« Plus on mettra les femmes en avant, plus il y en aura qui réussiront. »
FELIPE BARBOSA Un homme pour parler de femmes ? Oui mais pas n’importe lequel. Depuis presque vingt ans, le journaliste Fif Tobossi, qui a cofondé le média de référence Booska-P, traîne dans les coulisses du rap français. En 2019, il a lancé une série de cinq portraits vidéo, Les Femmes du rap, pour mettre en avant les businesswomen qui comptent dans l’industrie, et au passage balayer certains clichés sur les cultures urbaines. Pour The <strong>Red</strong> <strong>Bulletin</strong>, Fif nous raconte les motivations qui l’ont poussé à se mobiliser pour ses collègues féminines, avant de nous présenter dix figures qui sont en train de changer le rap français, dans l’ombre ou sous les feux de la rampe. the red bulletin : Qu’est-ce qui vous a poussé à lancer cette série consacrée aux femmes du rap ? fif tobossi : Ça a commencé il y a quelques années : dans une soirée, je me suis retrouvé entouré d’amies qui travaillent dans l’industrie et qui m’ont demandé de faire plus de sujets sur les filles. L’idée a mûri, et en 2019, après l’épisode Booba vs Kaaris à Orly, j’ai entendu les grands médias évoquer l’histoire du rap, en disant que c’était un milieu misogyne, en sortant des textes de leur contexte. C’est à ce moment que j’ai décidé de faire mon enquête, d’aller voir les filles du rap et leur demander leur avis sur leur place et le sexisme dans cette industrie. On parle souvent à la place des femmes, donc j’ai décidé de leur donner la parole. Et d’après elles, si, dans le rap, il peut y avoir des mauvais comportements individuels, il n’y a pas de misogynie institutionnelle, comme on peut le voir dans d’autres milieux comme le cinéma ou la musique classique. « On voit de plus en plus de femmes, et surtout des femmes qui font du bruit. » C’est aussi un sujet qui vous concerne personnellement. ? Oui, j’ai été élevé par ma mère, seule, j’ai une fille de dix ans, et j’ai envie qu’elle soit fière de moi. Peut-être que ma fille aura envie de travailler dans le milieu du rap, mais pour cela, il faut qu’elle ait des modèles, et c’est ce qui m’a fait prendre conscience de la nécessité de mettre les femmes en avant. Je sais que ça peut paraître discriminant de présenter uniquement des femmes, mais c’est nécessaire pour faire évoluer la situation. Il faut le faire jusqu’à ce que ça devienne normal. En plus de la série Les Femmes du rap avec Mouv’ (dont la saison 2 arrive en février), vous travaillez sur un documentaire sur le même sujet. Oui, ce sera un plus long format, probablement un 90 minutes, avec des artistes, des managers, etc., des filles et des garçons qui évoquent la relation entre le rap et les femmes. Avec ce documentaire, je veux montrer qu’il y a plein de femmes qui entreprennent des projets et que le public ne connaît pas. J’espère que ça va débloquer les choses. Qu’est-ce qui manque pour qu’il y ait plus de femmes artistes dans le rap ? C’est compliqué pour un être humain de se lancer dans un projet artistique, on a peur d’être jugé, et j’ai l’impression que les filles se posent plus de questions que les garçons avant de se lancer. Pourquoi ? Parce qu’elles vont peut-être se faire attaquer sur leur physique, alors que ça n’arrivera jamais pour un homme. Aya Nakamura a fait avancer les choses, c’est la première femme noire qui a un tel succès. Et quand on voit les critiques parfois racistes qu’elle reçoit… Mais la situation a changé pour les femmes dans les musiques urbaines. Avant, on avait une tête d’affiche et des artistes plus underground. Aujourd’hui, il y a Aya Nakamura, Wejdene, Le Juiice, Meryl, Chilla, Doria, Lous and the Yakuza… On voit de plus en plus de femmes et surtout des femmes qui font du bruit. Et ça motive les jeunes qui veulent se lancer. Plus on mettra les femmes en avant, plus il y en aura qui réussiront. THE RED BULLETIN 35