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TRADUIRE… INTERPRÉTER<br />

Je me limite à la problématique de la rime qui intègre les problématiques<br />

signalées. La métrique est étrangère au système linguistique. Mais elle participe<br />

énormément à la signification du poème. Pour Valéry, la rime occupe une grande<br />

importance dans la mesure où elle est une « forme génératrice » 1 , elle a le pouvoir<br />

d'engendrer non seulement des sons mais aussi du sens et d'être parfois même à<br />

l'origine d'un vers et d’une pensée. La question est : comment en trouver une ou une<br />

équivalente même si l'on emploie des mots différents ? 2 Dans ce domaine, le traducteur<br />

a réussi un exploit en respectant, d'une part, la contrainte da la poésie arabe classique<br />

qui est monorimique et, d'autre part, pour rendre hommage à Valéry et à la poésie<br />

française, la forme du distique.<br />

وأنا اأسأل الفٶاد ، على صخرة بح ‏ٍر نديةً‏ تتلوى<br />

تحت نِاب األعجوبة البكرِ‏ ، حدّث عن بالٕء بناره تتكوى<br />

Il a essayé de reproduire des rimes en respectant le texte d'origine en pratiquant<br />

un schéma embrassé ABBA qui n'a rien à voir avec la métrique arabe ce qui<br />

introduit « l’étrangeté ou l’étranger » dans le texte cible. En soi c’est louable, mais<br />

traitant de signification, on peut s'interroger sur le réfèrent de la rime du couple<br />

تتلوى / « singulier médian, deux verbes conjugués à la troisième personne au féminin<br />

» et sur l'image ou la représentation que cette rime peut évoquer dans l'esprit تتكوى<br />

d'un lecteur. C'est un très beau travail lexical qui rend présent l'image du serpent avec<br />

ses remous et ses ondes. C'est une belle trouvaille mais aussi un bel exemple<br />

d’ambiguïté ! Au niveau de la signification, des interrogations surgissent. Qui est<br />

qualifié par « mordu » ? Qui se tord et se brûle de douleur, image donnée par les deux<br />

verbes ? Est-ce « l’écueil », « صخرة » étant féminin en arabe, créant de la sorte une<br />

personnification et un transfert d’image, ou le serpent lui aussi féminin ou plutôt la<br />

Parque elle-même qui, à l'instar du serpent qu'elle suivait, ce qui laisserait entrevoir, un<br />

rapprochement pour ne pas dire une identification ou un dédoublement ?<br />

Le traducteur s’est imprégné des études valéryennes, signe de sérieux, ce qui<br />

le conduit à utiliser le métalangage 3 sur la poésie de Valéry et à poétiser au-delà de<br />

son exercice de traducteur. De plus, en introduisant rétrospectivement une prolepse,<br />

il donne les clefs du poème car à ce moment précis du poème, il n'est point encore<br />

question du serpent. Ce n'est qu'au vers 37 qu'on le découvre « J'y suivis un serpent<br />

qui venait de me mordre. ». D’autre part, si distance il y a, c’est entre le sujet qui<br />

s'interroge « J'interroge » et son objet « mon cœur », seul capable de lui répondre. Il<br />

n'y a pas, non plus, dédoublement du personnage ; il faut attendre la fin du fragment<br />

(vv. 35-6) pour entendre la Parque dire « Je me voyais me voir, sinueuse, et<br />

dorais/De regards en regards, mes profondes forêts. ». N'y a-t-il pas là une traduction<br />

non pas du texte lui-même mais d'une certaine interprétation ?<br />

TRADUCTION, ACTUALISATION DU TEXTE<br />

Essayons de voir, à travers quelques exemples, les apports du texte cible.<br />

1 Cf. mon article « La notion de forme « génératrice » in PV9, autour des Cahiers, Lettres modernes<br />

Minard, Paris, 1999, pp. 33-44.<br />

2 Cf. U ECO, op. cit., p. 56.<br />

3 Notons ici une influence interprétative du philosophe ALAIN qui avait commenté le poème« La Parque<br />

qui se noue et se dénoue », La Jeune Parque commentée, nrf, Gallimard, 1953, en reprenant les mots et<br />

l’image à Valéry lui-même qui en 1915 écrit dans les Cahiers : « Chanson du serpent […]/Se noue et se<br />

dénoue – mord sa queue/ […] »(C, V, 676). C’est l’image exacte que donnent les deux verbes qui<br />

constituent la rime arabe.<br />

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