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Réunis pour la dixième<br />
fois dans Bonne Pomme,<br />
de Florence Quentin.<br />
En 2010, ils incarnent<br />
d’anciens amants qui se<br />
retrouvent dans Potiche,<br />
de François Ozon.<br />
et Belmondo a laissé passer. Comme Patrick Dewaere, et, à<br />
la même époque, Woody Allen – ou, dans un autre registre,<br />
Alain Souchon –, Depardieu s’impose comme une sorte<br />
d’anti-héros. » C’en est fini du mâle alpha. En 1976, dans<br />
La Dernière Femme, de Marco Ferreri, l’acteur s’émascule<br />
avec un couteau électrique, scène qu’on imagine mal ses<br />
prédécesseurs assumer. Le féminisme est passé par là. Les<br />
codes du masculin et du féminin ont basculé, et, dans le cas<br />
de Deneuve et Depardieu, ils tendent même à s’inverser. À<br />
lui, la grande carcasse d’où jaillit une voix étonnamment<br />
douce ; à elle, l’allure de bourgeoise contrebalancée par le<br />
débit mitraillette et la vie de femme libre, à l’écran comme<br />
dans la vie. Avec Deneuve et Depardieu, l’assignation des<br />
rôles ne semble plus aussi évidente. Dans Je vous aime, de<br />
Claude Berri, c’est elle qui hésite entre plusieurs hommes<br />
et mène la valse des sentiments. « Quand elle parle de lui<br />
en interview, elle semble d’ailleurs toujours vouloir le protéger<br />
», souligne Jean-Baptiste Morain. Jérémie Kessler,<br />
auteur de Catherine Deneuve, femme maison (éd. ENS) rapporte<br />
cette phrase qu’on prête à Depardieu : « Catherine,<br />
c’est l’homme que j’aurais voulu être. »<br />
Ils prennent des risques<br />
« Ce sont des acteurs qui n’ont pas peur d’oser, qui ne se<br />
protègent pas », estime Jean-Baptiste Morain, évoquant, a<br />
contrario, ces comédiens qui demandent la réécriture des<br />
scènes et exigent un droit de regard sur ce qu’imprime la<br />
pellicule. En 1988, ils se lancent tous les deux dans le premier<br />
long-métrage de François Dupeyron, Drôle<br />
d’endroit pour une rencontre, ayant majoritairement<br />
pour décor… une aire d’autoroute. Chacun<br />
de leur côté, ils ne rechignent pas à emprunter<br />
les chemins de traverse et à choisir des réalisateurs<br />
qui les invitent à jouer de leur image :<br />
Kervern et Delépine pour Depardieu, Ozon pour<br />
Deneuve. Et ils n’hésitent pas à sceller leurs retrouvailles…<br />
dans un épisode d’Astérix ! Bref,<br />
jamais là où on les attend.<br />
Ils incarnent plus qu’eux-mêmes<br />
« Dix films ensemble, ce n’est pas tant que cela,<br />
au regard de leur filmographie », note Jérémie<br />
Kessler. Alors comment expliquer la puissance<br />
de ce couple de cinéma ? Voilà 37 ans qu’ils se<br />
côtoient à l’écran, 37 ans que nous les regardons<br />
vieillir, que nous nous regardons vieillir aussi. Il<br />
y a quelque chose de nostalgique à contempler<br />
Deneuve et Depardieu à l’écran. Ainsi, dans Les<br />
temps qui changent comme dans Potiche, Téchiné<br />
et Ozon leur font jouer des couples qui ont été,<br />
dans leur jeunesse, mais qui ne sont plus. « Cette<br />
idée de nostalgie est finalement présente dès<br />
Le Dernier Métro », estime Jérémie Kessler. Et je<br />
n’y vois rien de péjoratif. Deneuve et Depardieu<br />
incarnent quelque chose de plus profond qu’euxmêmes<br />
: ils touchent à la conscience intime du<br />
spectateur. Désormais, il semble qu’on ne les<br />
choisisse plus seulement pour le personnage<br />
qu’ils incarneront, mais pour tous ceux qu’ils<br />
ont été. » Une position revendiquée par André<br />
Téchiné, qui la résume joliment ainsi : « Ils portent<br />
en eux le passé de leurs rôles ».<br />
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OCTOBRE 2017 14 mariefrance.fr