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L'idée de la chute dans l'Anthologie du portrait de Cioran

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p.22 sur 112<br />

intérieur en lequel « il lui était insupportable d'y rentrer » (A, p.43).<br />

Cette division <strong>de</strong> l'i<strong>de</strong>ntité <strong>du</strong> moi coïnci<strong>de</strong> avec celle <strong>de</strong> Joubert décrivant<br />

Chateaubriand. Pour celui-ci, « il ne se parle point, il ne s'écoute guère, il ne s'interroge jamais » (A,<br />

p.189). Sauf s'il s'agit <strong>de</strong> s'intéresser à <strong>la</strong> « partie extérieure <strong>de</strong> son âme » (A, p.189), qui correspond<br />

à son goût, à son imagination, à ses phrases, ainsi qu'à « l'arrondissement <strong>de</strong> sa pensée » (A, p.190).<br />

On imagine donc, d'un autre côté, une « partie intérieure à son âme ». C'est ce qui est confirmé un<br />

peu plus loin, lorsque Joubert distingue chez Chateaubriand l'homme natif <strong>de</strong> l'homme <strong>de</strong><br />

l'é<strong>du</strong>cation. Le premier étant marqué par son innéité, le second par sa re<strong>la</strong>tivité vis à vis <strong>du</strong> milieu<br />

(temporel ou spatial), en quoi l'on reconnaît <strong>la</strong> distinction entre un homme intérieur qui relève <strong>de</strong><br />

l'essence, <strong>de</strong> l'Idée, marqué par un retour douloureux vers soi-même, et un homme extérieur qui<br />

relève <strong>du</strong> phénomène, <strong>du</strong> temps : « Un fond d'ennui qui semble avoir pour réservoir l'espace<br />

immense qui est vacant entre lui-même et ses pensées exige perpétuellement <strong>de</strong> lui <strong>de</strong>s distractions<br />

qu'aucune occupation, aucune société ne lui fourniront jamais à son gré, et auxquelles aucune<br />

fortune ne pourrait suffire s'il ne <strong>de</strong>venait tôt ou tard sage et réglé. Tel est en lui ce qu'on pourrait<br />

appeler l'homme natif. Voici celui <strong>de</strong> l'é<strong>du</strong>cation. (...) » (A, p.190).<br />

Mais l'on retrouve aussi sous sa plume une autre distinction, entre le Chateaubriand qui<br />

écrit et celui qui vit. On pense alors plutôt à <strong>la</strong> distinction proustienne entre le moi social et le moi<br />

créateur, que Proust définit ainsi :<br />

Un livre est le pro<strong>du</strong>it d'un autre moi que celui que nous manifestons <strong>dans</strong> nos habitu<strong>de</strong>s, <strong>dans</strong> <strong>la</strong><br />

société, <strong>dans</strong> nos vices. Ce moi-là, si nous voulons essayer <strong>de</strong> le comprendre, c'est au fond <strong>de</strong><br />

nous-mêmes, en essayant <strong>de</strong> le recréer en nous, que nous pouvons y parvenir 22 .<br />

Le moi créateur proustien <strong>de</strong>vient ici, aux yeux <strong>de</strong> <strong>Cioran</strong>, ce moi en rapport avec Dieu,<br />

coïncidant ainsi avec l'homme intérieur, au contraire <strong>de</strong> l'homme extérieur qui renverrait alors au<br />

moi social, <strong>dans</strong> <strong>la</strong> mesure où <strong>Cioran</strong> considère que le récepteur <strong>du</strong> texte littéraire n'est pas un<br />

22 Proust Marcel, Contre Sainte-Beuve, Gallimard, Folio essais, 2004, p.127

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