VULGARISATION SCIENTIFIQUE - Colloque Sciences médias et ...
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Les critères économiques de domination d'une classe sur une autre produisaient<br />
l'aliénation de celle-ci sans pouvoir se justifier autrement que par l'exercice d'une<br />
certaine violence qui en dévoilait à la fois le caractère arbitraire <strong>et</strong> injuste <strong>et</strong> la<br />
possibilité pour les classes opprimées d'utiliser à leur tour c<strong>et</strong>te violence pour contrarier<br />
le destin de leur oppression. Les critères culturels d'accès au savoir scientifique<br />
définissent par contre un rapport de domination qui trouve sa légitimité dans une<br />
référence à la « vérité objective », justification ultime d'une société inégalitaire. La<br />
violence n'est certes pas exclue de c<strong>et</strong>te nouvelle définition de l'inégalité sociale : c'est<br />
celle que l'on trouve inhérente au langage même, dans le rapport de ce langage à la<br />
vérité, ou, pour employer une expression à la mode, c'est la violence de la l<strong>et</strong>tre.<br />
La vulgarisation apparaît alors comme le moyen grâce auquel c<strong>et</strong>te violence 88 —<br />
éminemment anonyme puisqu'aucun suj<strong>et</strong> socialement situé ne peut en revendiquer la<br />
responsabilité en tant que suj<strong>et</strong> vis-à-vis d'autres suj<strong>et</strong>s—se trouve détournée au profit<br />
du maintien de l'opposition classe dominante/classe dominée telle qu'elle résulte du<br />
développement historique des rapports économiques <strong>et</strong> sociaux. On peut reconnaître ici<br />
le travail de c<strong>et</strong>te idéologie scientiste que nous évoquions dans notre introduction <strong>et</strong> qui<br />
est le dernier mot de l'idéologie en tant que celle-ci n'est rien d'autre que « l'idée en tant<br />
qu'elle domine » 89 (Barthes, 73 : 53-54), <strong>et</strong> qu'il n'y a qu'une idée qui puisse vraiment<br />
dominer sans avoir recours à une violence extrinsèque, c’est l’idée vraie (la vérité de<br />
l’idée <strong>et</strong> non pas l’idée de la vérité) dont la science revendique le privilège.<br />
Les différentes enquêtes anglo-saxonnes dont nous avons évoqué les résultats au début<br />
de ce chapitre, semblent en tout cas confirmer l'hypothèse d'un increasing knowledge gap.<br />
Ackermann & Dulong (70 : 16) le notent de la manière suivante :<br />
« Alors qu'on attend ordinairement de la vulgarisation qu'elle accomplisse chez l'enseigné un<br />
progrès dans la connaissance, donc un progrès social, <strong>et</strong> donc, par accumulation, un progrès de la<br />
société toute entière vers l'égalité, c'est globalement l'inverse qui se produit : la vulgarisation tend<br />
à maintenir le fossé qui existe entre la science <strong>et</strong> le public ».<br />
88 L'arme qui pourrait seule déjouer c<strong>et</strong>te violence d'un langage soutenu par la « vérité objective » est-elle<br />
l'ironie ? Celle d'un Charles Fort (1874-1932) par exemple, qui passa sa vie à se moquer des savants (en<br />
particulier les astronomes) au moyen d'une ironie mordante <strong>et</strong> sauvage qui lui perm<strong>et</strong>tait d'imaginer des<br />
contre-théories non dénuées de talent ni même de pertinence comme l'adm<strong>et</strong> Gardner (66 : 55-67). La<br />
Fortean Soci<strong>et</strong>v existe toujours avec une publication intitulée Doubt. La traductrice du livre de Gardner<br />
auquel nous nous référons, voit l'équivalent français de la Fortean Soci<strong>et</strong>y dans le Collège de Pataphysique,<br />
voué au culte de l'écrivain Alfred Jarry.<br />
89 Le passage d'où nous tirons c<strong>et</strong>te citation de Barthes vaut d'être reproduit en entier : « On dit couramment<br />
: « idéologie dominante ». C<strong>et</strong>te expression est incongrue. Car l'idéologie, c'est quoi ? C'est précisément<br />
l'idée en tant qu'elle domine : l'idéologie ne peut être que dominante. Autant il est juste de parler d'idéologie<br />
de la classe dominante, parce qu'il existe bien une classe dominante autant il est inconséquent de parler<br />
d'idéologie dominante, parce qu'il n'y a pas d'idéologie dominée : du côté des dominés il n'y a rien, aucune<br />
idéologie, sinon précisément—<strong>et</strong> c'est le dernier degré de l'aliénation—l'idéologie qu'ils sont obligés (pour<br />
symboliser, donc pour vivre) d'emprunter à la classe qui les domine. La lutte sociale ne peut se réduire à la<br />
lutte de deux idéologies rivales : c'est la subversion de toute idéologie qui est en cause. » Nous reviendrons<br />
sur ce problème.<br />
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