14.06.2014 Views

L'idée de la chute dans l'Anthologie du portrait de Cioran

L'idée de la chute dans l'Anthologie du portrait de Cioran

L'idée de la chute dans l'Anthologie du portrait de Cioran

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

p.10 sur 112<br />

l'état <strong>de</strong> nature. Il est envisagé avec nostalgie comme un mythe, par une société qui l'idéalise sans<br />

véritablement l'aimer, p<strong>la</strong>cée aux antipo<strong>de</strong>s <strong>de</strong> ce mythe. <strong>Cioran</strong> prend l'exemple <strong>du</strong> malheur <strong>de</strong><br />

Mme <strong>du</strong> Deffand <strong>dans</strong> sa lettre à Walpole. Cérébrale et sceptique, elle est victime d'une intelligence<br />

qui tourne à vi<strong>de</strong> et qui agit comme un poison. Toute <strong>la</strong> haute société <strong>de</strong> l'époque est touchée et<br />

l'exprime par une ironie motivée par cette envie frustrée <strong>de</strong> croire. L'homme extérieur en est <strong>la</strong><br />

cible. <strong>Cioran</strong> achève sa préface en évoquant les conséquences <strong>de</strong> cet état d'esprit général. Le<br />

Français, mut par sa vanité, fait passer en politique le brio avant <strong>la</strong> compétence, ce qui lui permet<br />

<strong>de</strong> briller lors <strong>de</strong>s pério<strong>de</strong>s mouvementées : c'est autant un littérateur qu'un homme d'Etat, selon le<br />

jugement <strong>de</strong> Tocqueville, <strong>portrait</strong>iste qui clôt <strong>l'Anthologie</strong> <strong>du</strong> <strong>portrait</strong>. Mais sa vanité le rend<br />

sensible aux blessures <strong>de</strong> l'amour-propre, pour <strong>la</strong> plus gran<strong>de</strong> joie <strong>de</strong>s <strong>portrait</strong>istes qui sont<br />

nombreux à écrire leurs « souvenirs ». Dans ces circonstances, ils peignent l'homme sans <strong>la</strong><br />

moindre noblesse d'âme, pour ne pas contrevenir à leur système. Mais ils ressentent alors qu'ils<br />

sont inaptes à cerner les êtres, et, inconsciemment le plus souvent, ils se servent <strong>de</strong> l'idée <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

<strong>chute</strong>. De <strong>la</strong> sorte, ils réhabilitent précisément l'esthétique inspirée d'une anthropologie alors<br />

historiquement considérée comme dépassée par le mouvement <strong>de</strong>s Lumières et <strong>la</strong> Révolution<br />

française, et à <strong>la</strong>quelle ils ne croient plus.<br />

Cette grille <strong>de</strong> lecture suggère donc au lecteur <strong>de</strong> retrouver <strong>dans</strong> les <strong>portrait</strong>s une autre<br />

esthétique que celle consciemment proposée par les mémorialistes qui composent l'anthologie.<br />

<strong>L'idée</strong> d'écrits <strong>du</strong> XVIIIe siècle marqués inconsciemment par le thème <strong>du</strong> péché originel n'est pas<br />

sans rappeler le jugement <strong>de</strong> Bau<strong>de</strong><strong>la</strong>ire, qui estimait que l'erreur <strong>de</strong> ce siècle était d'avoir posé <strong>la</strong><br />

nature et non le péché comme fon<strong>de</strong>ment <strong>du</strong> beau :<br />

La plupart <strong>de</strong>s erreurs re<strong>la</strong>tives au beau naissent <strong>de</strong> <strong>la</strong> fausse conception <strong>du</strong> XVIIIe siècle<br />

re<strong>la</strong>tive à <strong>la</strong> morale. La nature fut prise <strong>dans</strong> ce temps-là comme base, source et type <strong>de</strong> tout<br />

bien et <strong>de</strong> tout beau possibles. La négation <strong>du</strong> péché originel ne fut pas pour peu <strong>de</strong> chose <strong>dans</strong><br />

l'aveuglement général <strong>de</strong> cette époque 12 .<br />

12 Bau<strong>de</strong><strong>la</strong>ire, Charles, "Le peintre <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie mo<strong>de</strong>rne", <strong>dans</strong> œuvres Complètes, Gallimard, 1976, p.715

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!