<strong>Les</strong> <strong>mares</strong> <strong>temporaires</strong> méditerranéennese. Suivi des macro-crustacésThiéry AContrairement aux insectes, les invertébrés à respiration exclusivementbranchiale (dont les crustacés Branchiopodes) passent leurvie entière dans la mare sous deux états :• un état actif, durant les périodes d’inondation, au cours duquelils assurent leur cycle biologique (croissance, nutrition, reproduction,etc.), en passant par les stades larvaires, juvéniles et adultes,• un état de diapause, durant les périodes d’assèchement, aucours duquel les populations ne survivent que sous forme d’œufsde résistance.Lorsque la mare est en eau, seule une fraction de la population estactive, l’autre peut demeurer dans les sédiments sous forme d’œufspendant plusieurs années.L’observation directe in situ des individus sera plus ou moins facileselon l’âge des organismes, donc leur stade de développement et leurtaille. Du fait de la synchronisation des éclosions dès la remise en eau,tous les œufs arrivés à maturité de leur diapause éclosent en quelquesheures ou quelques jours après submersion (la seule humectation ouréhydratation des sédiments est inefficace). <strong>Les</strong> individus nés à lamême date évoluent en cohorte* ce qui facilite la détermination desstades de croissance. Durant les premières semaines de mise en eau,selon les vitesses spécifiques de croissance (Fig. 43), on ne trouveraque des larves ou des juvéniles, qui seront difficiles à observer et àidentifier (petites tailles, transparentes).MéthodesInventaireL’inventaire a sera basé sur une série de prélèvements qualitatifs aufilet de maille 100 à 200 µm. La fréquence des prélèvements et leura. <strong>Les</strong> données collectées feront l’objet d’une fiche destinée à compléter l’inventairenational initié par le Muséum National d’Histoire Naturelle de Paris et le Service duPatrimoine de Paris (modèle joint au volume 2).Figure 43. Vitesse de croissance des larves de macro-crustacés(d’après Thiéry 380 )Longueur (mm)454035302520151050Tanymastigites jbileticaTriops granariusCyzicus bucheti0 6 16 26 36 46 56 66Temps (jours)date seront fonction de la date et de la durée de mise en eau. Parexemple, pour une mise en eau en octobre et un assèchement enavril, au moins trois prélèvements devront être réalisés : respectivementquinze jours, deux-trois mois et trois mois après la mise eneau. Des prélèvements seront faits dans différentes zones de lamare, en eau libre, dans les herbiers enracinés ou flottants, etc.,pour intégrer l’hétérogénéité de l’habitat. Dans tous les cas, lesprélèvements se feront en tenant compte de l’ombre portée parl’observateur par temps ensoleillé, ainsi que du vent qui transmetles ondes de choc dues aux déplacements de l’opérateur. <strong>Les</strong>Branchiopodes sont en effet particulièrement sensibles à ces perturbationset peuvent fuir rapidement.Pour l’identification, il est parfois possible de photographier lesindividus dans un cristallisoir, puis de les relâcher. Toutefois, cetravail se fait plus généralement au laboratoire après fixation àl’eau formolée 8-10 % vol./vol. (l’alcool à 70° provoque des déformationsparfois excessives, ainsi que la disparition des couleurs parla dissolution des pigments). Il est utile de noter des colorationsparticulières in vivo. <strong>Les</strong> techniques de piégeage (nasses, appâts,pièges lumineux subaquatiques, etc.) ne donnent pas de résultatsprobants.L’inventaire des formes aquatiques doit être complété par unerecherche attentive des formes de résistance durant la phase asséchée.Cette méthode sera le plus souvent confiée à un organismespécialisé et compétent. Il faut échantillonner à divers endroits dela mare sèche. Si des méthodes rigoureuses ont été proposéesrécemment, dont celle de Maffei et al. 246 , nous retiendrons, pourdes raisons de simplicité, celle des transects (cf. Chapitre 6d) avec :• un prélèvement au centre, au point le plus profond (lors de l’assèchementdes femelles d’Anostracés ont pu se regrouper et libérerleurs pontes à cet endroit),• un prélèvement à la périphérie un peu en dessous de la limitedes hautes eaux (certains œufs flottent et, sous l’effet des vents,peuvent s’amasser sur les berges, particulièrement sous le ventdominant).Chez les Notostracés, les femelles de Triops ont une nette tendanceà agglutiner leurs œufs sur des graviers 378, 385 alors que lesfemelles de Lepidurus les collent sur des feuilles ou les enfouissentpartiellement dans les sédiments. Dans le cas des Triops, la pontecentrifuge (en bordure) est une adaptation qui permet aux œufsde n’éclore que lorsque le niveau d’eau est au plus haut : la duréed’inondation sera alors suffisante pour que les juvéniles arrivent àmaturité.La recherche des œufs se fait par lavage des sédiments sur untamis de 100 µm de vide de maille ou par flottaison avec une eausaturée en sucre ou en CaCl 2 (méthode de séparation par différencede densités). En complément, il est possible de rechercher lesmacro-restes, c’est-à-dire les fragments de cuticules fortement chitinisésou kératinisés (mandibules de Lepidurus, telsons de Triops,antennes de mâles de Branchipus, fragments de carapace de Spinicaudata,par exemple, Fig. 44). Cette méthode a été testée avecsuccès dans des biotopes restés à sec pendant plusieurs années enAfrique du Nord et sub-saharienne 380 .Il est toujours utile de préciser les conditions dans lesquelles l’espècea été récoltée. <strong>Les</strong> variables les plus importantes pour lescrustacés sont la minéralisation (mesurée par la conductivité électrique),la transparence, la température, l’oxygène dissous, le pH etla profondeur de l’eau 380 (Chapitre 3e). L’acquisition de ces mesurespeut être confiée à un bureau d’étude ou un laboratoire universitaire.104
6. SuiviSuivi des populationsLe suivi de la fréquence, de l’abondance, de la densité des populationspar litre ou par unité de surface (m 2 ) et du sex-ratio* est pluslourd en temps et demande plus de rigueur. Dans ce cas la mareest divisée en cellules numérotées dont certaines (au moins 3) sonttirées au hasard pour un prélèvement de volume connu (techniquedes carrés latins). Moyenne et variance permettent d’établir la distributionde l’espèce au temps t. Par exemple, ce protocole appliquéà Lindiriella massaliensis dans la mare de Bonne Cougne (Var,France) a montré des regroupements d’individus en décembre, puisune distribution au hasard en janvier, avant la disparition spontanéede la population en février. A faible profondeur, les échantillonssont prélevés au cylindre sans fond 275 375, 380 . Son enfoncement dequelques centimètres dans les sédiments assure l’étanchéité à sabase ce qui permet de vider ou de filtrer la colonne d’eau dont onconnaît le volume (surface de base x hauteur). Lorsque la profondeurdépasse 50-60 cm, on utilise un filet qui filtrera un volumed’eau déterminé par le diamètre d’ouverture et la longueur du trait(1 ou 2 m en général). L’emploi de substrats artificiels peut compléterles méthodes classiques (Encadré 56). Le dénombrement sefera sous loupe binoculaire et les comptages se feront soit à valeursréelles (juvéniles, adultes), soit dans le cas de grands effectifs,selon la méthode de Frontier 151 qui définit des classes d’abondanceselon une progression géométrique :• Cote 0 effectifs 0,• Cote 1 effectifs 1 à 3,• Cote 2 effectifs 4 à 17,• Cote 3 effectifs 18 à 80,• Cote 4 effectifs 80 à 350,• Cote 5 effectifs 351 à 1 500, etc.La détermination du sex-ratio* est utile dans le suivi des populations,l’évolution du ratio pouvant varier selon les espèces et enfonction du temps. <strong>Les</strong> techniques basées sur le suivi individuel sontinopérantes chez les crustacés : la mue ne permet pas le marquagecoloré et la coupure d’un cerque, ou une amputation, comme celapeut se faire chez les amphibiens, provoque la mort rapide des individussuite à des hémorragies (système circulatoire ouvert).L’étude des populations de macro-crustacés peut faire appel àd’autres méthodes mais qui sont relativement lourdes à mettre enœuvre et qui peuvent demander un équipement rarement à dispositiondes gestionnaires et des compétences techniques trèspointues. Lorsqu’elles seront nécessaires, ces méthodes (décritessommairement ci-dessous) seront mises en œuvre par des équipesspécialisées.<strong>Les</strong> courbes de croissance/tables de vie nécessitent l’établissementde corrélations entre la longueur totale ou d’un élément, commele telson, et l’âge des individus. D’une façon générale, les Anostracéssont mesurés du front à l’extrémité des cerques inclus, lesNotostracés par la longueur de la carapace et les Spinicaudata parla longueur des valves. <strong>Les</strong> mesures sont faites sur papier millimétré(estimations rapides) ou avec un micromètre oculaire sousloupe binoculaire.La fécondité se mesure par le nombre d’œufs de chaque pontedurant la vie de la femelle. A titre d’exemple, le nombre d’œufscroît de façon exponentielle, de 2 à 350 au sein d’une ponte avecl’âge de la femelle (8 à 17 mm). Sachant qu’elle peut pondre entre4 et 6 fois au cours de son existence, on peut estimer le nombred’œufs produits à plus de 650. Dans le cas de Spinicaudata (Cyzicus,Leptestheria, etc.), une femelle peut au cours de sa vie pondre plusieursmilliers d’œufs.<strong>Les</strong> mesures de biomasses nécessitent une fixation au formaldéhyde10 % (ne déforme pas et ne dissout pas ou peu les graisses : 6 à 8 %de perte de biomasse contre 25 % dans l’alcool), le séchage à l’étuve(65 °C), le refroidissement, puis la pesée des individus 380 (isolémentou par lots de 10). L’établissement d’une équation de régressionLongueur (L mm)-Poids sec (W mg) spécifique servira pour d’autresmilieux sans avoir à recommencer ces opérations.Dans le cadre d’études des métapopulations*, les méthodes utilisantl’outil moléculaire (structure génétique des populations, polymorphismedes loci, microsatellites, etc.) permettent de caractériser lespopulations (stabilité intrasite) et de quantifier leur isolement, ouleurs relations interpopulationnelles au sein d’un ensemble de sitescorrespondant à une aire fragmentée (voir Bohonak 39 et Brendoncket al. 57 , pour des exemples chez les Anostracés).Figure 44. Restes de macro-crustacés trouvés dans le sédiment (d’après Thiéry 380 )A, B : Anostracés, antennes de Branchipus schaefferi et Tanymastigites jbileticaC, D, E : Fragments de cerque de bouclier céphalo-thoraxique, mandibule de Triops granariusF : Conchostracé, fragment de pince de Leptestheria mayetiACFDEB105