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Pour - Revue des sciences sociales

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Tories, les Noirs choisirent tous de plein gré<br />

de porter les noms qu'on leur donnait en<br />

dérision; de même façon, notre escaladeur<br />

de montagne, le solitaire motivé par le prophète,<br />

va devenir celui qui fait peur aux<br />

enfants du Moyen Age, le synonyme du<br />

diable: Mahound» (p. 109).<br />

Il s'agit d'une «réappropriation» du langage<br />

<strong>des</strong> «adversaires». C'est ainsi que dans<br />

certains milieux, <strong>des</strong> jeunes de «seconde<br />

génération maghrébine» s'interpellent entre<br />

eux par le qualificatif «bougnoul» pour<br />

s'approprier ce mot d'insulte et le dépouiller<br />

de son sens péjoratif et «invectif ».<br />

Plusieurs autres passages du récit furent<br />

victimes d'accusations mensongères par le<br />

procédé de la décontextualisation : la scène<br />

<strong>des</strong> femmes du Prophète, les propos concernant<br />

Salman le Perse (compagnon du prophète)...<br />

Mais la place manque ici pour entamer<br />

un développement plus conséquent<br />

pour réfuter ces accusations.<br />

Comment lire le texte du roman de<br />

Salman Rushdie ? Quelle ligne discursive<br />

suivre parmi la pluralité <strong>des</strong> syntagmes possibles<br />

constituant la trame graphique signifiante<br />

du volumineux roman ?<br />

D'emblée, il est à faire remarquer que<br />

«Les Versets sataniques» font partie de ces<br />

textes de la littérature moderne, dont la facture<br />

narrative semble dès l'abord défier les<br />

velléités du parcours linéaire. Ce défi est relevé<br />

par un recours constant aux techniques de<br />

montage en alternance avec l'instabilité<br />

induite par 1'«instance narrative».<br />

En effet, le récit devient dans ce roman<br />

une configuration où interfèrent inopinément<br />

le fait divers, le propos symbolique ou<br />

mythique, le souvenir d'enfance, le motif<br />

historique, le signe politique...<br />

Il déconcerte à la première lecture <strong>des</strong><br />

pages d'ouverture mais il capte par le monde<br />

onirique et réel <strong>des</strong> deux personnages Gibreel<br />

et Chamcha, autour <strong>des</strong>quels se construit le<br />

roman. Il transporte par les multiples digressions<br />

réussies et voulues, à la manière de<br />

Laurence Sterne dans le fameux roman Vie<br />

et opinions de Tristram dont Rushdie revendique<br />

l'inspiration.<br />

Le roman s'ouvre par une chanson de<br />

Gibreel Farischta qu'il chante en <strong>des</strong>cendant<br />

du ciel: «<strong>Pour</strong> renaître (...) il faut d'abord<br />

mourir. Ho, hi ! Avant de se poser sur le sein<br />

de la terre, il faut d'abord voler. Ta- taa!<br />

Takadoum (signifie en arabe le Progrès) !<br />

comment sourire à nouveau si l'on ne veut<br />

pas pleurer d'abord? Comment remporter<br />

l'amour de celle qu'on aime, Monsieur, sans<br />

un soupir? Si tu veux renaître, baba....»<br />

(p. 13). Et c'est ainsi que tout au long de la<br />

partie intitulée: «l'ange Gibreel», le récit<br />

oscille entre la <strong>des</strong>cription entre la chute<br />

angélico-satanique et le rappel <strong>des</strong> souvenirs<br />

de la vie <strong>des</strong> deux personnages à Bombay. La<br />

prose dans ce premier mouvement se révèle<br />

riche d'antithèses qui se glissent entre les<br />

objets concrets et les chimères, semant <strong>des</strong><br />

illusions perdues parmi les ruines. Le ton<br />

Kafkaïen se manifeste par ce jeu d'antithèses.<br />

Et le narrateur de faire allusion à son<br />

identité surnaturelle en plaisantant: «Qui<br />

était l'auteur du miracle? De quel genreangélique,<br />

- satanique était la chanson de<br />

Farishta? Qui suis-je? Disons-le ainsi qui<br />

chantait le mieux ? » (p.20).<br />

Les rêves de Gibreel, les cauchemars qui<br />

«s'infiltrent dans sa vie éveillée «constituent<br />

les histoires secondaires qui pousse<br />

l'action en avant en sorte de contes rappelant<br />

l'emboîtement interminable <strong>des</strong> Mille<br />

et Une nuits.<br />

L'une de ces histoires forme le deuxième<br />

mouvement du récit: «Mahound». Il<br />

commence par l'évocation d'une souvenir<br />

d'enfance : un jour, sa mère « affectueuse »<br />

le qualifia de Chaytan (satan) car Gibreel<br />

s'était amusé à mettre les gamelles de viande<br />

musulmanes dont les parties réservées<br />

aux hindous non végétariens et ceci met les<br />

employés de bureau et les clients de sa mère<br />

hors d'eux. Et voilà que le narrateur par une<br />

digression, glisse une vision à la Cmanière<br />

de Cervantes: «Question: quel est le<br />

contraire de la foi? Pas l'incrédulité. Trop<br />

catégorique, certain, fermé. En soi une sorte<br />

de foi. Le doute» (p.108).<br />

En fait, on est appelé à se référer à la thématique<br />

de la «sagesse de l'incertitude», à<br />

la fois à un niveau ontologique et littéraire.<br />

Là s'annoncent les critères de la relativité et<br />

de l'ambiguïté qui à côté de la complexité et<br />

de la continuité - chaque oeuvre est la réponse<br />

aux oeuvres précédentes - constituent<br />

l'esprit de L'Art du roman, tel que Milan<br />

Kundera l'a bien relevé en désignant<br />

Cervantes comme l'un <strong>des</strong> grand-pères de<br />

cet esprit. En effet, Rushdie, en relativisant<br />

le «jugement moral suspendu» et en reconstituant<br />

à sa manière les événements de l'épisode<br />

<strong>des</strong> Versets sataniques, connus dans la<br />

tradition islamique relatée non uniquement<br />

par at-Tabarî mais aussi par Ibn Saâd et Ibn<br />

Ishâq, lève le voile sur un <strong>des</strong> problèmes qui<br />

entoure le Livre révélé et le Livre écrit,<br />

concernant le Coran. A la fin du deuxième<br />

mouvement l'on remarque qu'il s'achève par<br />

une autre inspiration cervantine à savoir le<br />

balancement entre un retour aux chimères et<br />

un rappel constant de la réalité implacable.<br />

C'est ainsi que Gibreel s'aperçoit qu' : «Il<br />

n'a aucun diable à renier. En rêvant, il n'arrive<br />

pas à les chasser» (p.144).<br />

Le troisième mouvement nous mène à<br />

Londres : Gibreel se trouve en la compagnie<br />

de la veuve Rosa Diamond qui lui raconte<br />

sa vie ; Chamcha est arrêté par la police. Le<br />

racisme en Angleterre sous le gouvernement<br />

de Margaret Thatcher est évoqué lors<br />

du long périple <strong>des</strong> mauvais traitements<br />

subis par Chamcha, qui devient «l'insecte<br />

sur le plancher du car de police » (p. 182). Et<br />

même l'hôpital passe pour complice dans<br />

cette affaire. Mais, c'est par l'art de la<br />

digression de Rushdie que cette situation est<br />

décriée: «Ils nous décrivent, chuchota<br />

l'autre d'un temps solennel. C'est tout. Ils<br />

ont le pouvoir de la <strong>des</strong>cription et nous succombons<br />

aux images qu'ils construisent»<br />

(p.188).<br />

Les histoires les plus vivantes sont celles<br />

d'un Imam et celles de l'épileptique Ayesha<br />

<strong>Revue</strong> <strong>des</strong> Sciences Sociales de la France de l'Est, 1994 54

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