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Si ses canonniers avaient été à la hauteur de ceux de Winslow, Semmes aurait
pu lui infliger le même dommage dès le début du combat car ses pièces portaient
plus loin que celles du Kearsarge dont le « blindage » ne couvre pas ses œuvres
vives. Sans transition, un troisième obus du Dahlgren de 11 pouces désintègre le
gouvernail de l’Alabama. Winslow note aussitôt que ses tirs l’ont désemparé et il
ordonne de forcer la vapeur pour l’empêcher de se réfugier dans les eaux françaises.
Sur la digue de Cherbourg et sur les hauteurs de Querqueville, la foule perçoit un
affaiblissement dans l’intensité de la canonnade. Elle ne sait pas encore que son
« corsaire sudiste » agonise.
En dépit du jusant qui le repousse du rivage, Semmes tente d’échouer son
bâtiment dans les eaux françaises pour ne pas être capturé. Quand son chef
mécanicien émerge sur le pont pour l’avertir que l’eau arrive à la hauteur des
chaudières, il lui ordonne de les pousser néanmoins à fond. C’est quasiment une
condamnation à mort pour tous les machinistes car la surchauffe de leurs chaudières
aurait provoqué leur explosion au contact de l’eau glacée de la mer qui s’engouffre
dans les soutes. Un peu avant 12 heures, le lieutenant Kelly descend à son tour pour
se rendre compte par lui-même puis en émerge aussitôt en hurlant d’abandonner le
navire car il est en train de couler. À ce moment précis, un projectile brise la corne
de son mât d’artimon, sur laquelle s’agitaient les couleurs rebelles. Alors, Semmes
ordonne de cesser le feu, de hisser un drapeau blanc et d’affaler un canot dans lequel
le maître G.T. Fullam embarque avec quelques blessés pour aller solliciter l’aide
des Fédéraux et l’arrêt de leurs tirs.
Croyant que l’Alabama est sur le point de les secourir, le Dr Llewellyn cède sa
place dans l’embarcation à l’un de ses blessés. Dans ses mémoires, le lieutenant
Arthur Sinclair mentionne que le brave médecin avait donné sa ceinture de
sauvetage à l’un de ceux-ci et s’était abstenu de mentionner qu’il ne savait pas
nager. Il s’arrima à deux caisses vides dans l’espoir de flotter. Il flotta, mais faute
de pouvoir se rétablir à la surface des flots, il se noya sous les yeux de ses camarades
et de l’équipage du yacht Deerhound qui arrivait sur le lieu du sinistre. Quelque
400 mètres plus loin, Winslow ordonne un « halte au feu » lorsque, depuis son
canot, le maître G.T. Fullam lui hurle que Semmes a hissé un drapeau blanc et qu’il
se rend parce que son bâtiment coule. Winslow ne le retient pas prisonnier et, en
échange de son serment de réintégrer spontanément le Kearsarge avec ceux qu’il
sauvera de la noyade, il lui permet ainsi qu’à ses hommes de repartir en direction
de l’Alabama.
Ils n’ont que le temps d’assister à la fin de la tragédie.
À 12 h 24, le bosco ou le commandant du Deerhound note que, partiellement
démâté, percé de toutes parts et son gouvernail brisé, l’Alabama s’enfonce
rapidement par la poupe, comme un étalon blessé à mort, qui se cabre une ultime
fois avant de chavirer dans la poussière. Par respect pour l’ennemi, le commandant
en second du Kearsarge, impose le silence à ses hommes. En revanche, on peut
qualifier de méprisable, la conduite de Fullam qui profite de la confusion générale
pour trahir sa parole en se réfugiant sur le Deerhound. Avant de lancer à la mer ses
deux seules embarcations que les tirs adverses n’avaient pas réduites en pièces,
Winslow interpelle le commandant et les hommes du Deerhound : Pour l’amour de
Dieu, faites tout ce que vous pouvez pour les sauver ! Winslow l’invite donc
seulement à collaborer pour épargner un maximum de vies. Les sources divergent