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Pour - Revue des sciences sociales

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vail), elle regroupe obligatoirement tous<br />

ceux qui étaient employés dans une<br />

même entreprise, la cotisation étant prélevée<br />

automatiquement sur la fiche de<br />

paye. Un organisme unique, Kraft durch<br />

Freude (La force par la joie) prit en main<br />

l'organisation <strong>des</strong> loisirs, et chaque<br />

entreprise dut acquérir un certain<br />

nombre de billets pour les remettre gracieusement<br />

à ses employés.<br />

La prise en main et le contrôle idéologique<br />

du réseau scolaire furent aussi<br />

contraignants : les postes de responsabilité<br />

furent confiés à <strong>des</strong> enseignants du Pays de<br />

Bade, tandis que les instituteurs alsaciens<br />

furent soumis à un stage de «rééducation »<br />

(Umschulung) en Allemagne. Dans les<br />

grands établissements on nomma un Schulkommissar.<br />

La politique du livre<br />

Dans le système de mise au pas idéologique<br />

la politique du livre devait jouer un<br />

rôle significatif. Les autorités étendent méthodiquement<br />

leur réseau de surveillance et<br />

de contrôle ; elles demandent <strong>des</strong> comptes<br />

aux directeurs <strong>des</strong> hôpitaux, <strong>des</strong> hospices de<br />

vieillards et de sanatoriums où se trouvent<br />

<strong>des</strong> bibliothèques. Dans le cadre de «l'extirpation<br />

de l'esprit dégénéré français»<br />

(Entwelschung) et de «l'assainissement»<br />

(Säuberung) <strong>des</strong> bibliothèques <strong>des</strong> hôpitaux<br />

et <strong>des</strong> hospices, une circulaire du<br />

1 er avril 1941 (Ziwilverwaltung, n°19552)<br />

allègue la réintroduction de la «langue<br />

maternelle» (Muttersprache) en Alsace<br />

pour demander l'éloignement <strong>des</strong> livres<br />

«français et d'esprit non-allemand» (ihrem<br />

Geist nach undeutschem Schrifttum). II est<br />

toutefois précisé que dans les établissements<br />

importants les ouvrages ou manuscrits<br />

français précieux ayant une valeur<br />

scientifique ou culturelle seront saisis et<br />

livrés aux responsables de l'administration<br />

civile de la cité. Les soeurs soignantes de<br />

l'hôpital Sainte-Thérèse de Colmar font<br />

savoir «respectueusement» dans une lettre<br />

adressée le 14 avril 1941 à l'administrateur<br />

civil «qu'en tant qu'établissement confessionnel»<br />

elles n'ont «jamais toléré <strong>des</strong><br />

ouvrages reprehensibles politiquement ou<br />

moralement» dans leur bibliothèque.<br />

Furent épurées systématiquement les<br />

librairies, les imprimeries, les maisons d'édition,<br />

les écoles qui furent toutes vidées de<br />

leurs ouvrages français, ainsi que les bibliothèques<br />

municipales. Il faut aussi se débarrasser<br />

<strong>des</strong> livres d'école, car, comme le souligne<br />

les Strassburger Neueste Nachrichten<br />

du 14 décembre 1940, «les Français n'ont eu<br />

aucun scrupule à planter la haine xénophobe<br />

dans l'âme <strong>des</strong> jeunes enfants».<br />

Un contrôle rigoureux est imposé aux<br />

librairies qui ne peuvent plus s'approvisionner<br />

qu'à la Librairie Centrale Alsacienne.<br />

Une libraire se rappelle de ['«office»<br />

(Zuteilung) que son père recevait tous les<br />

mois. Dans ce colis d'une trentaine d'ouvrages,<br />

«il y avait peut-être cinq ou six<br />

romans, tout le reste était <strong>des</strong> livres politiques<br />

ou de guerre ». «Il fallait se méfier de<br />

tout le monde», mais à certaines de ses<br />

connaissances, dont il était «absolument<br />

sûr», il vendait l'un ou l'autre ouvrage français<br />

qu'il avait réussi à cacher. C'est sur<br />

autorisation spéciale du Stadtkommissar,<br />

du maire, et «dans l'intérêt du service» que<br />

le responsable «du service du ravitaillement<br />

et de la lutte contre les doryphores» (Kartoffelkâferabwehrdienst)<br />

de Colmar peut<br />

commander, le 18 septembre 1940, le Guide<br />

Bleu d'Alsace et de Lorraine.<br />

Dès juillet 1940, un décret de l'Administration<br />

Civile interdit aux bibliothèques<br />

le prêt d'ouvrages, et exige que leurs directeurs<br />

fassent parvenir un inventaire au responsable<br />

de la propagande (Propagandaleiter).<br />

Parallèlement au contrôle <strong>des</strong> bibliothèques,<br />

à la fermeture de certaines d'entre<br />

elles, et conformément aux injonctions<br />

d'Hitler qui exige «que la culture allemande<br />

n 'existât pas uniquement pour les dix mille<br />

membres de l'élite, comme c'est le cas en<br />

Angleterre, mais qu 'elle soit accessible au<br />

peuple tout entier», les Nazis mettent en<br />

place un réseau dense de bibliothèques populaires<br />

(Volksbücherei). Chaque village de<br />

plus de trois cents habitants se voit doté<br />

d'une bibliothèque : dès 1941, on en créa sept<br />

cents en Alsace, auxquelles il convient<br />

d'ajouter mille deux cents bibliothèques scolaires.<br />

Ces Volksbüchereien semblent avoir<br />

rencontré un assez grand succès, à la suite<br />

notamment de l'embrigadement <strong>des</strong> jeunes :<br />

selon un rapport pour l'année 1943-1944 de<br />

la bibliothèque de Haguenau, sur les<br />

1504 lecteurs qui ont emprunté 18498 ouvrages<br />

la moitié sont <strong>des</strong> jeunes. Il est significatif<br />

que deux salles leur étaient réservées<br />

au second étage de cette bibliothèque, qui<br />

servirent également de cadre pour diverses<br />

manifestations organisées par la Jeunesse<br />

Hitlérienne.<br />

L'analyse <strong>des</strong> ouvrages que proposent<br />

les deux catalogues <strong>des</strong>tinés aux adultes et<br />

aux jeunes <strong>des</strong> bibliothèques populaires<br />

permet de saisir l'idéologie et la stratégie de<br />

l'entreprise de rééducation (Bücherverzeichnis<br />

Städtische Volksbücherei, Haguenau;<br />

le même titre avec en plus Jugendabteilung<br />

pour la section <strong>des</strong> jeunes). La<br />

préface de ce dernier précise que les ouvrages<br />

proposés à «chaque garçon allemand»<br />

et à «chaque fille allemande» sont<br />

<strong>des</strong> livres qui « s'enracinent» dans «le génie<br />

allemand», dans «leur être allemand»<br />

(Wesen) et dans «le sol allemand». Ces<br />

oeuvres font découvrir à chacun «7a puissance<br />

invincible (unversiegliche Kraft) de<br />

notre âme, de notre sang et de notre sol».<br />

<strong>Pour</strong> que ces ouvrages fassent de ces jeunes<br />

<strong>des</strong> hommes forts et résolus, capables de<br />

«maîtriserla vie», il convient qu'ils respectent<br />

la langue. C'est elle qui est «l'âme de<br />

tout» (die Seele <strong>des</strong> Ganzen), et qui donne<br />

«vie et couleur». Quant au contenu, il<br />

convient d'en faire la «nourriture pour la<br />

volonté (Willen), 7e cerveau et le coeur<br />

(Hirn und Herz)». Les jeunes sont incités à<br />

s'écarter de tout ce qui pourrait «empoison-<br />

<strong>Revue</strong> <strong>des</strong> Sciences Sociales de la France de l'Est, 1994 63

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