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Pour - Revue des sciences sociales

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qui jalonnent le quatrième mouvement.<br />

Celui-ci commence par une contemplation<br />

de Gibreel devant un immeuble qui le mena<br />

encore dans un rêve éveillé. Cette fois-ci, il<br />

voit «l'Imam barbu et enturbanné», qui<br />

occupe une chambre au quatrième étage de<br />

l'immeuble. La <strong>des</strong>cription de cet Imam est<br />

digne d'une satire à la façon de Jonathan<br />

Swift, usant du jeu de la parodie et de celui<br />

de la mystification: «L'Imam est l'ennemi<br />

<strong>des</strong> images. Quand il est entré, les tableaux<br />

ont glissé sans bruit <strong>des</strong> murs et quitté la<br />

pièce furtivement fuyant d'eux-mêmes la<br />

colère de sa muette désapprobation » (p.228).<br />

Le légalisme et la ritualité dont se revêt le<br />

dogmatisme religieux de cet Imam est traité<br />

avec ironie par le narrateur dans une veine<br />

satirique et en annonce déjà le son tragique.<br />

Le narrateur se focalise dans le portrait sur<br />

les rideaux de la chambre qui restaient fermés<br />

tout au long de la journée, car l'Imam a<br />

peur que le mal puisse se glisser dans<br />

l'appartement. Ce mal, c'est l'étrange,<br />

l'extérieur, la nation étrangère: «Dans les<br />

rares occasions où l'Imam sort prendre l'air<br />

de Kensington, au centre d'un carré formé<br />

par huit jeunes hommes portant <strong>des</strong> lunettes<br />

noires et <strong>des</strong> costumes où l'on distingue <strong>des</strong><br />

bosses, il croise les mains et les fixe <strong>des</strong> yeux,<br />

pour qu'aucun élément, aucune particule de<br />

cette ville haïe - cette fosse d'iniquités qui<br />

l'humilie en lui offrant un refuge, ce qui<br />

l'oblige à un sentiment de reconnaissance<br />

malgré sa luxure, son avarice et sa vanité -<br />

ne puisse lui tomber, comme une poussière,<br />

dans l'oeil» (p.228-229).<br />

Plusieurs Iraniens rapportent que Khomeini<br />

s'est reconnu dans ce portrait, ce qui<br />

l'aurait poussé à édicter sa fatw (11> . Outre<br />

l'opportunité d'attirer la sympathie <strong>des</strong><br />

musulmans Sunnites et Chiites, il savait que<br />

la guerre irano-irakienne avait détérioré son<br />

capital de légitimité spirituelle.<br />

Quant à la deuxième histoire, c'est celle<br />

d'une jeune fille visionnaire qui conduit<br />

tout le village de Tilipur (l'Inde) en pèlerinage<br />

à la Mecque. Un conte qui évoque le<br />

thème soufi de «l'immolation de la mite»,<br />

le récit de l'Exode (la promesse du partage<br />

<strong>des</strong> eaux de la mer d'Arabie devant les pèlerins),<br />

le suicide collectif de Guyana, et du<br />

mouvement activiste religieux dans lesquels<br />

les «fidèles» suivent un leader charismatique<br />

jusqu'à la <strong>des</strong>truction totale. Et<br />

le narrateur intervient en constatant : « Avec<br />

Mahound, il y a toujours une lutte; avec<br />

l'Imam, l'esclavage; mais avec cette fille, il<br />

n'y a rien. Gibreel est inerte, généralement<br />

endormi dans le rêve comme il est dans la<br />

vie» (p.257).<br />

Dans le cinquième mouvement, l'écriture<br />

emprunte les procédés du pidgin et du<br />

rap. Les voix s'entremêlent, l'évocation <strong>des</strong><br />

rencontres féminines <strong>des</strong> deux personnages<br />

est faite par touches successives. Le temps<br />

du récit n'est plus chronologique mais se<br />

compose de différents niveaux temporels<br />

(parallèles et entrecroisés) d'une conscience.<br />

Et le récit à la manière de Beckett dans<br />

Molly: «Il pleuvait...il ne pleuvait pas» qui<br />

devient chez Rushdie: «C'était ainsi, ce<br />

n'était pas ainsi, alors que l'incarnation de<br />

Saladin Chamcha dans le corps d'un<br />

diable...» (p.301). Dans ce mouvement,<br />

l'allusion à l'obsession sexuelle est abondante.<br />

L'écriture y devient langage cinématographique<br />

: « Les flash-backs, le champ et<br />

le contre-champ, il y a les plans en travelling<br />

tournant. N'oublions pas que Chamcha<br />

est «l'homme aux mille voix », il est un imitateur<br />

de génie qui fait <strong>des</strong> voix off dans les<br />

films publicitaires.<br />

Le sixième mouvement «Retour à la<br />

Jahilia» (Ignorance) raconte l'histoire de<br />

la mort du poète Baâl qui s'opposait à la<br />

Soumission que le prophète Mahound a<br />

réussi à imposer. Cette partie a attiré les<br />

foudres <strong>des</strong> islamistes. Baâl a rejoint, dans<br />

sa clan<strong>des</strong>tinité, un bordel et s'est marié à<br />

ses douze prostituées qui ont changé leur<br />

vrais noms pour porter chacune celui <strong>des</strong><br />

femmes de Mahound. Et c'est à ce moment<br />

là que le personnage Salman le Perse se<br />

révolte contre l'autorité de ce prophète.<br />

Aussi, parmi les raisons qui l'y ont poussé<br />

on dénombre: «C'est malsain (...). Toute<br />

cette ségrégation <strong>des</strong> deux sexes. Il ne peut<br />

rien en sortir de bon» (p.419). Il est vrai<br />

que le narrateur décrit à plusieurs endroits<br />

la condition <strong>des</strong> femmes et ses contes ressemblent<br />

à <strong>des</strong> paraboles, fables où les<br />

événements rapportés par la Bible, le<br />

Coran et différentes autres traditions sont<br />

interprétés: «Dans les temps anciens le<br />

patriarche Ibrahim vint dans la vallée avec<br />

Hagar et Ismaïl, leur fils. Ici, dans le désert<br />

sans eau, il abandonna Hagar. Elle lui<br />

demanda, cela peut-il être la volonté de<br />

Dieu? Il répondit, oui. Et il s'en alla, le<br />

salaud. Dès le début les hommes se sont<br />

servis de Dieu pour justifier l'injustifiable.<br />

Les voies de Dieu sont insondables, disent<br />

les hommes....» (p.111).<br />

Dans le septième mouvement; «L'Ange<br />

Azraeel», l'on retourne à l'entremêlement<br />

<strong>des</strong> voix coupées par <strong>des</strong> digressions dont<br />

le contenu prend une tournure non exempt<br />

de l'inspiration <strong>des</strong> pamphlets Le Mariage<br />

du Ciel et de l'Enfer et Les chants de l'expérience<br />

de William Blake. En effet, comme<br />

ce dernier qui voyait dans l'apocalypse une<br />

révélation, le narrateur répéta l'exclamation<br />

de Gibreel signalée au début du roman mais<br />

cette fois-ci, elle devient réflexion: «<strong>Pour</strong><br />

renaître, il faut d'abord mourir» (p.438).<br />

Le huitième retourne pour décrire le<br />

drame de la noyade <strong>des</strong> gens qui ont suivi<br />

la prophétesse Ayesha. Le neuvième clôt le<br />

récit par le retour de Chamcha auprès du<br />

père mourant à Bombay et le suicide de<br />

Gibreel à Londres.<br />

La fable, «Les Versets sataniques»,<br />

relève du burlesque, de la satire, de la remise<br />

en cause de certaines valeurs du dogmatisme<br />

religieux. L'ironie est mise en jeu<br />

dans le récit par <strong>des</strong> mécanismes chers à<br />

Rabelais : le déplacement, le prolongement,<br />

l'élaboration <strong>des</strong> contre-logiques et surtout<br />

l'amplification <strong>des</strong> logiques du monde réel.<br />

Ainsi, Hind la femme du maître de la<br />

Mecque dialogue avec Mahound : « -Tu es<br />

<strong>Revue</strong> <strong>des</strong> Sciences Sociales de la France de l'Est, 1994 55

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