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nous avons commencé à couler. Des obus avaient perforé notre flanc et
avaient ouvert des brèches au travers desquelles la mer s’engouffrait
avec force. Espérant gagner la côte française, j’ai ordonné de pousser
nos chaudières au maximum et de larguer le plus possible de voiles.
L’eau s’engloutit si rapidement dans nos soutes, qu’avant d’avoir pu
progresser davantage, nos chaudières s’éteignirent et nous
commençâmes à sombrer. Alors, j’ordonnai d’abattre nos couleurs afin
d’éviter la perte de plus de vies humaines et je fis déborder un canot
pour informer le capitaine Winslow de notre situation.
« Quoique nous ne fussions qu’à 400 mètres de l’ennemi, il tira
encore à cinq reprises après que nous eussions affalé nos couleurs et il
blessa plusieurs des nôtres. Il serait charitable de supposer qu’un
croiseur appartenant à une nation chrétienne n’ait pas pu agir de la sorte
volontairement. Alors, nous avons réservé notre canot de portemanteau
à nos blessés et à ceux qui ne savaient pas nager. C’était le seul qui
n’avait pas été mis en pièces. Une vingtaine de minutes après
l’extinction de ses chaudières, notre navire entama son immersion.
Ensuite, conformément à mes ordres, chaque homme sauta par-dessus
bord. L’ennemi ne nous secourut qu’après la disparition de notre
bâtiment. Heureusement, le yacht Deerhound de M. John Lancaster se
glissa au milieu de mes hommes en train de se noyer et en sauva un
certain nombre. Moi-même ainsi que quarante des nôtres eurent la
chance d’y trouver refuge sous le couvert de la neutralité de son
pavillon.
« C’est à ce moment-là que le Kearsarge détacha d’abord une
première puis une deuxième chaloupe (…) Ceux de nos officiers qui se
rendirent à l’ennemi découvrirent qu’un blindage protégeait les flancs
du Kearsarge sur ses bords et au niveau de son maître-couple. Ce
blindage était formé par des chaînes en acier placées depuis la rambarde
jusqu’à la ligne de flottaison. Ce blindage est recouvert d’un lattis qui
cache l’armure. Nos obus et nos boulets démantelèrent ce lattis en
plusieurs endroits, brisèrent des chaînes et endommagèrent
partiellement le bordé du bâtiment, mais sa cuirasse protégea
efficacement sa coque de toute perforation. L’ennemi subit de rudes
dégâts ailleurs, mais j’ignore dans quelle mesure (…)
« Mes officiers et mes hommes se comportèrent vaillamment et
quoiqu’ils perdissent leur navire, ils ne perdirent pas leur honneur.
Comme tous se comportèrent héroïquement, il serait injuste de citer des
cas particuliers. Néanmoins, je ne me priverai pas d’attirer votre
attention sur M. Kell, mon second. Il mérite des mentions particulières
pour l’excellente condition dans laquelle notre corvette entra en action,
non seulement en ce qui concerne notre batterie et notre soute aux
munitions, mais aussi pour ses services et la promptitude de son
jugement au fil du combat. L’ennemi était plus puissant que moi, par
son tonnage, sa batterie et son équipage, mais jusqu’au début du combat,
j’ignorais qu’il était « blindé ». Nous avons perdu neuf tués et vingt et
un blessés. »