprendre untraitement psychiatrique s’ils ne veulent pasterminer leur course à l’ombre.- <strong>de</strong>s familles : qui souhaitent annulerleur souffrance <strong>et</strong> qui exigent <strong>de</strong>s urgencesd’adm<strong>et</strong>tre le patient-désigné dans un hôpitalpromu au rang <strong>de</strong> liquidateur <strong>de</strong>s tensions…Quelqu’un a écrit, avec pas mal <strong>de</strong> justesse :« dans l’imaginaire collectif, seule la taille<strong>de</strong> l’énorme machine hospitalière autoriseà pouvoir lui confier en dépôt les énergies<strong>de</strong>structrices dont on cherche à se débarrasser»…Il faut pouvoir se positionner à contre-courant<strong>de</strong> la dynamique trop souvent présente auxurgences qui est une logique du vi<strong>de</strong>. Unebonne gar<strong>de</strong> serait une gar<strong>de</strong> vi<strong>de</strong>. Vi<strong>de</strong> dansle sens où le plein est toujours à venir…Le face à face :usager/soignantBref, voilà donc <strong>de</strong>s gens en <strong>crise</strong> qui arriventaux urgences…Le mé<strong>de</strong>cin qui les reçoit est généralementurgentiste, interniste, ou rési<strong>de</strong>nt (BMA).Il n’est pas <strong>de</strong> mon propos <strong>de</strong> dire que cesmé<strong>de</strong>cins ne se sentent pas concernés oùsont hostiles à ce type <strong>de</strong> pathologie, bienque <strong>de</strong> telles attitu<strong>de</strong>s ne soient pas vraimentexceptionnelles. Il faut convenir que, saufexception, ils y sont peu formés <strong>et</strong> que coulésdans le moule d’une mé<strong>de</strong>cine technicienn<strong>et</strong>riomphante, ils ont peu <strong>de</strong> goût pour les hurlements,la violence, la puanteur, la sexualitédébridée… La question fondamentale <strong>de</strong>l’institution hospitalière est souvent linéaire,répondant à un souci d’ordre médico-légal :peut-on prendre le risque <strong>de</strong> laisser repartirle patient ou doit-il être hospitalisé ?Dans c<strong>et</strong>te logique, le recours au psychiatres’impose donc, ou <strong>de</strong>vrait-on dire, <strong>de</strong>vraits’imposer. Ce n’est pas toujours le cas <strong>et</strong> cen’est pas toujours possible ; soit l’hôpital aun service <strong>de</strong> psychiatrie <strong>et</strong>, dès lors, il a unpsychiatre appelable, soit l’hôpital n’a pas <strong>de</strong>service <strong>de</strong> psychiatrie <strong>et</strong> il a alors peut-êtreun psychiatre appelable…Le délai d’intervention du psychiatre <strong>de</strong> gar<strong>de</strong>est souvent long : non seulement le patientou le groupe qui accompagne le patientle vit très mal, mais aussi le personnel duservice d’urgence dont la tolérance à ce type<strong>de</strong> problème est inversement proportionnelleaux nombres <strong>de</strong> cas somatiques qui le mobilisentdans le même temps. Le psychiatre <strong>de</strong>gar<strong>de</strong> n’est pas que rivé à son téléphone :généralement, il est en consultation <strong>et</strong> il n’estpas aisé <strong>de</strong> tout planter là pour s’encourir auchev<strong>et</strong> <strong>de</strong>s appelés <strong>de</strong> la <strong>de</strong>rnière heure…Résultat : le psychiatre n’arrive, quand ilarrive, qu’avec un certain délai. Le patient <strong>et</strong>les éventuels accompagnants doivent refairele tour du problème avec le psy, dans un<strong>et</strong>ension ou une irritation accrue par l’attente.Pour certaines urgences, qui ne sont pas<strong>de</strong> nature désespérée, quand le psychiatrearrive, le patient a déjà quitté la clinique…S’il est toujours là, le risque est grand que,pris par la hâte, par l’obligation, le psychiatrehospitalise un peu vite ou alors renvoie leproblème à un hypothétique suivi ambulatoire.Tout démontre que l’hospitalisation faiteaprès une anamnèse rapi<strong>de</strong>, voire bâclée,est bien moins fructueuse que celle qui a étécorrectement balisée <strong>et</strong> bien délimitée.De toute façon, l’image du psychiatre sort leplus souvent écornée <strong>de</strong>s salles d’urgence.Apparition tardive, légèr<strong>et</strong>é, dil<strong>et</strong>tantismesont les qualifications les plus acceptables…Ce n’est pas toujours faux, mais le personnel<strong>de</strong> l’urgence ne doit pas non plus s’exonérertrop aisément <strong>de</strong> sa propre réflexion,d’une introspection vis-à-vis <strong>de</strong> l’urgencepsychiatrique <strong>et</strong> surtout psycho-sociale. Il nedoit pas non plus négliger c<strong>et</strong>te idée sousjacentechez quelques-uns d’entre eux que lepsychiatre est avant tout l’élément capital <strong>de</strong>la fonction <strong>de</strong> vidange <strong>de</strong> l’urgence…Le scénario peut être pire parfois : la psychiatriesans psychiatre. L’hôpital sans psychiatreappelable : il y a bien un ou plusieurspsychiatres consultants, mais qui ne sontpas authentiquement intégrés à la gar<strong>de</strong>.Les décisions prises face aux urgences<strong>psychiatriques</strong> sont alors le fait <strong>de</strong> non-psychiatres,un peu comme si une décision opératoireétait prise par un non-chirurgien…Ce n’est pas tout. Psychiatre présent ou pas,on n’est pas tout à fait au bout <strong>de</strong> ses peinesquand l’hospitalisation ne peut se réaliser.- Il y a le patient qui ne consent pas à sonhospitalisation <strong>et</strong> veut s’en aller alors qu’ilserait logique qu’il soit hospitalisé.- Il y a le patient pour qui il n’y a plus <strong>de</strong>place en psychiatrie <strong>et</strong> qui doit dès lors êtreadmis dans un autre service. Avec l’évi<strong>de</strong>ntemauvaise humeur, voire le rej<strong>et</strong> <strong>de</strong>s mé<strong>de</strong>cinsdu service appelés à la rescousse.26 Confluences n°11 septembre 2005
- Il y a le patient en état d’agitation, voire <strong>de</strong>fureur, <strong>et</strong> dont l’état s’accor<strong>de</strong> mal à l’hôpitalgénéral, qui <strong>de</strong>vrait donc être admis dans unservice réputé plus fermé. Un hôpital psychiatriquepar exemple… La suspicion, pasforcément illégitime, d’être mis en présenced’un cas difficile, voire foireux, dissua<strong>de</strong> trèsgénéralement l’hôpital sollicité <strong>de</strong> donner sonaval à la <strong>de</strong>man<strong>de</strong>, tout au moins dans ledélai rapi<strong>de</strong> qui est implicitement souhaité.Si c’est un hôpital psychiatrique qui estsollicité, il est préférable que le psychiatre<strong>de</strong>man<strong>de</strong>ur ait noué <strong>de</strong> longue date <strong>de</strong> bonscontacts personnels avec le psychiatre <strong>de</strong>gar<strong>de</strong> à l’hôpital psychiatrique, faute <strong>de</strong> quoi,ce <strong>de</strong>rnier risque <strong>de</strong> n’avoir qu’une médiocresollicitu<strong>de</strong> vis-à-vis <strong>de</strong> son confrère, à qui, lecas échéant, il ne se fera pas faute <strong>de</strong> rappelerqu’il est aussi « service A »…- Il y a le patient pour qui, tout bien pesé,on estime qu’une mesure <strong>de</strong> mise en observation,c’est-à-dire un placement d’office,s’imposerait. La compréhension <strong>de</strong>s situations<strong>psychiatriques</strong> par les juristes est éminemmentvariable d’un juriste à l’autre, d’unsubstitut à l’autre. Sauf notable exception,c<strong>et</strong>te compréhension est <strong>de</strong> caractère minimaliste.Un juriste peut avoir le sens <strong>de</strong>l’urgence, encore faut-il arriver à le convaincrequ’il s’agit <strong>de</strong> maladie mentale. La situationpeut <strong>de</strong>venir kafkaïenne hors <strong>de</strong>s heuresouvrables ou encore durant les week-ends.Elle l’est encore un peu plus si le mé<strong>de</strong>cindépêché sur les lieux par le Procureur du Roientreprend d’avoir, sur la situation psychiatrique,<strong>de</strong>s états d’âme peu en phase avecceux du psychiatre <strong>de</strong>man<strong>de</strong>ur…- Il y a bien sûr l’arrivée généralementimpromptue, toujours dans le malaise, <strong>de</strong>stoxicomanes <strong>de</strong> toutes natures. Les urgences,même réelles, posées par les toxicomanessont souvent celles qui sont lesplus mal abordées par les urgences, toutpersonnel confondu. Même aussi par lespsychiatres… Il n’est pas exceptionnel quele simple vocable <strong>de</strong> toxicomanie signifie lerefus d’hospitalisation <strong>et</strong>, force est d’adm<strong>et</strong>treque les toxicomanes, eux-mêmes, désorganisés,imprévisibles, voire manipulateurs,contribuent par leur comportement aux rej<strong>et</strong>sdont ils sont finalement victimes.- Il y a les patients à malentendus, c’està-direceux pour qui l’attitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’hôpitalva constituer un malentendu. Un malentenduqui concernera soit le patient, soit sonentourage, soit encore le mé<strong>de</strong>cin-traitantvexé par l’attitu<strong>de</strong> hospitalière. Exemple :l’alcoolique qui n’a pas d’envie personnelle<strong>de</strong> sevrage mais qui est amené par sa familleexcédée. L’entourage ne comprend guèreque la clinique n’accepte pas illico celuiqu’il a eu tant <strong>de</strong> peine à amener jusque là.La famille fait si mal le partage entre la<strong>crise</strong> éthylique aiguë <strong>et</strong> la motivation ausevrage…Améliorer l’offre ensanté mentale ?Tout cela n’est pas propre à Tournai, àMouscron ou à Ath. Les mêmes problèmesse r<strong>et</strong>rouvent sans doute en bien d’autreslieux, avec <strong>de</strong> simples nuances <strong>de</strong> déclinaison.Est-il logique aujourd’hui que trois cliniquesà Tournai, sans même compter l’hôpital psychiatrique,accueillent <strong>de</strong>s urgences <strong>psychiatriques</strong>en agissant chacune pour son proprecompte, avec ses moyens <strong>et</strong> ses lacunespropres, sans la possibilité d’une gar<strong>de</strong> psychiatriqueintégrée ? Une telle gar<strong>de</strong> est sansdoute difficile à m<strong>et</strong>tre sur pied comme il estutopique d’avoir en permanence un psychiatresur place dans chacune <strong>de</strong>s cliniques.Mais est-il logique que, sur le même espacecarré, chacun tire sa p<strong>et</strong>ite couverture à soi,avec si peu d’interconnexion avec ceux d’àcôté parce que précisément ils sont d’à côté ?Est-il logique que les liens <strong>de</strong> l’hospitalier <strong>et</strong><strong>de</strong> l’extra-hospitalier soient si lâches qu’il faut<strong>de</strong>s journées <strong>de</strong> colloque pour leur rendrevie avant d’être remis en veilleuse jusqu’àl’occasion suivante ? La notion <strong>de</strong> réseau,qui évoque si fortement la maille <strong>et</strong> la trame,a-t-elle un sens autrement qu’à travers unconcept <strong>de</strong> philosophie psychiatrique ?Il est clair que l’hospitalocentrisme existe.Mais certaines structures extra-hospitalières,si promptes à dénoncer c<strong>et</strong> hospitalocentrisme<strong>et</strong> les démesures qu’il suscite,ne doivent-elles pas aussi s’interroger sanscomplaisance sur leur lenteur <strong>et</strong> parfois leurinconséquence ? L’assistance sociale quirefait parfois son unité lézardée dans unedénonciation anecdotique <strong>de</strong>s errementsmédicaux, donne-t-elle toujours la pleinemesure <strong>de</strong> son temps <strong>et</strong> surtout <strong>de</strong> sonefficacité ?Utopie ou absence<strong>de</strong> volonté ?Nous n’arriverons à rien <strong>de</strong> mieux que ce quiest aujourd’hui si nous persistons à resterchacun dans notre coin <strong>et</strong> à fonctionner envase clos, n’ouvrant le vase qu’en cas <strong>de</strong>débor<strong>de</strong>ment aigu… Si nous pensons vraimentque les situations <strong>de</strong> <strong>crise</strong> psychiatriquepeuvent <strong>et</strong> doivent être mieux gérées, il fautchanger les choses. Ces urgences <strong>psychiatriques</strong>un peu bâclées, un peu trop viteconclues en hospitalisation, c<strong>et</strong>te dimensionpolymorphe <strong>de</strong> la <strong>crise</strong> qui nous échappedès l’entrée parce que nous n’avons passimplement le temps <strong>de</strong> l’entr<strong>et</strong>ien, ces renvoisà un aléatoire suivi ambulatoire, c<strong>et</strong>emps « social » <strong>de</strong> la <strong>crise</strong> qui ne sera prisen compte qu’avec une latence souvent bientrop gran<strong>de</strong>, tout cela fait un travail dont nousmesurons bien, profondément, l’insuffisance.Il y a pourtant une faisabilité à l’urgencepsychiatrique si l’hôpital consent à luidonner plus <strong>de</strong> sens <strong>et</strong> si le dialogues’étoffe entre psychiatres <strong>et</strong> urgentistes.Bien sûr, cela a un coût <strong>et</strong> ne sera peutêtrepas toujours facile. Est-ce pour autantpure utopie que <strong>de</strong> concevoir une gar<strong>de</strong>psychiatrique intégrée au départ <strong>de</strong>s compétences<strong>et</strong> <strong>de</strong>s bonnes volontés <strong>de</strong> chacun? 1 Ces chiffres sont extraits <strong>de</strong> la littérature : réf. bibliographiques3, 10, 11, 33DOSSIERConfluences n°11 septembre 200527
- Page 1 and 2: sommaire La santé mentale, une mat
- Page 4 and 5: Pierre Scholtissen, Atelier du CRF,
- Page 6 and 7: « Groupes thérapeutiques en rése
- Page 8 and 9: La prise en charge des mineurs en d
- Page 10 and 11: La loi de Défense Sociale : 75 ans
- Page 12 and 13: A vos agendas !Exposés, rencontres
- Page 14 and 15: Urgences psychiatriques etintervent
- Page 16 and 17: Si, en Belgique, les données sur l
- Page 18 and 19: D’une urgence à l’autreTémoig
- Page 20 and 21: Urgences psychiatriques :des proche
- Page 22 and 23: La solitude du médecin généralis
- Page 24 and 25: Profession : urgentisteLes situatio
- Page 28 and 29: Penser l’urgenceLa plupart des se
- Page 30 and 31: Quasiment pas. Nous travaillons ave
- Page 32 and 33: De la clinique de la souffranceà l
- Page 34 and 35: Les urgences en hôpital psychiatri
- Page 36 and 37: Illustration : 6Madame X, 91 ans, v
- Page 38 and 39: peute, le patient et son entourage
- Page 40 and 41: un travail de fond, que chaque part
- Page 42 and 43: à la demande de la police, d’un
- Page 44 and 45: caractérise l’aller-mal », que
- Page 46 and 47: Cathy Stein Greenblatc’est d’ab
- Page 48: Repères et références bibliograp