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Kearsarge a-t-il été signalé au large de Cherbourg, que Semmes lui fait savoir
immédiatement et sans se gêner de son intention de désobéir aux instructions de
son ministre, en l’occurrence d’éviter un engagement avec les croiseurs ennemis.
Semmes se serait pétrifié dans un silence littéralement autiste pendant que son
second lui rappelait que les canons du Kearsarge étaient plus puissants que les
leurs, qu’il était plus solidement bâti que l’Alabama et qu’un récent exercice avait
démontré que deux sur trois de leurs obus n’explosaient pas en percutant leur cible.
Usant de l’absurde argument qu’autorise le grade, Semmes clôtura leur entretien en
rétorquant sèchement à son interlocuteur : J’enrage de fuir sans cesse devant leur
damné drapeau (…) Je prendrai le risque, même à raison d’une chance sur trois !
L’interview de Semmes par le journaliste Alfred Branham parut presque
simultanément dans l’Eatonton Georgia Messenger et dans l’Atlanta Constitution
puis dans le fameux Times de Londres.
Les déclarations du premier lieutenant John McIntosh Kell sur l’entêtement
forcené de son supérieur hiérarchique, l’historien américain Norman C. Delaney les
analyse dans son texte John McIntosh Kell qu’il a publié en 1973. Cet apparent
revirement de Kell - rien de moins que le commandant en second de l’Alabama -
vis-à-vis de son ancien capitaine ressortit à la fois à un problème de hiérarchie et au
contexte politique de l’immédiat après-guerre. Tant que les dernières armées
confédérées n’avaient pas déposé les armes, Kell restait soumis à la discipline
militaire qui lui interdisait de critiquer celui qui demeurait son supérieur
hiérarchique. Après les redditions des ultimes forces confédérée et surtout lorsque
Semmes fut arrêté sur ordre du ministre Gideon Welles, qui ordonne de s’assurer
de lui à son domicile et de l’incarcérer dans la prison de l’Old Capitol à Washington
D.C. en attendant d’être produit devant un tribunal pour violation des usages de la
guerre, Kell aurait eu à redouter la réprobation générale et aurait été qualifié de
traître s’il avait émis des considérations peu flatteuses sur un « martyr de la Cause ».
Nous verrons que, bien après le combat, Kell eut de bonnes raisons de ne plus
encenser Semmes lorsqu’il lut ou appris la triste élégance avec laquelle il le rendit
responsable du mauvais état de leurs obus.
Revenons au 14 juin à Cherbourg.
Obsédé par le besoin de prouver enfin ses capacités militaires, le « pacha » de
l’Alabama ordonne à ses hommes de se préparer au combat. Ensuite, il écrit au
préfet maritime pour l’informer qu’il sollicite l’autorisation de se réapprovisionner
en charbon et qu’il renonce à la remise en état de son bâtiment parce qu’il va livrer
bataille. Il rédige deux autres notes : la première annonce l’imminence du duel à
son supérieur immédiat, le commodore Samuel Barron à Paris. La seconde note, il
la fait déposer chez Amédée Bonfils, son agent consulaire sur place :
« J’ai entendu dire que vous aviez été informé par le consul des États-
Unis que le Kearsarge devait venir dans ce port seulement pour prendre
des prisonniers, et qu’il devait repartir dans les vingt-quatre heures. Je
désire que vous fassiez savoir au consul des États-Unis que mon
intention est de combattre le Kearsarge dès que j’aurai terminé les
préparatifs nécessaires. Je pense que ces préparatifs s’achèveront
demain soir ou après-demain matin au plus tard et j’espère que le
Kearsarge ne s’en ira pas. »