<strong>Les</strong> <strong>mares</strong> <strong>temporaires</strong> méditerranéennesf. Dynamique et génétiquedes populationsP. Gauthier & P. GrillasIntroduction<strong>Les</strong> <strong>mares</strong> <strong>temporaires</strong> ont une distribution discontinue. Analoguesà des îles, elles sont séparées par des milieux très différents. Pour lesespèces strictement inféodées aux <strong>mares</strong>, l’analogie avec des îles estpertinente : les populations y sont isolées, souvent fluctuantes et àfaible capacité de dispersion. En revanche, pour des espèces moinsspécialisées, les <strong>mares</strong> peuvent constituer des habitats secondaires,plus ou moins durables. Ainsi, les <strong>mares</strong> sont peuplées à la fois pardes espèces qui dépendent strictement de cet habitat et pard’autres qui l’utilisent de façon opportuniste.On s’intéressera ici surtout à la biologie des populations des espècesspécialistes des zones humides <strong>temporaires</strong> : celles qui n’ont pas derefuge ou de population source à l’extérieur des <strong>mares</strong> <strong>temporaires</strong>,Encadré 26. Suivi d’une population : le cas du Triton crêtéTriturus cristatus sur le site de Valliguières dans le Gard(sud de la France)ContexteLa population de tritons crêtés de l’étang de Valliguières (Gard)constitue une des dernières populations du Midi de la France. A cetitre, cet étang a été inclus dans le réseau des sites Natura 2000, enapplication de la Directive Habitats 118 . Depuis janvier 2000, cettepopulation fait l’objet d’un suivi dans le cadre du LIFE “MaresTemporaires”.ProblématiqueLa mise en eau de la mare est épisodique et conditionnée par lesfortes pluies qui alimentent les eaux souterraines d’origine karstique(Encadré 12, Chapitre 3b). Durant les onze dernières années,seules cinq ont connu une mise en eau assez longue (assèchementen juillet-août) pour permettre le succès de la reproduction. En2001, la structure de la population ne révélait que des adultes,laissant craindre un déclin rapide de celle-ci. <strong>Les</strong> questions qui seposaient alors étaient les suivantes. Quelle est la taille de la population? Est-elle stable ou en diminution ? Est-ce qu’une reproductionbi- voire tri-annuelle suffit au maintien à long terme decelle-ci ? Peut-on augmenter la taille de la population et/ou sonsuccès de reproduction afin de limiter ses risques d’extinction ?Techniques utiliséesUn protocole de Capture-Marquage-Recapture (CMR) a été mis enplace à partir de janvier 2000 à raison d’une visite tous les 15 joursdurant la période de présence des tritons sur le site (novembre àmai environ, avec de fortes variations annuelles dans les temps deprésence). <strong>Les</strong> tritons étaient capturés de nuit à l’épuisette etidentifiés individuellement grâce aux taches noires qui ornent leurface ventrale (photo-identification individuelle). Trente-quatrevisites sur le site ont permis 645 captures correspondant à 216 individusdifférents.RésultatsLa taille de la population a été estimée à 199 individus en 2001 (177-237) et 119 en 2002 (110-133) et un total de 213 individus pour lesdeux années, confirmant l’hypothèse d’une petite population (environ100 femelles reproductrices). <strong>Les</strong> structures de taille montrentl’absence de juvéniles en 2001 dans la population. L’estimation desparamètres démographiques (taux de survie adulte, taux de recrutement)ne permet pas de modéliser avec précision l’avenir de la population.Une année de suivi supplémentaire est nécessaire. Cependant,les résultats montrent déjà que, pour une survie adulte estimée entre59 et 88 %/an, la probabilité d’extinction de la population est trèsforte. Elle ne pourra se maintenir que dans l’hypothèse d’une survieadulte élevée (88 %/an) et avec un recrutement minimum de 56 individustous les trois ans environ, ce qui est une valeur forte mais sansdoute réalisable. Sans intervention sur le milieu (conservation d’uncycle de mise en eau bi- voire tri-annuel), un recrutement d’environ30 % à chaque reproduction réussie sera nécessaire au maintien deCapture nocturne et reconnaissance individuelle de Triturus cristatus àl'étang de Valliguièresla population. Avec une reproduction tous les ans, le recrutementnécessaire pour stabiliser la population n’est plus que de 15 %.Dans l’hypothèse d’une reproduction réussie tous les deux ans, lapopulation a 95 % de chance de se maintenir au delà de cent anssi la survie adulte se maintient à 88 % et si, au minimum, 32 individussont recrutés tous les deux ans dans la population (Fig. 19).Face à ce constat, le projet LIFE “Mares Temporaires” a identifiéplusieurs actions de gestion favorables au maintien et à la surviede la population de tritons : le surcreusement de la mare pour prolongerla période d’inondation et permettre aux larves d’achever leurmétamorphose plus fréquemment, la création de <strong>mares</strong> additionnellespour augmenter les effectifs et limiter les risques d’extinction,la gestion du couvert végétal pour faciliter le cheminementdes tritons pendant leur phase terrestre et la mise en place de pierriersà proximité des berges pour sécuriser l’émergence des amphibiensjuvéniles vis-à-vis des sangliers.Cheylan M., K. Lombardini & A. BesnardFigure 19. Probabilité d’extinction d’une population isolée de Triton crêtésoumise à différentes fréquences d’assèchement (d’après Besnard 32 )Probabilité d’extinction à 50 ans10,80,60,40,20Effectif initial de 200 individusEffectif initial de 50 individusTousles ans1 annéesur 21 annéesur 31 annéesur 4Fréquence des années avec assec précoce = Echec reproductionGendre T.54
3. Fonctionnement et dynamique de l’écosystème et des populationsou celles qui doivent nécessairement y accomplir une partie de leurcycle.La connaissance de la biologie des populations et l’évaluation deleur diversité génétique sont indispensables pour leur gestion et leurconservation à long terme. Il est généralement accepté que la capacitéd’adaptation des populations est liée à leur diversité génétique.Inversement et paradoxalement, une bonne adaptation locale à desmilieux extrêmes peut aussi avoir comme conséquence une diminutionde leur diversité génétique. Pour évaluer la diversité génétiquedes populations d’une espèce, plusieurs paramètres clés sont àprendre en compte : l’histoire des populations, leur taille, leur degréd’isolement, le système de reproduction (auto ou allogamie*), lanature des flux de gènes et l’existence d’adaptations locales.Une hiérarchisation des populations en fonction de leur niveau d’intérêtpeut s’avérer nécessaire pour orienter le choix des gestionnairesvers telle ou telle population lorsque toutes, par exemple, nepeuvent pas faire l’objet de mesures conservatoires. <strong>Les</strong> biologistesde la conservation ont donc créé, dans les années 1980, la notiond’unité évolutive d’intérêt (Evolutionary Significative Unit ou ESU) :unité population qui mérite une gestion particulière et une hautepriorité de conservation, sur la base d’une variation adaptative déterminéesur des données écologiques et/ou génétiques 94 .Des populations souvent petites et isoléesLa probabilité d’extinction est plus grande dans les populations depetite taille, et, plus particulièrement, dans un environnement fluctuantcomme les <strong>mares</strong> <strong>temporaires</strong>. Dans ces milieux, les populationssont souvent détruites totalement ou partiellement, parexemple par un assèchement ou une inondation précoce (cas duTriton crêté, Encadré 26), avant qu’elles n’aient pu accomplir leurcycle de reproduction.Dans les populations de petite taille, l’augmentation de la consanguinité(dérive génétique) peut aboutir à l’accumulation de mutationsdéfavorables, susceptibles de conduire à leur extinction. Elles’accompagne généralement d’une diminution de la capacité d’adaptation(valeur sélective) des individus.La faible taille des populations constitue donc un risque pour lesespèces du fait du risque aléatoire d’extinction lié aux fortes fluctuationsenvironnementales et de la réduction des capacités d’adaptationdue à la consanguinité. Certaines caractéristiques biologiquesdes espèces comme le système de reproduction (autogamie*/allogamie*),la dispersion (du pollen et des semences) ou l’importancedu stock semencier pour les plantes, peuvent accentuer ou atténuerce risque.Encadré 27. <strong>Les</strong> paradoxes de l’Armoise de MolinierL’Armoise de Molinier (Artemisia molinieri) est une espèce rare,endémique de trois <strong>mares</strong> <strong>temporaires</strong> du Var et décrite commeen danger d’extinction 285, 261 . <strong>Les</strong> deux principales populationsd’Armoise sont localisées dans les lacs <strong>temporaires</strong> de Gavoty(Besse-sur-Issole) et de Redon (Flassans-sur-Issole), inclus dansle projet LIFE “Mares Temporaires”.Torrel et al. 389 ont réalisé une étude écologique et génétique surles deux principales populations d’Armoise de Molinier visant àévaluer les risques encourus par cette espèce et à proposer desmesures de conservation. <strong>Les</strong> résultats étaient les suivants :• Dans les deux sites, l’Armoise est très abondante (quelquesmilliers d’individus) et représente l’espèce dominante.• La diversité génétique est élevée et inattendue chez une planteà distribution géographique aussi restreinte. De plus, aucundéséquilibre génétique (dérive) n’a été mis en évidence.• <strong>Les</strong> deux populations, distantes de 4 km, sont très peu différenciéesgénétiquement ce qui indiquerait l’existence de flux degènes (échanges de pollen ou de graines) entre elles ou un isolementrécent.• Le taux de viabilité du pollen (10 % à Redon et 30 % à Gavoty)et celui de germination des graines (4 % et 14 % respectivement)sont peu élevés dans les deux populations. La faible fertilitéde la population de Redon peut, en partie, être liée à lacontamination des capitules par un champignon et aux conditionsenvironnementales (forte concentration de nutriments, inondationsirrégulières, impact anthropique, pâturage, etc.).Dans ces conditions, l’Armoise se propagerait donc essentiellementpar voie végétative grâce à un vigoureux système de stolons. Letaux de reproduction sexuée bas semble suffisant pour maintenirdes populations denses et une diversité génétique importante.Torrel et al. 389 ont conclu que les principales mesures de conservationdevaient consister en un maintien en l’état des deux lacs(statut légal de protection et/ou acquisition par une institutionpublique) associé à une surveillance continue des populations.En 2000, la moitié du Lac Redon a été labouré, détruisant unepartie de la population d’Armoise et permettant l’expression d’espècesà forte valeur patrimoniale comme Lythrum tribracteatum,Damasonium polyspermum et Heliotropium supinum 1 . Ce lac estpâturé avec 200 ovins en parcours extensif.Finalement, l’Armoise de Molinier présente le paradoxe d’êtreune espèce rare avec un comportement d’espèce dominante etexclusive : le devenir des autres espèces sous couvert de l’Armoiseest incertain. Compte tenu de son niveau d’endémisme élevé,l’Armoise représente un enjeu de conservation prioritaire parrapport aux espèces, également protégées mais beaucoup moinsrares, dont elle partage l’habitat.Gauthier P., D. Rombaut & P. GrillasConséquences de l’isolement pour la reproductionet pour la dispersionL’isolement et la petite taille des populations imposent des contraintesfortes pour leur dynamique. Pour les individus, les enjeuxsont de laisser des descendants susceptibles de maintenir la populationet de les disperser dans plusieurs sites pour éviter les risquesd’extinction locale accidentelle.La reproduction sexuée représente un coût 286 dans la contrainte dela recherche de partenaires et du fait de la transmission d’une seulecopie de ses propres gènes. En contrepartie, elle réduit la dépressionArtemisia molinieri, une espèce endémique mais dominante au lacRedon (Var, France)Roché J.55