Pour - Revue des sciences sociales

que tel de la décolonisation, qui a suivi la
fin de la Seconde Guerre Mondiale, et des
mouvements de libération nationale qui ont
précédé et accompagné ce phénomène,
notamment en Asie et en Afrique. L'acte de
naissance du Tiers-Monde a été porté à la
connaissance du monde entier lors de la
conférence de Bandoung (Indonésie) en
avril 1955. Certes, comme le rappelle Yves
Lacostenul n'a employé ce terme lors de
la conférence elle-même, mais l'esprit tiersmondiste
souffle sur cette Assemblée de
chefs d'Etat asiatiques et africains, réunie
par Ahmed Soekarno, Président de la jeune
République indonésienne, et fait de cette
réunion le prologue du premier sommet des
pays non-alignés qui se tiendra six ans plus
tard et dont le pays hôte sera la Yougoslavie
du Maréchal Tito.
Le Tiers-Monde désigne, au début, ces
Etats qui naissent à la vie indépendante et,
d'une façon un peu plus générale, les pays
d'Asie et d'Afrique. Il faudra attendre la
révolution cubaine et le début des années
soixante pour que, petit à petit, s'élargisse
la vision précitée jusqu'à y inclure
l'Amérique Latine et les Caraïbes. Le Tiers-
Monde, avons-nous dit, a partie liée avec le
non-alignement, qui a constitué le point de
convergence pour des pays et des régimes
présentant par ailleurs une grande diversité
idéologique, mais aussi socio-économique,
démographique et culturelle, et dont les
intérêts pouvaient être antagoniques à
maints égards. Mais les deux notions ne se
confondent pas et renvoient à des dimensions
distinctes. Ainsi, un pays non-aligné
peut ne pas être du Tiers-Monde au sens
géographique que l'on donne souvent à ce
terme (cf. la Yougoslavie de Tito) et inversement
(de nombreux Etats latino-américains,
par exemple, ont résisté à l'idée de
faire partie du mouvement des non-alignés,
sous la pression des Etats-Unis notamment,
ces derniers ne montrant que peu de sympathie
pour un tel forum). Le non-alignement
réel par rapport aux deux blocs dominants
n'était pas chose aisée ni fréquente... Ce qui
était, par contre, visé par la grande majorité
des pays non-alignés, était de peser d'un
plus grand poids sur les relations internationales
au moyen du nombre et de la concertation
dans certains domaines (cf. la participation
aux conférences CNUCED).
à minimiser les contradictions
internes du Tiers-Monde, à négliger les réalités
économiques et à magnifier des expériences
dont les limites n'allaient pas tarder
à être mises en évidence. Par ailleurs, la
division manichéenne entre les régimes et
forces progressistes et les obscurantistes
allait subir un coup sévère en Indochine, en
Ethiopie-Erythrée et au Moyen-Orient
(mais on pourrait multiplier sans peine les
exemples). Vers la fin des années soixantedix,
le tiers-mondisme, le non-alignement
et même le terme de Tiers-Monde avaient
perdu^ de leur superbe, avaient fait le deuil
d'un certain nombre de leurs illusions et
connaissaient une phase régressive qui allait
s'avérer durable. Or, c'est au cours de cette
phase justement que se développe l'usage
d'un nouveau terme pour désigner les pays
du Tiers-Monde : les pays du Sud. Et c'est
également pendant ces années-là (fin des
soixante-dix et années quatre-vingt) que
l'on évoque dans les pays industrialisés la
nécessité d'un dialogue et d'une harmonisation
Nord-Sud face aux nombreux défis
posés à l'humanité toute entière par le développement,
l'écologie ou les droits de
l'homme.
Ce retour, nécessairement sommaire
dans le cadre de notre propos, sur la genèse
et l'évolution du Tiers-Monde en tant que
concept, mais aussi en tant qu'acteur sur la
scène internationale, nous permet de mieux
comprendre les enjeux de la situation actuelle
pour cet ensemble disparate mais non
dépourvu de quelques caractéristiques communes.
Les implications concrètes du débat
en cours et des initiatives prises ici ou là,
dans les pays en question, sont lourdes et
engagent (ou engageront) l'avenir de ces
pays et le rapport des forces au sein du nouvel
ordre mondial qui se met en place, non
sans difficultés, à l'heure actuelle.
Nous nous proposons de centrer ici notre
réflexion autour de trois points :
a) pourquoi la concertation des pays dits
du Sud est-elle souhaitable, voire possible
? ;
b) est-il justifié de proclamer la caducité
du débat sur les modèles de développement
économique et d'organisation sociopolitique,
n'y a-t-il plus de choix possible ? ;
c) l'existence d'une dualité Nord-Sud remplace-t-elle
le clivage Est-Ouest?, est-elle
nécessairement de caractère antagonique?
En faisant le choix de nous centrer sur
ces questions nous sommes parfaitement
conscients que bien d'autres se posent et
mériteraient pareil effort d'élucidation.
Mais il s'agit de contribuer à ouvrir un débat
qui n'a, pour nous, rien de gratuit et nous
nous proposons de poursuivre et de développer
cette réflexion.
Préserver la concertation
Sud-Sud
La question de la préservation d'instances
de coordination pour les pays du Sud, par de
Revue des Sciences Sociales de la France de l'Est, 1994 168