CAMILLE JACCOUX Planches de salut En 2020, le skieur et cofondateur des skis Black Crows, Camille Jaccoux, découvre la station de ski fantôme de Rio (Nouveau-Mexique). Et lance une série sur ces lieux d’altitude abandonnés. Quand une fin devient un début. Des lieux quittés en urgence, laissés dans un abandon soudain. En survolant le domaine skiable de Rio au Nouveau-Mexique (États-Unis), déserté depuis vingt ans, le photographe Chris Dahl-Bredine, recruté pour les besoins du tournage par Camille Jaccoux, raconte ces rivières qui se créent là où la neige se met à fondre, tous ces endroits aimés qui finissent par se rejoindre. Pour le cofondateur de la marque de ski Black Crows, Rio est un spot unique, mystique. Joe Musich, le gardien de la station fantôme depuis 2009 dit, lui, qu’il s’y passe des choses étranges, à 2 895 m d’altitude. « Tout a été laissé en plan, de la caisse enregistreuse au matériel de ski et de snowboard. Même les pistes sont restées plus ou moins en l’état », confirme Camille Jaccoux qui a produit avec le freeskieur Julien Régnier le premier épisode The Ghost Ski Resorts, appelé à devenir une série. « L’idée nous est venue il y a deux ans, lors d’un trip ski en Oregon. On nous a parlé de ces stations fantômes dans l’Est des États-Unis. Souvent des micro-domaines qui ont poussé comme des champignons dans les années 50 et 60 et qui ont disparu au fil du temps, pour des raisons économiques et/ou à cause du réchauffement climatique. » Camille Jaccoux se documente, et découvre que ces stations de ski fantômes existent dans le monde entier. Il s’intéresse surtout aux sites à l’architecture très présente, témoins d’un passé et d’une vie riches. « Avec Julien, nous avons eu envie de nous réapproprier un domaine mécanisé via le ski de randonnée. De rencontrer des gens qui ont vécu là, leur faire raconter leur histoire. En tant que skieur, vivant à Chamonix, ça me parle, je vois tous les jours des changements, des choses qui disparaissent, à cause du réchauffement climatique. Les éboulements se multiplient, la limite pluie-neige remonte, les glaciers reculent. En plaisantant, et de façon un peu cynique, je dis souvent que le ski, ce n’est pas un métier d’avenir… » Pourtant, son film dit clairement le contraire. Se réinventer. Créer. Ne pas écouter les empêcheurs de rider en rond. Rio : station fantôme Lodges, hôtels et condominiums désertés, remontées mécaniques rouillées : peu à peu, les chutes de neige qui atteignaient en moyenne 6,60 m chaque hiver sont devenues irrégulières à Rio, dont l’éloignement des principales grandes villes a précipité la faillite. La station de ski a fonctionné entre 1982 et 1990, puis entre 1995 et 2000. Le 9 janvier 2000, la vie de ce domaine familial, seul vivier d’emploi dans la région, s’est brutalement arrêtée. Les repas préparés ont pourri sur place, les lits faits l’ont été pour rien… The Ghost Ski Resorts, Chapter 1 à voir sur la chaîne YouTube de la marque de skis Black Crows. Dans le cas qui nous occupe, trouver spatule à son pied. Quand il lance Black Crows autour d’une table en 2006 avec le freeskieur Bruno Compagnet, de manière instinctive, l’industrie est ancienne et globalement assez conservatrice. « Black Crows, c’est un projet fait à la maison, par un petit groupe créatif. Ça a toujours été dur, intense, un truc de passionnés. Bien sûr, au début, on nous a dit que le ski, c’était mort, mais on avait envie de s’infiltrer dans une niche, avec comme seul plan marketing d’avoir des produits qui nous ressemblent, de bons skis qui collent à un besoin ressenti sur le terrain, qui font sens, qui parlent aux skieurs de la première benne, mais aussi à nos familles. À l’époque, aucun ski ne nous faisait vraiment rêver. On a eu plutôt raison de se lancer et d’y croire, car on est devenus la marque indépendante numéro un sur le marché du ski aujourd’hui. Il y a toujours des choses à faire C’est un peu à l’image de The Ghost Ski Resorts : tant que la neige sera là, les gens auront envie de skier. » Dans la vidéo, le photographe Chris Dahl-Bredine évoque ainsi le renouveau du ski de rando dans la région du Nouveau-Mexique. Cette idée de pouvoir malgré tout profiter de cette nature redevenue pure, intacte. Camille Jaccoux que l’on voit skier dans le film entre les plus grands trembles de la planète, constate cet appétit vers un retour au mouvement autonome, éloge de la lenteur. « Aujourd’hui, le ski de randonnée représente entre 30 et 35 % de nos ventes. Et ce phénomène monte en puissance partout… » Planches de salut ? Camille Jaccoux et ses stations fantômes prouvent en tous cas qu’il est possible de donner une seconde vie à ce qui semblait perdu. JULIEN REGNIER PATRICIA OUDIT 16 THE RED BULLETIN
« Tant que la neige sera là, les gens auront envie de skier. » THE RED BULLETIN 17