Pour - Revue des sciences sociales
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quatre étudiantes. Il s'intégra rapidement au<br />
groupe dont il devient un <strong>des</strong> piliers. A<br />
l'époque il se lia particulièrement à André<br />
Levy, son condisciple en philosophie, qui<br />
devint un grand résistant et fut fusillé par les<br />
allemands. Les deux eurent d'interminables<br />
discussions sur les sujets les plus divers. Si<br />
André était plus nuancé, Julien était plus<br />
carré, je dirai presque massif dans son argumentation.<br />
Mais l'étendue de ses connaissances<br />
nous avait frappés. Notre ami commun,<br />
le professeur Jacques Schwartz disait<br />
souvent qu'il avait une mémoire d'éléphant.<br />
J'ai eu, par la suite, l'occasion de constater<br />
combien il avait aussi l'esprit méthodique.<br />
D'une forte vitalité, Julien Freund<br />
était un grand travailleur. Il s'enthousiasmait<br />
pour tout ce qu'il entreprenait et aimait<br />
la vie. Nous avons parfois été surpris par la<br />
sonorité du rire dont il ponctuait certains de<br />
ses propos.<br />
Il n'était pas toujours commode et ne<br />
suivait pas la voie de la facilité. Courageux<br />
et tenace, il n'hésitait pas à nager à contre<br />
courant et refusait de transiger quand les<br />
idées ou opinions qui lui paraissaient justes<br />
étaient en cause. C'est ainsi qu'il opposa un<br />
refus immédiat à la propagande nazie et<br />
que, recherché chez lui en Moselle, du<br />
moins surveillé par la police, dû se réfugier<br />
en vieille France.<br />
Autres exemples : la conception qu'il<br />
avait de l'essence du politique n'était pas<br />
partagée par son Directeur de thèse,<br />
Monsieur Hyppolite, il estima qu'il était son<br />
devoir de changer non de sujet mais de<br />
Directeur; ce fut Raymond Aron.<br />
Ainsi encore malgré les incidents qui<br />
éclatèrent au sein de l'Université en 1968,<br />
continua-t-il de dispenser ses cours. Ce courage,<br />
il l'a également manifesté dans la<br />
résistance. Après son évasion de la forteresse<br />
de Sisteron, où il était interné, il s'est<br />
battu contre les allemands dans les rangs<br />
<strong>des</strong> maquisards de la région.<br />
Fort et solide dans l'amour qu'il portait<br />
à son épouse, et fidèle dans ses amitiés,<br />
Julien était un homme au coeur sans partage.<br />
J'aimais à le retrouver, au milieu <strong>des</strong><br />
siens, à Ville. Nous parlions de justice, aussi<br />
bien de la philosophie du droit que d'actualités.<br />
Il avait le don d'aller du particulier au<br />
général, et s'il n'avait pas toujours raison,<br />
il était toujours intéressant.<br />
Julien a quitté l'université avant l'âge de<br />
la retraite, mais se tenait informé de ses travaux.<br />
Il recevait volontiers chez lui <strong>des</strong> collègues<br />
et <strong>des</strong> chercheurs, ainsi que nombre<br />
d'étudiants. Il était ravi de présider <strong>des</strong> jurys<br />
de thèse ou d'en faire partie.<br />
Ces temps derniers Georges Wildenstein,<br />
autre ami commun gergoviote, Julien<br />
et moi, nous nous sommes beaucoup téléphonés,<br />
- parce que souffrant moi-même, je<br />
ne pouvais pas me rendre à Ville. Nous nous<br />
communiquions nos bulletins de santé. A<br />
chaque amélioration de son état, - hélas de<br />
plus en plus courtes - il reprenait avec joie<br />
son travail. Un tiré à part d'un de ses articles<br />
qu'il m'a adressé en mai 1993 porte en titre<br />
la mention manuscrite: «tant qu'on peut<br />
rédiger».<br />
Une <strong>des</strong> paroles que Julien Freund m'a<br />
adressé au téléphone, juste avant sa dernière<br />
hospitalisation est: «Georges, nous<br />
avons <strong>des</strong> femmes admirables».<br />
Jean Georges Wagner<br />
Premier Président Honoraire<br />
de la Cour d'Appel de Colmar<br />
«Non récupérable!»<br />
L'un <strong>des</strong> traits marquants de la personnalité<br />
attachante et complexe de Julien<br />
Freund, qui me paraît le caractériser bien<br />
davantage que certaines de ses prises de<br />
position, ce fut son profond respect pour<br />
l'indépendance de réflexion de chacun de<br />
ses proches.<br />
Nul ne peut se prévaloir d'être l'héritier<br />
d'une pensée qui échappe à toute assigna-<br />
<strong>Revue</strong> <strong>des</strong> Sciences Sociales de la France de l'Est, 1994 138