Fondé en 2012, le Bureh Beach Surf Club est le 1 er club de surf de la Sierra Leone. « Quand on a ouvert, très peu savaient ce qu’était le surf », dit son co-fondateur Jahbez Benga. Absolument. Personne n’avait vu venir le fameux « tsunami brésilien » : les Brésiliens, ils dérangeaient un peu, parce qu’ils étaient différents culturellement. Leur passion du surf était différente, et personne ne comprenait tout ce que ça leur avait coûté d’atteindre le niveau mondial. Quand la vague brésilienne a déferlé en 2011, elle a tout chamboulé sur son passage : la communauté surf a eu du mal à encaisser et à accepter cette nouvelle domination et le niveau de performance des Brésiliens, à tel point qu’ils ont même cherché à « excuser » ce style [sud-américain]. Je n’ai jamais cru que les Brésiliens pourraient intégrer les équipes des plus grandes marques mondiales, mais aujourd’hui, c’est eux qui dominent les championnats du monde. Et je pense que le tsunami africain est en train de se former. L’Afrique est un vaste continent avec une population jeune : la question n’est donc pas de savoir si la vague va déferler, mais plutôt quand. Pourquoi maintenant et pas dix ans plus tôt ? Parce que maintenant, on a des exemples à suivre : en 2018, le Sud-Africain Mikey February est ainsi devenu le premier Africain noir à participer aux Championnats du monde. Un événement qui a ouvert la voie à des tas de gosses, partout sur le continent, ainsi qu’aux surfeurs noirs à travers le monde. C’était grandiose. Avant Mikey, ils ne savaient pas qu’eux aussi pouvaient faire comme lui : en Afrique, le surf était considéré, d’un point de vue historique, comme un sport de Blancs. Pour quelle raison ? En Afrique du Sud, par exemple, c’était un sport qui faisait l’objet d’une stricte séparation sous l’Apartheid : je me souviens avoir été arrêté à North Beach près de Durban en 1991. C’était peu après l’abrogation du Separation Act (le Group Areas Act, qui assignait les différentes communautés raciales à des zones urbaines spécifiques, ndlr), donc techniquement, j’étais autorisé à aller sur cette plage. Mais l’idée de me voir là en train de m’adonner à « leur sport » en toute tranquillité, c’était insupportable pour les flics, et ils m’ont observé pendant trois jours avant de trouver un prétexte quelconque pour pouvoir m’arrêter. Voilà comment c’était, à l’époque. Je me souviens, dans un hôtel, être arrivé à la « Historiquement, en Afrique, le surf était considéré comme un sport de Blancs. » réception avec ma planche de surf sous le bras : d’un coup, tout s’est figé, plus personne ne bougeait, et tous les regards étaient fixés sur moi. C’était quelque chose que les gens n’avaient pas l’habitude de voir. Dans le livre, plusieurs surfeurs soulignent le fait qu’une des grandes caractéristiques de la culture surf africaine, c’est justement qu’il n’y ait pas de culture, et qu’ils l’inventent au fur et à mesure. C’est vrai. Sans cette imagerie et ces clichés autour du surf propagés par les magazines et par des traditions qui te dictent ce qu’il faut faire ou penser, on peut avoir une approche différente. C’est dans cet espace de dilettantisme et de nouveauté que la magie opère. Il en est de même en art, en musique et dans la vie en général : l’absence de structures dogmatiques – réelles ou perçues – qui te dictent ce qui est juste ou non, a toujours été propice à l’émergence de bouleversements culturels. Il y a pourtant bien un point commun à tous les surfeurs interviewés dans Afrosurf : c’est cette connexion spirituelle qui les lie à l’océan. Dans la culture africaine, le surf n’est pas considéré comme un simple passetemps sexy, il y a un profond respect pour l’océan. Dans sa jeunesse, quand mon père a commencé à partir en tournée dans les townships d’Afrique du Sud, ma grand-mère lui demandait une seule chose : de lui rapporter des bocaux remplis d’eau de mer de différentes provinces, qu’elle conservait chez elle, dans son salon. Mon père a également composé une ode à Mami Wata, l’énergie spirituelle de l’océan. Cet aspect spirituel se reflète-t-il dans la façon dont les Africains abordent le surf ? Dans les cultures indigènes, le sentiment de communauté et de proximité est omniprésent. En Afrique du Sud, la philosophie Ubuntu est fondée sur ce lien de partage qui unit toute l’humanité. En appliquant cette philosophie au surf, on ne peut qu’obtenir quelque chose de radicalement différent. Un tel esprit de communauté fait-il de vous un meilleur surfeur ? Si vous regardez les meilleurs surfeurs du monde, quelles que soient leurs origines MAGNUS ENDAL, MARCO GUALAZZINI 58 THE RED BULLETIN
« La question n’est pas de savoir si la vague africaine va déferler, mais plutôt quand. » En 2015, le photographe Marco Gualazzini s’est rendu en Somalie, à Mogadiscio (en haut), ravagée par la guerre. Aujourd’hui, la plage du Lido (à gauche), fréquentée par les femmes, les surfeurs et les jeunes Somaliens, est devenue le symbole de la renaissance de la ville : un signe d’espoir pour le pays. THE RED BULLETIN 59