Penser l’urgenceLa plupart <strong>de</strong>s services d’urgence sont tentés <strong>de</strong> réduire l’état <strong>de</strong> <strong>crise</strong><strong>de</strong>s usagers qui ont recours à l’urgence <strong>de</strong> manière à renvoyer, chezeux, <strong>de</strong>s patients « stabilisés ». Stabilisés ?Peu à peu, <strong>de</strong>s initiatives nouvelles se m<strong>et</strong>tent en place pour accor<strong>de</strong>rune autre attention à ces situations, leur accor<strong>de</strong>r le temps nécessaire,leur donner sens.Inscrire aussi, si nécessaire, un début <strong>de</strong> prise en charge dans une perspectiveà plus long terme.Exemple à Liège, au Centre Hospitalier Régional La Cita<strong>de</strong>lle <strong>et</strong> auSicup, au Centre Hospitalier Universitaire <strong>de</strong> Charleroi.Rencontre avecEric Adam,Psychologue, Coordinateur du service d’urgences psycho-médico-socialesCHR La Cita<strong>de</strong>lle à LiègeQu’est-ce qui fait la spécificité <strong>de</strong> votre serviced’urgences ?Le Centre Hospitalier Régional La Cita<strong>de</strong>llecomprend un service d’urgences généralesqui accueille en moyenne, chaque jour, 220urgences mais aussi un service d’urgencespsycho-médico-sociales qui dépend à la foisdu service <strong>de</strong> psychiatrie <strong>et</strong> du service d’urgencesdans lequel il est intégré pour unequestion d’accessibilité aux soins. 13 à 14 %<strong>de</strong>s urgences y sont traitées, cela représenteen moyenne 25 urgences <strong>psychiatriques</strong> parjour, ce qui fait <strong>de</strong> nous l’un <strong>de</strong>s plus gros servicesd’urgences <strong>psychiatriques</strong> d’Europe.Vous dites être à la pointe <strong>de</strong>s servicesd’urgences sur le plan belge <strong>et</strong> même européen.Qu’est -ce qui vous différencie <strong>de</strong>sautres services ?L’offre est différente tant en termes d’infrastructureque <strong>de</strong> personnel. Nos services sontassez comparables en Belgique à ceux <strong>de</strong>Saint - Luc <strong>et</strong> <strong>de</strong> Saint - Pierre à Bruxelles.L’équipe du service d’urgences psychomédico-socialesse compose, en équivalentsPropos recueillis par Sylvie Gérard, IWSMtemps pleins : <strong>de</strong> six psychologues, d’uncoordinateur <strong>et</strong>, en équivalent mi-temps, d’unassistant social <strong>et</strong> d’un éducateur <strong>de</strong> rue.Cela nous perm<strong>et</strong> d’assurer la permanenced’un psychologue 24h sur 24, en plus d’unpsychiatre <strong>de</strong> gar<strong>de</strong> 1 , présent <strong>de</strong> 8h à 18h,cinq jours sur sept, <strong>et</strong> rappelable 24h sur 24.Quand je reviens d’un colloque à Montréal<strong>et</strong> que j’entends les américains donner leurscritères <strong>de</strong> qualités <strong>de</strong>s services d’urgence,on est pile poil <strong>de</strong>dans.C’est-à-dire ?Le fait <strong>de</strong> travailler en équipe pluridisciplinairenous perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> garantir une approchemédico-psycho-sociale professionnelle.Cela se traduit comment pour l’usager ?La personne en <strong>de</strong>man<strong>de</strong> d’ai<strong>de</strong> est d’abordreçue par le psychologue qui fait tout untravail d’analyse <strong>de</strong> la <strong>de</strong>man<strong>de</strong>. Nous cherchonsà m<strong>et</strong>tre en lumière ce qui a contextualiséle passage aux urgences. Le travailest également axé sur la thérapie <strong>de</strong> <strong>crise</strong> oùl’on apaise la souffrance tout en se servant<strong>de</strong> ce moment comme levier thérapeutiquepour initier <strong>de</strong>s processus <strong>de</strong> changementsqui amèneront la personne à une meilleuregestion <strong>de</strong> la <strong>crise</strong>.Dans un <strong>de</strong>uxième temps, le psychiatre intervient<strong>et</strong> complète l’approche diagnostique <strong>et</strong>thérapeutique. Commence alors un travail <strong>de</strong>concertation avec l’usager, le psychiatre <strong>et</strong> lepsychologue sur le <strong>de</strong>venir <strong>de</strong> sa problématique<strong>et</strong> <strong>de</strong> sa <strong>de</strong>man<strong>de</strong>.Ce travail <strong>de</strong> concertation repose sur unprincipe <strong>de</strong> triangulation qui est inhérent àtoute notre approche (la triangulation entre lepatient, l’interniste <strong>et</strong> le psychologue pour lesurgences somatiques dans le cadre notamment<strong>de</strong> tentatives <strong>de</strong> suici<strong>de</strong> ; avec le patient,le psy <strong>et</strong> le réseau extérieur pour préparer ler<strong>et</strong>our à domicile, …).Nous avons aussi développé 3 types d’outilspour effectuer ce travail d’urgence.Le premier outil, c’est ce que l’on appellele suivi <strong>de</strong> <strong>crise</strong>. C’est un service que l’onrencontre peu dans les services d’urgences« classiques » <strong>et</strong> qui offre la possibilité àl’usager <strong>de</strong> revenir quelques jours après sonpassage aux urgences, pour un suivi dansnos locaux. C’est assez important en termed’adhérence aux soins.Ces consultations sur ren<strong>de</strong>z-vous sont généralementassurées par le psychologue qui aréalisé le premier entr<strong>et</strong>ien avec le patient, enpartenariat avec le psychiatre. Cela perm<strong>et</strong>d’affiner le diagnostic, d’évaluer s’il a étépossible d’ai<strong>de</strong>r concrètement la personneen urgence <strong>et</strong> <strong>de</strong> m<strong>et</strong>tre en exergue tousles mécanismes sous-jacents à la <strong>crise</strong> afind’établir ce qu’il y a lieu <strong>de</strong> m<strong>et</strong>tre en place.Le second outil, c’est l’unité <strong>de</strong> <strong>crise</strong>.C’est une unité spéciale <strong>de</strong> 4 lits qui perm<strong>et</strong>une hospitalisation <strong>de</strong> courte durée (5 joursmaximum). Pour le moment, c’est un proj<strong>et</strong>pilote du Ministère <strong>de</strong> la Santé qui concerne28 Confluences n°11 septembre 2005
essentiellement les problématiques liées auxassuétu<strong>de</strong>s. Très prochainement, vraisemblablementen 2006 ou 2007, nous allonspouvoir étoffer ce service <strong>et</strong> passer à 10lits (issus <strong>de</strong> la reconversion <strong>de</strong> lits C <strong>et</strong> D)qui seront proposés aux personnes qui évoluentdans un environnement qui n’est passuffisamment soutenant que pour envisagerd’emblée un travail en ambulatoire mais suffisammentprésent ou pas assez dégradé quepour envisager une hospitalisation <strong>de</strong> longuedurée. Le fait d’avoir une unité <strong>de</strong> <strong>crise</strong> estpour nous un critère <strong>de</strong> qualité. Ce servicefonctionne avec une équipe composée d’unpsychologue, <strong>de</strong> 6 infirmières <strong>et</strong> d’un casemanager. C<strong>et</strong>te personne s’assure que latrajectoire <strong>de</strong> soins négociée dans le serviced’urgences tienne la route ; que le r<strong>et</strong>our àdomicile <strong>et</strong> le suivi en ambulatoire soit possible.C<strong>et</strong> agent <strong>de</strong> suivi fait donc le lien, là oùgénéralement l’usager est livré à lui-même. Ilpourra notamment questionner le refus d’unaccompagnement extrahospitalier ; interrogerle problème rencontré dans le service, luidonner sens ; accompagner les personnesqui présentent <strong>de</strong> plus gran<strong>de</strong>s pathologies<strong>psychiatriques</strong> <strong>et</strong> qui ont plus <strong>de</strong> difficultésà s’intégrer.Il y a 2 psychologues qui occupent c<strong>et</strong>tefonction chez nous. Il ne s’agit donc pas <strong>de</strong>s’assurer que le patient a un hypothétiqueren<strong>de</strong>z-vous hors hôpital mais <strong>de</strong> mener toutun travail sur le lien.Nous avions également mis en place ungroupe <strong>de</strong> <strong>crise</strong> qui poursuit le mêmeprincipe que le suivi <strong>de</strong> <strong>crise</strong> individuel maissur le mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> thérapie <strong>de</strong> groupe. C<strong>et</strong> outiln’est plus, pour l’heure, fonctionnel mais ilpourrait être ré-actionné si nos ressources,notamment en terme <strong>de</strong> personnel, nous leperm<strong>et</strong>tent. Ma priorité, actuellement, est<strong>de</strong> pouvoir asseoir correctement le proj<strong>et</strong> <strong>de</strong>base en assurant un service <strong>de</strong> gar<strong>de</strong>, 24hsur 24, par nos psychologues. C’est le cas<strong>de</strong>puis le 1er avril <strong>et</strong> nous souhaitons maintenirc<strong>et</strong>te permanence.Enfin, <strong>de</strong>rnier outil mis en place, c’est le travail<strong>de</strong> réseau. Nous avons créé récemmentune plate-forme <strong>de</strong> services d’urgences quiregroupe 3 centres hospitaliers : universitaire,chrétien <strong>et</strong> régional, qui partagent les mêmesoutils réseau.C’est un outil à part entière car le travailen réseau a été très formalisé. Moi, ce queje voulais éviter, c’est la logique du « bottinsocial ». Une personne se présente <strong>et</strong>, enfonction <strong>de</strong> l’intervenant qu’elle a en faced’elle, se voit préconiser un type d’orientationqui aurait été peut-être tout autre si elle avaitété chez un autre intervenant. En matièred’accessibilité aux soins, cela pose question.Je suis d’ailleurs interpellé face au fait que<strong>de</strong>s patients qui ont <strong>de</strong>s maladies <strong>psychiatriques</strong>graves, <strong>de</strong>s psychoses notamment, ser<strong>et</strong>rouvent dans <strong>de</strong>s abris <strong>de</strong> nuit alors que<strong>de</strong>s patients qui ont <strong>de</strong>s pathologies ditesplus psycho-sociales se r<strong>et</strong>rouvent dans leshôpitaux <strong>psychiatriques</strong>. C’est assez particulier!Comment se traduit ce travail <strong>de</strong> réseau ?Il est axé sur 3 principes particuliers :Un principe <strong>de</strong> territorialité qui n’est pascelui <strong>de</strong> secteur <strong>de</strong> la psychiatrie françaisemais qui se base sur la notion <strong>de</strong> territoire virtuelqui englobe l’ensemble <strong>de</strong>s liens sociauxqu’un patient a pu tisser sur un territoiredonné, qui est souvent celui lié à son domicilemais pas forcément.Pourquoi c<strong>et</strong>te notion ? Parce que l’on vatravailler, au travers <strong>de</strong> nos entr<strong>et</strong>iens, sur larevalorisation <strong>de</strong>s liens résiduels.Ce travail <strong>de</strong> réseau se base aussi sur unprincipe <strong>de</strong> pluri-orientation pour dépasserle face à face soignant-soigné <strong>et</strong> proposerune approche beaucoup plus pragmatiquepar rapport aux difficultés vécues par l’usager.Approche qui ne relève peut-être passpécifiquement du soin ou <strong>de</strong> la thérapiemais qui peut être liée à une difficulté <strong>de</strong>réinsertion qui ne trouvera pas réponse dansle cabin<strong>et</strong> d’un psy privé. Il nous arrive parfois<strong>de</strong> travailler, au départ <strong>de</strong>s urgences <strong>et</strong>dans le cadre <strong>de</strong> ce travail <strong>de</strong> réseau, directementavec <strong>de</strong>s Centres <strong>de</strong> RéadaptationFonctionnelle. Il s’agit donc <strong>de</strong> veiller à ceque tous les professionnels <strong>et</strong>/ou servicesqui sont approchés répon<strong>de</strong>nt réellement auxbesoins <strong>de</strong> la personne <strong>et</strong> <strong>de</strong> pointer ce quiparfois, dans une dynamique institutionnelle,a fait défaut au point d’amener la personneaux urgences. Car le recours aux urgencespeut être l’illustration <strong>de</strong> défaillance dusystème <strong>de</strong> soins. Certains services sontparfois mis a mal par les patients qui n<strong>et</strong>rouvent pas leur « compte » dans ce qui leurest proposé, ce qui soulève la question pluslarge <strong>de</strong> l’offre <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’accessibilité aux soinsen santé mentale.Nous avons donc choisi, <strong>et</strong> c’est le 3èmeprincipe <strong>de</strong> notre approche en réseau, d<strong>et</strong>ravailler essentiellement avec <strong>de</strong>s partenairesavec lesquels nous sommes conventionnés,<strong>de</strong> manière à affiner notre procédureselon un mo<strong>de</strong> opératoire précis.Pour prendre un exemple : qui est responsabledu patient rési<strong>de</strong>nt à Flémalle qui seprésente aux urgences un vendredi à 19h30 ?Le Service <strong>de</strong> Santé Mentale <strong>de</strong> la régionpeut se présenter comme tel mais dire : « jene serai « responsable » que lundi parceque je n’ai pas les moyens <strong>de</strong> travailler leweek-end ». Notre service d’urgence qui estaccessible le week-end peut assurer le relaismais ne serait-il pas nécessaire qu’un professionnel<strong>de</strong> ce SSM s’assure préalablement<strong>de</strong> la pertinence <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te approche ; fasselien entre l’hôpital <strong>et</strong> l’ambulatoire <strong>et</strong> assureen quelque sorte la triangulation indispensableà une bonne prise en charge <strong>et</strong> à unsuivi effectif ?Ce mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> fonctionnement est-il opératoireaujourd’hui ?Il l’est avec le SSM <strong>de</strong> Flémalle, avec le Siajefqui a une unité disponible pour nous tous lesjours, avec les centres <strong>de</strong> réadaptation fonctionnelle<strong>de</strong> l’AIGS qui se présentent régulièrementici en entr<strong>et</strong>ien <strong>de</strong> triangulation,avec <strong>de</strong>s services sociaux qui, finalement,gèrent une patientèle psychiatrique lour<strong>de</strong>avec très peu <strong>de</strong> moyens. Nous travaillonsavec les partenaires qui sont preneurs. Tousne le sont pas.Y a- t- il un partenariat avec d’autres services<strong>de</strong> santé mentale ?DOSSIERConfluences n°11 septembre 200529
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