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Guéroult à ne plus rien publier à ce sujet, mais l’affaire a fait frémir le cabinet
impérial et a déchaîné les frustrations des supporters français de la Confédération.
Le 21 juin 1864, l’inflexible Malespine remonte aux créneaux en fusillant les
fausses allégations accusant le capitaine Winslow d’avoir volontairement tardé à
secourir les marins de l’Alabama et il décrit par le menu la vélocité avec laquelle le
commandant du Kearsarge a fait affaler ses deux seuls canots encore en état dès
que les tirs rebelles ont cessé car, nous l’avons vu, ceux-ci ont persisté en dépit de
leur drapeau blanc. Au passage, ce ténor de l’arsenic d’imprimerie rappelle avec
empressement que le « héros » de l’Alabama n’en a pas moins mis les voiles dans
l’ombre de son drapeau blanc pendant que son adversaire repêchait ses propres
hommes. Le 25 juin 1864, naviguant de conserve, Guéroult et Malespine bottent le
chœur des pleureuses de l’Alabama :
« Lorsque le droit est absent, il n’y a pas de place pour la pitié (…)
Par son talent et son courage, le capitaine Winslow a fait honneur à la
grande république américaine. »
Le Siècle du 25 juin se joint à l’hallali sur le « héros » confédéré et il observe
ironiquement que sa volonté de livrer bataille résulta de son besoin de redorer une
carrière qui, en termes de combat sur mer, était peu impressionnante. Le 27 juin, ce
quotidien remet son sarcasme sur le métier en affichant ses doutes sur la réelle
capacité de l’Alabama à prendre son rival à l’abordage car, dans ce domaine, son
expertise se limitait à la saisie de cargos inoffensifs. Dans ce même numéro, l’auteur
de cet article se déclare agacé par l’émoi populaire pour Semmes car il perdit sa
corvette lors de son premier engagement avec un navire de sa classe qui, de surcroît,
était en mer depuis plus longtemps que lui.
Les 14 et 20 août et le 25 septembre 1864, le Siècle persiste et signe en accusant
l’Alabama d’avoir brûlé ses proies au lieu de les soumettre à un tribunal des prises.
Le Journal des Débats conforte l’opinion du Siècle : il reconnaît aux Confédérés le
droit de recourir à la guerre de course, mais leur conteste celui d’intercepter des
cargos en haute mer et de décider s’il y a lieu ou non de les incendier. S’il est évident
que ce journal attribue erronément le statut de corsaire à Semmes, sa confusion à ce
propos ne minimise nullement son antagonisme vis-à-vis de la cause esclavagiste.
Dopée par la hausse de ses ventes, due aux affrontements journalistiques qui
suivent le combat de Cherbourg, la presse prolonge l’affaire en prédisant
l’imminence d’un second combat entre les Américains en lisière des côtes françaises
et fustige l’attitude du capitaine Winslow vis-à-vis de ses prisonniers. Rappelons
qu’en 1864, la Déclaration de Paris interdit aux croiseurs d’un belligérant de détenir
des prisonniers dans un port neutre. L’imminence d’un autre combat naval entre
Américains ressortit à l’imagination de plumitifs locaux en mal de copies ou à des
informations déformées ou tardives.
Ces sources indéfinissables affirment qu’un nouveau cuirassé rebelle cingle sur
le Cotentin pour venger Raphaël Semmes, elles signalent la présence du C.S.S.
Florida près de l’Irlande, l’arrivée imminente du C.S.S. Georgia et le départ des
Açores du C.S.S. Général Lee, un nouveau croiseur que les Rebelles viennent de
lancer. Quelques journalistes certifient même que l’U.S.S. Sacramento marche sur
la côte française depuis Lisbonne et que l’U.S.S. Niagara va incessamment rejoindre
l’escadre fédérale en cours de formation près des côtes françaises.