Pour - Revue des sciences sociales
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Le sens d'un sourire<br />
Parmi la foule <strong>des</strong> témoins qui ont connu<br />
Jean Arp, nous en convoquerons trois. Les<br />
deux premiers, pour évoquer le sourire de<br />
l'homme Arp, son sourire subjectif en<br />
quelque sorte. Ainsi, Tristan Tzara écrit:<br />
« Je te salue, Arp, sourire léger <strong>des</strong> pluies<br />
marines.» <br />
Sourire pour faire avancer<br />
les choses, l'alliance de ces deux termes<br />
n'est -elle pas déjà l'humour. Nous connaissons,<br />
par le témoignage d'un quatrième,<br />
Maxime Alexandre, la verve et l'humour<br />
qui lui plaisaient tant chez Arp quand il fréquentait<br />
les surréalistes. (4)<br />
Nous ne pouvons<br />
nous empêcher de rapporter cette anecdote<br />
célèbre racontée par André Breton où nous<br />
découvrons que dans la vie l'humour peut<br />
avoir un caractère subversif. Cela se passe<br />
en Suisse où Hans Arp est convoqué pour<br />
ses obligations militaires : «... invité par un<br />
psychiatre à donner par écrit sa date de naissance,<br />
il la répète jusqu'au bas de la feuille,<br />
où il tire un trait et, sans trop se soucier de<br />
l'exactitude de l'addition, présente un total<br />
de quelques chiffres. » (5)<br />
Dans un essai sur l'oeuvre du sculpteur<br />
Jean Hans Arp, Roland Recht (6)<br />
définit<br />
l'humour d'Arp en respectant - discrètement<br />
- l'équilibre entre sourire et provocation.<br />
Dans son analyse, «renversement» , «scandale»,<br />
«provocation», «anti-art» renvoient<br />
à une idée du poète en général comme<br />
«humoriste», et du poète surréaliste qui serait<br />
un humoriste «doublé d'un critique».<br />
Là où certains voient le sourire, d'autres<br />
critiques voient au même moment la philosophie<br />
noire. Les témoins que nous avons<br />
cités venaient du dadaïsme ou du surréalisme.<br />
Or ces deux mouvements pratiquaient<br />
l'humour noir. Arp lui-même parle à plusieurs<br />
reprises «d'humour noir» pour les<br />
dadaistes. C'est ainsi qu'il écrit dans un<br />
texte autobiographique : «La fragilité de la<br />
vie et <strong>des</strong> oeuvres humaines se convertissait<br />
chez les dadaïstes en humour noir» (7)<br />
qu'il figure dans l'anthologie de Breton<br />
consacrée précisément à ce sujet. (8)<br />
Breton<br />
n'ayant pas retenu le plus «noir» de ses<br />
textes, nous en citerons un autre :<br />
« Un homme s'endort corbeau<br />
et se réveille corbillard suivi de plusieurs<br />
centaines de personnes. » m<br />
Règles du jeu et règles<br />
de l'Arp<br />
La critique a mis l'accent sur les sources<br />
de l'humour de Hans Arp comme parodie<br />
<strong>des</strong> formes littéraires traditionnelles. Si l'on<br />
voit en général ce courant culminer dans le<br />
dadaïsme, cette tendance se manifeste chez<br />
Arp dès les années 1911-1912. Partant<br />
d'une tradition néo-romantique, le jeune<br />
Arp ironise - en même temps que les «théories<br />
sophistiquées de l'époque » - ses formes<br />
traditionnelles, plutôt que de s'y complaire<br />
comme nombre de ses contemporains et va<br />
ainsi transformer un certain «retard» sur la<br />
modernité en atout.