14.06.2014 Views

L'idée de la chute dans l'Anthologie du portrait de Cioran

L'idée de la chute dans l'Anthologie du portrait de Cioran

L'idée de la chute dans l'Anthologie du portrait de Cioran

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

p.26 sur 112<br />

4) L'insensibilité, ou <strong>la</strong> mondanité <strong>de</strong> l'homme extérieur annihi<strong>la</strong>nt l'homme intérieur<br />

Ces <strong>de</strong>ux facettes distinctes <strong>de</strong> l'i<strong>de</strong>ntité humaine peuvent s'opposer, et le pro<strong>du</strong>it <strong>de</strong> cet<br />

antagonisme est parfois l'insensibilité <strong>de</strong>s <strong>portrait</strong>urés <strong>de</strong> L'Anthologie <strong>du</strong> <strong>portrait</strong>. En effet,<br />

l'insensibilité est un reproche courant <strong>dans</strong> <strong>l'Anthologie</strong> <strong>du</strong> <strong>portrait</strong>, un reproche qui est lié aux<br />

notions d'homme intérieur et d'homme extérieur. Fontenelle, par exemple, est décrit comme<br />

quelqu'un d'insensible à l'art, n'ayant jamais ni ri ni pleuré. « Cette gran<strong>de</strong> indifférence (...) faisait le<br />

fond <strong>de</strong> son caractère » (A, p.58) note Grimm. Son homme extérieur, ses raffinements mondains<br />

étouffent sa sensibilité. Grimm affirme également que Fontenelle méconnaît le pouvoir enchanteur<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> beauté, ce dont on peut douter lorsqu'il mentionne les bons mots dont ce <strong>de</strong>rnier se rend<br />

coupable auprès <strong>de</strong>s jeunes femmes. Mais cette insensibilité <strong>de</strong> Fontenelle est surtout bril<strong>la</strong>mment<br />

illustrée par « l'histoire <strong>de</strong>s asperges » :<br />

M. <strong>de</strong> Fontenelle les aimait singulièrement, surtout accomodées à l'huile. Un <strong>de</strong> ses amis qui<br />

aimait à les manger au beurre (je ne sais si ce n'est pas l'abbé Terrasson) étant venu un jour lui<br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong>r à dîner, il lui dit qu'il lui faisait un grand sacrifice en lui cédant <strong>la</strong> moitié <strong>de</strong> son p<strong>la</strong>t<br />

d'asperges, et ordonna qu'on mît cette moitié au beurre. Peu <strong>de</strong> temps avant <strong>de</strong> se mettre à table,<br />

l'abbé se trouver mal et tombe un instant après en apoplexie. M. De Fontenelle se lève avec<br />

précipitation, court à <strong>la</strong> cuisine, et crie : Tout à l'huile, tout à l'huile ! (A, p.58)<br />

L'intéressé lui-même avoue d'ailleurs avoir relégué le sentiment « <strong>dans</strong> l'églogue » (A, p.57).<br />

Fontenelle est très intéressant en ce qu'il coïnci<strong>de</strong> avec <strong>la</strong> caricature <strong>du</strong> philosophe selon <strong>Cioran</strong>,<br />

que l'absence <strong>de</strong> sentiments condamne à <strong>la</strong> médiocrité <strong>dans</strong> son travail philosophique.<br />

La <strong>du</strong>chesse <strong>de</strong> Chaulnes également voit son i<strong>de</strong>ntité extérieure étouffer son i<strong>de</strong>ntité<br />

intérieure, lorsqu'elle est décrite comme « dénuée <strong>de</strong> sentiment et <strong>de</strong> passion » (A, p.70) et que Mme<br />

<strong>du</strong> Deffand rajoute que « son âme est insensible, [que] ses sens sont rarement affectés » (A, p.71).<br />

Elle lie ainsi les <strong>de</strong>ux <strong>dans</strong> <strong>la</strong> même phrase et fait <strong>de</strong> l'i<strong>de</strong>ntité intérieure <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>du</strong>chesse <strong>de</strong> Chaulnes<br />

<strong>la</strong> responsable <strong>de</strong> son insensibilité à l'égard <strong>du</strong> mon<strong>de</strong> extérieur.

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!