14.06.2014 Views

L'idée de la chute dans l'Anthologie du portrait de Cioran

L'idée de la chute dans l'Anthologie du portrait de Cioran

L'idée de la chute dans l'Anthologie du portrait de Cioran

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

p.71 sur 112<br />

morbi<strong>de</strong> <strong>de</strong> lucidité permet le <strong>portrait</strong> : « En gran<strong>de</strong> partie, le <strong>portrait</strong> en tant que genre est issu <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

vengeance et <strong>du</strong> cauchemar <strong>de</strong> l'homme <strong>de</strong> bonne compagnie qui a trop pratiqué ses semb<strong>la</strong>bles<br />

pour ne les point exécrer. » (A, p.13). Cette définition <strong>de</strong> l'artiste, envisagé comme un être dont les<br />

souffrances et <strong>la</strong> lucidité font <strong>la</strong> pertinence, n'est pas sans rappeler les vues <strong>de</strong> Nietzsche, chez qui<br />

l'aspect morbi<strong>de</strong> <strong>de</strong> l'existence d'un artiste est essentiel pour lui permettre <strong>de</strong> créer : « Ce sont les<br />

état d'exception qui déterminent un artiste, tous ceux qui sont profondément apparentés et<br />

enchevêtrés à <strong>de</strong>s phénomènes morbi<strong>de</strong>s ; <strong>de</strong> telle sorte que l'on ne peut être artiste sans être<br />

ma<strong>la</strong><strong>de</strong> 51 . » Le <strong>portrait</strong>uré qui illustre le mieux les propos tenus par <strong>Cioran</strong> sur le moraliste rongé<br />

par <strong>la</strong> lucidité est Joubert <strong>dans</strong> <strong>l'Anthologie</strong> <strong>du</strong> <strong>portrait</strong>. Joubert, à l'image <strong>de</strong> <strong>Cioran</strong>, transforme <strong>la</strong><br />

pensée en sentiments, et crée une œuvre d'art à l'ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> ses souffrances : « profond métaphysicien,<br />

sa philosophie, par une é<strong>la</strong>boration qui lui était propre, <strong>de</strong>venait peinture ou poésie » (A, p.185).<br />

C'est le type <strong>du</strong> véritable moraliste selon <strong>Cioran</strong>, qui retourne sa c<strong>la</strong>irvoyance contre les autres, par<br />

l'écriture : « c'était un égoïste qui ne s'occupait que <strong>de</strong>s autres » (A, p.184) écrit ainsi Chateaubriand<br />

<strong>de</strong> Joubert.<br />

3) L'aveuglement<br />

Toutefois, le rapport à <strong>la</strong> lucidité est rarement explicite <strong>dans</strong> <strong>l'Anthologie</strong> <strong>du</strong> <strong>portrait</strong>, et<br />

l'aveuglement est souvent convoqué. La <strong>du</strong>chesse <strong>du</strong> Maine <strong>la</strong> fuit même aussi loin qu'il est<br />

possible. Elle ignore le doute et « l'idée qu'elle a d'elle même est un préjugé » (A, p.49) note avec<br />

humour Mme Staal-De<strong>la</strong>unay. Mme <strong>de</strong> Coislin « s'était fait un illuminisme à sa guise » et « Cré<strong>du</strong>le<br />

ou incré<strong>du</strong>le, le manque <strong>de</strong> foi <strong>la</strong> portait à se moquer <strong>de</strong>s croyances dont <strong>la</strong> superstition lui faisait<br />

peur » (A, p.181). La fuite se fait, <strong>dans</strong> son <strong>portrait</strong> par Chateaubriand, par le rire et <strong>la</strong> création <strong>de</strong><br />

croyances à sa guise. La fuite peut-être superstitieuse, mais aussi politique. C'est le cas avec Julie<br />

Talma, qui, alors que sa ma<strong>la</strong>die a <strong>du</strong>ré trois mois, <strong>de</strong>ux heures avant <strong>de</strong> mourir, déjà agonisante ou<br />

51 Nietzsche Friedrich, La volonté <strong>de</strong> puissance, op. cit., T.1, p.380

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!