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À 11 h 15, les éclats d’un obus égratignent les servants du Dahlgren sur pivot
placé en poupe du Kearsarge. Presque sans transition, deux autres boulets
malmènent l’un de ses canons de 32 livres mais sans blesser personne, un obus
de 110 livres transperce la partie supérieure de sa salle des machines et un autre
projectile allume un début d’incendie dans sa réserve de hamacs. Si Winslow avait
envisagé l’abordage, la rapidité du tir ennemi le convainc d’y renoncer en dépit de
la précision de son propre feu. C’est alors qu’un canonnier rebelle loge un obus
dans l’étambot du sloop ennemi. Il n’explose pas car sa poudre s’est dégradée. Kell
avait pourtant prévenu son commandant avant le combat !
En 1913, l’écrivain Colyer Meriwether a publié un volumineux ouvrage intitulé
Raphaël Semmes, dans la série « American Crisis Biographies ». En dépit du temps
passé, ce livre demeure une référence incontournable sur le sujet parce que, dans sa
jeunesse, M. Meriwether eut l’opportunité de rencontrer ou de correspondre avec
quelques messieurs âgés qui participèrent à « l’Affaire de Cherbourg ». L’auteur
précise qu’après avoir examiné l’étambot du Kearsarge, les experts de l’U.S. Navy
estimèrent que l’explosion de l’obus confédéré aurait effectivement handicapé le
croiseur fédéral dans ses manœuvres et aurait allongé la durée du combat. Pour en
modifier l’issue, l’Alabama aurait dû se rapprocher intact de son adversaire car, dès
le début de l’engagement, les canonniers rebelles ont démontré leur incapacité à
tirer parti de la plus longue portée de leurs pièces.
Nullement impressionnés, leurs adversaires accumulent les coups au but dans
les parties vitales de la corvette sudiste. En revanche, celle-ci tire vite, très vite mais
très mal ou trop haut. Peu efficaces, les projectiles confédérés s’acharnent sur la
cheminée, les bossoirs, les apparaux et les canots du Kearsarge quand ils ne
rebondissent pas sur sa carapace métallique. Joseph McKenna (British Ships in the
Confederate Navy) livre le commentaire d’un marin qui se trouvait sur le pont de
l’Alabama durant les échanges de tirs. Le National Eagle de Claremont (New
Jersey) le publia le 9 juillet 1864 :
« Notre canon sur pivot à l’avant du bâtiment (100-pounder Blakely)
tira deux obus dont un seul brisa les chaînes qui protégeaient les
chaudières du Kearsarge, mais ils ne lui occasionnèrent pas les
dommages que nous espérions (…)
« Le combat avait débuté depuis une demi-heure quand le tir du
Kearsarge s’affina. L’élévation de nos canons était trop haute et nos
projectiles passaient au-dessus du Kearsarge. Nos hommes
combattaient bien, mais ne savaient pas comment régler l’élévation de
leurs pièces. »
Observant le peu d’effets de ses obus, Semmes fait mine de ne se souvenir ni des
avertissements des officiers français ni de ceux de Kell ni des mises en garde du
commander George T. Sinclair et du consul Amédée Bonfils à ce propos. Il alterne
alors boulets et obus. Les premiers pour démanteler le dispositif métallique qui
caparaçonne le sloop ennemi, les seconds pour essayer de perforer sa coque.
L’association américaine C.S.S. Alabama relève une autre particularité de ce duel
d’artillerie : les servants du canon Blakely des Confédérés auraient réduit le poids
de ses charges dès le début du combat parce que la rapidité de leurs tirs aurait très
vite surchauffé le tube dont le recul serait devenu incontrôlable.