Pour - Revue des sciences sociales

Après avoir donné un sens à cette souffrance,
et désigné le coupable, la mise en
place d'une stratégie thérapeutique peut se
faire. Pour vaincre la douleur, il va falloir la
considérer non plus comme destructrice,
mais comme créatrice.
Le sujet s'identifie au Christ, qui a également
souffert pour la rédemption. Car le
sang répandu en sacrifice a vaincu la mort.
Il régénère et immortalise (en commémorant
la Passion du Christ), il est source
d'énergie. Il redonne la vie, il est rédempteur,
tout comme le sang du Coeur transpercé
de Jésus.
Le déluge
de sang
De la même manière, la France devra
connaître un déluge de sang, car elle devra
vivre la Passion du Christ. Le sang devra
couler, car il faudra expurger les fautes passées.
Il s'agit d'un châtiment qui vient de
Dieu, afin de «laver» le monde de ses
péchés, de le purifier, et enfin de le libérer
des liens de Satan. Car: «Les peuples qui
n'ont pas accepté le sang libératoire subissent
l'oppression des démons et de leurs
suppôts. Les batailles perdues et les tyrannies
subies n'ont pas d'autre cause. Dans les
guerres, la France n'a versé son sang que
parce qu'elle a refusé de bénéficier du sang
rédempteur. Car dans tous les combats spirituels
ou temporels c'est le sang du
Seigneur qui donne la victoire», précise un
des fondateurs du pèlerinage.
Il est nécessaire que le sang coule en
abondance, à l'image d'un déluge, pour
obtenir le salut éternel. Le sang devra couler
à flots ; on verra aux dernières heures de
notre ère un déluge de sang s'abattre sur le
monde. Il sera purificateur si on se rallie
derrière l'épée de Notre-Dame de Neubois;
mais il sera exterminateur pour les ennemis
de Dieu. De cette guerre sanglante, « seul le
glaive de Dieu, tenu par la Vierge peut obtenir
la victoire» .
Et c'est par la médiation de Marie que le
prix du sang divin peut le mieux être appliqué
au monde: «Le sang versé sur le
Calvaire et à la messe par Notre Seigneur
provient de la Mère de Dieu à qui il doit sa
vie humaine. De plus, la Très Sainte Vierge
a offert à Dieu le Père, au pied de la Croix,
les souffrances et le sang de son Fils en y
joignant ses propres douleurs » (8) . Son sang
et sa souffrance sont de véritables liens
entre Dieu et les hommes. La Vierge incarne
ce sang libérateur et la souffrance nécessaires
à la rédemption. De plus, par son épée
qui rend invincible, elle offre son aide dans
le combat. Son épée divine purifiera, lorsqu'elle
fera couler le sang corrompu. Ce
sang versé sera rédempteur, et donnera la
vie, grâce à sa vocation sacrificielle.
Le sang versé rituellement permet de
détourner la violence, de purifier une souillure
que les hommes ont laissé se répandre.
C'est pourquoi les pèlerins préconisent
d'aller au pèlerinage de Notre-Dame de
Neubois, de prier le sang du Christ au
Frankenberg, de pratiquer la «pénitence
dans la joie». Cette démarche tend à affirmer
son adhésion à ce principe et à contribuer
à l'avènement d'une ère nouvelle.
D'après le système de représentations
esquissé dans ces quelques pages, la Vierge
qui guide les pèlerins de son épée est l'ultime
secours, l'ultime victoire, puisque son
arme la rend invincible. Cette démarche est
donc forcément juste, et aboutira forcément
à une fin salvatrice. Ainsi, les larmes de
sang que verse Notre-Dame de Neubois se
tariront définitivement.
Notes
1. Un habitant du village possède une statue de
Notre-Dame de Neubois, la représentant avec
des larmes de sang.
2. Vision d'Odile Martin, le 7 juillet 1872 ; témoignage
recueilli par l'abbé Wetterwald, conservé
aux Archives Départementales du Bas-Rhin
- dossier IV 447.
3. Ils se réfèrent à un ouvrage de Gilles Lameire,
Notre-Dame de Neubois - protectrice de la
France et de la papauté, Saint-Germain-en-
Laye, 1978.
4. 11 s'agit d'une allusion à la légende du
Frankenbourg qui dit que dans la chapelle du
château, Clotilde a prié le Dieu des chrétiens
pour la conversion de son époux Clovis, et que
grâce à cela, ce dernier put vaincre les Alamans
à Tolbiac. A l'issue de cet événement, le
monarque demanda le baptême, et la France fut
désignée par un envoyé de Dieu «Fille aînée de
l'Eglise».
5. L'encyclique Quanta cura condamne le naturalisme
qui veut que la société soit constituée et
gouvernée sans plus tenir compte de la religion.
L'encyclique était accompagnée d'un Syllabus
ou d'un catalogue des principales erreurs de
notre temps signalées dans les allocutions
consistoriales, encycliques et autres lettres apostoliques.
Ces erreurs étaient au nombre de 80.
On peut citer pour exemple le panthéisme, le
naturalisme, le rationalisme, le socialisme, le
communisme, la franc-maçonnerie, le gallicanisme,
le libéralisme moderne.
6. Visions à Mr Llaccay, de 1978 à 1989.
7. Gilles Lameire, op. cit. p.225.
8. Gilles Lameire, op. cit. p.218.
Revue des Sciences Sociales de la France de l'Est, 1994 103