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pas combattre. En raison de sa totale méconnaissance de la guerre sur mer, Slidell
se contente de rétorquer qu’il refuse d’imposer quoi que ce soit au commandant de
l’Alabama car il lui fait totalement confiance. Au lendemain du combat, le
journaliste anglais Frederick Edge s’entretint longuement avec quelques marins ou
officiers rescapés de l’Alabama, qui s’étaient réfugiés à Cherbourg et ceux-ci lui
racontèrent qu’ils avaient entendu Semmes et plusieurs de ses officiers échanger
des propos sur le dispositif cuirassé qui protégeait les flancs du Kearsarge. En 1900,
dans une de ses lettres à la veuve de Kell, le Dr Francis L. Galt (médecin membre
de l’État-major de l’Alabama) confirma lui aussi que leur commandant mentit
lorsqu’il prétendit ignorer le « blindage » qui équipait la coque du navire du
capitaine ennemi parce que son besoin de remporter enfin une victoire décente virait
à l’obsession.
Dans le récit de ses souvenirs (Two Years on the Alabama), le lieutenant
confédéré Arthur Sinclair, un cousin des deux autres Sinclair qui sont cités dans ce
texte, relève pudiquement mais clairement et à deux reprises le mensonge de
Semmes à propos du « blindage » du Kearsarge :
« On me demanda souvent ce qui avait poussé Semmes à combattre
un navire plus puissant que le sien (…) alors qu’il savait que la coque
du Kearsarge était protégée par des chaînes et des câbles. C’est une
question à laquelle je suis incapable de répondre.
« La veille du combat, l’amiral du port nous manifesta sa sympathie
(…) et nous déconseilla de combattre en prévenant Semmes que des
officiers français avaient remarqué l’armure formée par les chaînes qui
couvraient le flanc du Kearsarge. »
Il est impossible de jauger l’exaspération de Semmes à l’écoute de « tous ces
gens » qui le harcèlent avec d’excellents arguments pour le dissuader de renoncer
aux pulsions de son ego, et Verlaine aurait pu lui dire : les voix de votre orgueil
sont un cri puissant comme un cor. L’historien Colyer Meriwether note que le
blindage du Kearsarge avait déjà fait l’objet de moult commentaires lorsque
Charles W. Pickering, son premier commandant, bloquait le Sumter dans le port de
Gibraltar. Comme Semmes prétendit ignorer l’existence de cette cuirasse, on
pourrait taquiner la moquerie en supposant qu’il fut le seul à ne pas être au courant !
Pour des raisons obvies, Semmes tient absolument à faire la une en termes de
communication dès son arrivée à Cherbourg, il expédie au Times de Londres une
lettre que ce journal publie le 16 juin 1864 et dans laquelle il accuse la Proclamation
de Neutralité du Royaume-Uni de l’avoir contraint à détruire la plupart de ses prises
puisqu’elle ne l’autorise pas à les introduire dans un port neutre. Dans cette lettre,
Semmes ignore sciemment le rôle et l’existence d’un Conseil ou Tribunal des Prises
maritimes qui, au cours d’un conflit et dans chaque nation occidentale, valide ou
sanctionne la capture d’un navire marchand par un corsaire ou un vaisseau de guerre
émargeant à une flotte nationale. L’incapacité de la Confédération à maintenir un
port ouvert dans lequel un Tribunal des Prises est prêt à statuer en permanence sur
la légitimité d’une prise ne pouvait en aucun cas altérer les prescriptions
internationales en la matière. En revanche, tous les steamers et forceurs de blocus
capturés par la flotte américaine furent soumis à l’appréciation d’un tribunal des
prises en conformité avec les normes de la Déclaration de Paris.