Les urgences en hôpital psychiatriqueL’urgence 1 , ou du moins son vécu,appartient à la personne en souffrancepsychique <strong>et</strong> à elle seule, mêmesi elle concerne souvent, aussi, l’entouragefamilial ou institutionnel <strong>et</strong> lemé<strong>de</strong>cin traitant… Dans une régionoù l’offre <strong>de</strong> soins reste limitée, l’hôpitalpsychiatrique est un point <strong>de</strong>chute pour nombre <strong>de</strong> situations en<strong>crise</strong>. Comment <strong>de</strong> part <strong>et</strong> d’autrevit-on c<strong>et</strong>te situation ?Henri BoonProfesseur <strong>de</strong> l’UMH, Psychiatre,Coordinateur au Centre UniversitaireProvincial 2 La Clairière à BertrixEn hôpital psychiatrique, la notion d’urgenceva <strong>de</strong> soi. Elle concerne unesituation sur trois environ, adressée leplus souvent par un mé<strong>de</strong>cin généralistequi, dans une région encore rurale, joue unrôle essentiel en santé mentale. Ces situationsd’urgence recouvrent une multitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> cas <strong>de</strong>figure, correspondant tantôt à <strong>de</strong>s problèmespsychopathologiques, tantôt à <strong>de</strong>s troublesorganiques, tantôt encore à <strong>de</strong>s fragilités liéesà <strong>de</strong>s évènements <strong>de</strong> vie auxquelles s’ajoutent<strong>de</strong>s situations familiales, sociales ou économiquescomplexes <strong>et</strong> dramatiques.L’accueil <strong>de</strong> la <strong>de</strong>man<strong>de</strong>A Bertrix, une permanence est assurée 24hsur 24 par un mé<strong>de</strong>cin <strong>de</strong> gar<strong>de</strong> ou, en journée,par une équipe comprenant psychiatre, infirmier,intervenant social <strong>et</strong> psychologue. Celle-cirencontre les besoins internes <strong>de</strong> l’hôpital maisrépond également aux <strong>de</strong>man<strong>de</strong>s urgentes <strong>de</strong>la région. Un partenariat est notamment établipour assurer le relais <strong>de</strong>s urgences <strong>de</strong> l’hôpitalgénéral <strong>de</strong> Libramont. Un nouveau système<strong>de</strong> consultation d’accès rapi<strong>de</strong> est en outreà l’essai, conjuguant réponse rapi<strong>de</strong> au téléphoneavec possibilité quotidienne (dans latranche horaire <strong>de</strong> 12 à 15h ) <strong>de</strong> ren<strong>de</strong>z-vousd’urgence pour toute personne en difficulté.L’urgence n’implique toutefois pas automatiquementl’hospitalisation. Elle suppose lamise en place d’un dialogue pour faire la part<strong>de</strong>s choses entre la <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>et</strong> la réponse.Une <strong>de</strong>man<strong>de</strong> d’hospitalisation peut en eff<strong>et</strong>cacher une <strong>de</strong>man<strong>de</strong> d’ai<strong>de</strong> ou <strong>de</strong> soins qui n’apas pu s’exprimer ou qui n’a pas été entendueauparavant. Elle peut aussi correspondre à une<strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’entourage à laquelle le patient nesouscrit pas.Une rencontre s’impose donc pour réfléchiravec la personne à l’ai<strong>de</strong> qui lui conviendrale mieux : en privé, dans un service <strong>de</strong> santémentale ou à l’hôpital ? La consultation mise enplace à c<strong>et</strong>te fin à Bertrix, avec le regard plurielqu’elle porte, perm<strong>et</strong> d’ouvrir ce dialogue dansune perspective qui perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> se décaler <strong>de</strong>l’urgence. Même si l’intérêt <strong>de</strong> l’hospitalisationse confirme, celle-ci pourra, parfois, être postposée<strong>de</strong> quelques jours <strong>et</strong> ainsi être mieuxacceptée par la personne qui aura - peut-être- pu en faire son proj<strong>et</strong>. Encore faudra-t-il aussi,dans c<strong>et</strong>te hypothèse, faire la différence entremilieu psychiatrique <strong>et</strong> section psychiatriqued’hôpital général plus apte, par ailleurs, à intervenirsur l’aspect organique <strong>et</strong> somatique <strong>de</strong>certaines urgences.La décision d’hospitalisationUne décision d’hospitalisation est toujours difficile,qu’elle soit prise par le patient lui-même,ses proches ou son mé<strong>de</strong>cin. Face à l’ambivalence,qu’est-ce qui perm<strong>et</strong>tra <strong>de</strong> faire le bonchoix ? La rencontre avec l’usager <strong>et</strong> ses prochessera décisive. Deux questions gui<strong>de</strong>rontla réflexion :1. Quelle est la <strong>de</strong>man<strong>de</strong> du patient <strong>et</strong> a-t-onles moyens d’y répondre ?2. N’y a-t-il pas moyen <strong>de</strong> faire autrement ?De c<strong>et</strong>te relation <strong>et</strong> du dialogue qui s’établitdécoule la négociation qui engagel’accès aux prises en charge adéquates,ambulatoires ou hospitalières. La décisionreposera sur une série <strong>de</strong> critères générauxqui viennent alimenter la réflexion <strong>de</strong>chacun : La souffrance psychique exacerbée <strong>de</strong> lapersonne ; Ses motivations ; Ses antécé<strong>de</strong>nts <strong>psychiatriques</strong> ; La notion <strong>de</strong> danger pour le patient ou pourautrui ; L’impossibilité ou l’échec <strong>de</strong> toute prise encharge ambulatoire ; Le contexte <strong>et</strong> la qualité du soutien social ; La possibilité pour l’hôpital d’offrir les services<strong>et</strong> les moyens adéquats ; La disponibilité <strong>de</strong>s lits appropriés ; La surcharge <strong>de</strong> l’équipe ; Ou l’obligation légale(Mise en Observation).L’hospitalisationL’hospitalisation psychiatrique est donc soitvolontaire soit imposée mais toujours transitoire.Son objectif principal est <strong>de</strong> perm<strong>et</strong>treune mise au point diagnostique <strong>et</strong> un proj<strong>et</strong>thérapeutique. Elle vise à poser un cadreperm<strong>et</strong>tant au patient <strong>de</strong> se restructurer <strong>et</strong> <strong>de</strong>prendre ses repères. Ici aussi, s’impose undialogue permanent avec tout qui est concernépar ce proj<strong>et</strong>. Pour le patient, il s’agira <strong>de</strong>poser un acte <strong>de</strong> soins, d’engager une prise encharge intensive dont la durée est limitée dansle temps, mais surtout <strong>de</strong> perm<strong>et</strong>tre un tempsd’élaboration. Pour les professionnels, le tempsd’hospitalisation sera celui du proj<strong>et</strong> thérapeutique; pour l’entourage, un temps <strong>de</strong> concertation<strong>et</strong> pour les intervenants <strong>de</strong> première ligne,un temps <strong>de</strong> collaboration…L’hospitalisation est avant tout un lieu <strong>de</strong> vie ;un lieu <strong>de</strong> vie transitoire où, dès l’entrée, onpense à la sortie en utilisant les possibilités duréseau interne (hospitalisations séquentielles<strong>de</strong> semaine <strong>et</strong> <strong>de</strong> jour, voire transfert d’unité) <strong>et</strong>du réseau externe (structures alternatives, HP,mé<strong>de</strong>cin généraliste ou spécialiste, autres…).Autant que ce soit bien pensé…Autant exploiter l’urgence pour m<strong>et</strong>tre en place<strong>de</strong> quoi garantir le long terme ! 1 La notion d’urgence se réfère ici à la définition du groupe<strong>de</strong> travail <strong>de</strong> la commission <strong>de</strong>s maladies mentales (1991) :« L’urgence en psychiatrie est une <strong>de</strong>man<strong>de</strong> dont la réponsene peut être différée : il y a urgence à partir du momentoù quelqu’un se pose la question, qu’il s’agisse du patient,<strong>de</strong> l’entourage ou du mé<strong>de</strong>cin : elle nécessite une réponserapi<strong>de</strong> <strong>et</strong> adéquate <strong>de</strong> l’équipe soignante afin d’atténuer lecaractère aigu <strong>de</strong> la souffrance psychique ».2 Le CUP est un hôpital psychiatrique général <strong>de</strong> 200 lits.Il accueille <strong>de</strong>s personnes en souffrance psychique aiguë<strong>et</strong> chronique34 Confluences n°11 septembre 2005
Personnes âgées : l’urgence plus urgenteEst-ce l’image <strong>de</strong> lenteur associée au vieillissement qui déteint sur lespratiques <strong>de</strong>s professionnels ?Trop souvent, les intervenants du secteur <strong>de</strong> la santé sous-évaluentla <strong>crise</strong> <strong>et</strong> l’urgence chez les personnes âgées, travaillent dans uneperspective <strong>de</strong> chronicité, font preuve d’attentisme (« ça va passer »),<strong>de</strong> passivité (« c’est normal, c’est l’âge »), <strong>de</strong> défaitisme voire <strong>de</strong> cynisme(quand on annonce l’âge du patient, il n’y a plus <strong>de</strong> place…).Or, s’il est important à tout âge <strong>de</strong> prendre au sérieux les situations <strong>de</strong><strong>crise</strong> <strong>et</strong> <strong>de</strong> ne pas les laisser se dégra<strong>de</strong>r, chez les personnes très âgées,généralement plus fragiles, tout déséquilibre psychique non traité estsusceptible d’entraîner rapi<strong>de</strong>ment <strong>de</strong>s conséquences catastrophiques.Françoise Duesberg,Sociologue,Coordinatrice <strong>de</strong> la Plate-forme <strong>de</strong> concertation en santé mentale du Brabant <strong>wallon</strong>Ce thème <strong>de</strong> l’« urgence souventplus urgente » en gériatrie est traitédans l’ouvrage collectif : « Quandle temps s’accélère. Urgence <strong>et</strong><strong>crise</strong> chez la personne âgée » 1 . C<strong>et</strong> articles’en inspire largement. Il s’appuie égalementsur l’expérience acquise par la Plate-forme<strong>de</strong> concertation en santé mentale du Brabant<strong>wallon</strong> au cours <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux proj<strong>et</strong>s-pilotes, l’unconsacré à la santé mentale <strong>de</strong>s personnesâgées, l’autre à la prise en charge <strong>de</strong>s situations<strong>de</strong> <strong>crise</strong> dans un hôpital général.Grand âge, fragilité,théorie <strong>de</strong>s dominosSi l’on considère la <strong>crise</strong> comme « une ruptured’équilibre du système homéostatiquedu patient, aux niveaux physiologique, relationnelou intra-psychique » 2 , les personnesâgées sont particulièrement exposées : nonseulement elles vivent d’importantes modificationsbiologiques, mais elles sont aussiconfrontées à <strong>de</strong>s changements <strong>de</strong> l’image<strong>de</strong> soi, du rôle social ; à <strong>de</strong>s pertes matérielles,affectives ou symboliques, à l’angoisse<strong>de</strong> mort…Face à ces multiples menaces, la personneâgée est plus vulnérable, a plus <strong>de</strong> difficultésà répondre <strong>de</strong> façon adaptée aux rupturesd’équilibre, la « mauvaise » réponse entraînantrapi<strong>de</strong>ment en casca<strong>de</strong> d’autres déséquilibres<strong>de</strong> plus en plus dramatiques.L’image <strong>de</strong> chronicité associée au vieillissementne doit pas occulter la fréquence <strong>de</strong>ssituations <strong>de</strong> <strong>crise</strong> <strong>et</strong> particulièrement <strong>de</strong><strong>de</strong>ux pathologies :- les <strong>crise</strong>s anxieuses : phobies ; anxiétégénéralisée ; stress post-traumatique aprèsune agression, une chute… ; troubles <strong>de</strong>l’adaptation face à un décès, un déménagement…3- les <strong>crise</strong>s <strong>de</strong> confusion aiguë, à distinguerd’un début <strong>de</strong> démence : elles apparaissentbrutalement, sont souvent réversibles si ellessont soignées, ne résultent pas d’une lésionmais <strong>de</strong> causes multiples – somatiques,médicamenteuses, émotionnelles… 4Une p<strong>et</strong>ite cause peut avoir <strong>de</strong> grands eff<strong>et</strong>s<strong>et</strong> très vite, une personne âgée bien portante,sans antécé<strong>de</strong>nts <strong>psychiatriques</strong>, risque <strong>de</strong>réagir par un <strong>crise</strong> <strong>de</strong> confusion spectaculaireà la benzodiazépine administrée pour unegastroscopie <strong>de</strong> routine, ou aux médicamentsprescrits pour une infection urinaire.Troubles <strong>psychiatriques</strong>non i<strong>de</strong>ntifiés, urgencesous-estiméePlus encore que dans d’autres groupesd’âge, les troubles <strong>psychiatriques</strong> <strong>de</strong>s personnesâgées ne sont souvent diagnostiquésque beaucoup trop tard, alors que l’état dupatient est déjà fortement dégradé. « Chez lapersonne âgée, l’urgence est en premier lieudiagnostique » 5 .Mais le diagnostic n’est pas simple. Lestroubles <strong>de</strong> la santé mentale chez les personnesâgées sont fréquemment masquéspar <strong>de</strong>s symptômes somatiques : une agoraphobieattribuée à <strong>de</strong>s troubles moteurs,une anorexie jugée normale étant donné ladiminution d’activité due à <strong>de</strong>s douleurs rhumatismales…Ou bien, ils sont « expliqués »ou « excusés » par le vieillissement : tristesse,repli sur soi, désintérêt… considérés commefaisant partie <strong>de</strong>s « choses <strong>de</strong> la vie » ; <strong>et</strong> lavieille dame qui boit, « pourquoi lui enlever ceplaisir, la pauvre, elle n’a plus que ça… ».Si le trouble mental est i<strong>de</strong>ntifié, les proches<strong>et</strong>/ou les professionnels tar<strong>de</strong>nt souvent àintervenir… comme si le grand âge justifiait<strong>de</strong> prendre son temps… ou <strong>de</strong> ne rien faire.Dans le cas <strong>de</strong> la maladie d’Alzheimer,notamment, le délai entre les premiers signes<strong>et</strong> le diagnostic est souvent important <strong>et</strong> variesuivant les pratiques (par exemple, d’unemoyenne <strong>de</strong> dix mois en Allemagne <strong>et</strong> <strong>de</strong><strong>de</strong>ux ans en France). Or, les médicamentsactuels, même si leur efficacité est controversée,sembleraient mieux agir s’ils sont administréstrès tôt. Inversement, il est fréquentqu’une personne soit étiqu<strong>et</strong>ée « Alzheimer »sans réel diagnostic différentiel.DOSSIERConfluences n°11 septembre 200535
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