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SIGNIFICATION ENTRE INTERPRÉTATION ET TRADUCTION<br />

Dans la mesure où toute traduction est une actualisation du texte source, celle-ci<br />

permet de l’éclairer, d’en révéler un sens caché, d’inviter le lecteur ou le spécialiste<br />

à s’interroger et à y voir des lectures plurielles.<br />

Entre évocation et explicitation : que choisir, pour quel effet et pour quelle<br />

représentation ? Là où Valéry procède par suggestion : « point d’histoire- point de<br />

décor- Mais le sentiment de la matière même, roc, air, eaux, matières végétales – et<br />

leurs vertus élémentaires » (OE, II, 69), le traducteur nomme, précise, et caractérise.<br />

Une des particularités de la création valéryenne, c’est qu’entre une sorte d’onirisme<br />

et de travail conscient de l’esprit, que reflètera la situation de la Parque, se fait jour<br />

un laisser aller de l’imaginaire et de sa domestication. Ainsi, l’enchevêtrement d’une<br />

forme de représentation toute métaphorique d’un espace en mouvement se met en<br />

place. Cet espace n’est évoqué que métonymiquement par quelques détails, «<br />

diamants, houle, astre » (v.2-9-18) et, dans notre extrait, par « l’écueil » et « la<br />

merveille », qui ont une fonction relationnelle au personnage, son discours, ses<br />

affects 1 . Cet espace devient plus concret 2 sous la plume du traducteur.<br />

Le groupe prépositionnel « sur l’écueil », va plutôt dans le sens de l’explicite,<br />

dans la mesure où il précise que l’écueil est bien un « صخرة بحرٍ‏ », « rocher<br />

maritime» pour planter le décor. Valéry disait chacun a sa propre représentation. Le<br />

traducteur ne revoit-il pas et ne retransmet-il pas inconsciemment à son lecteur,<br />

surtout libanais, une représentation liée à l’imaginaire de tout libanais, ce grand<br />

», روشة « s’appelle rocher qui surplombe la côte libanaise à Beyrouth et qui<br />

déformation phonétique du nom français « rocher » ? Aussi, il caractérise ce rocher<br />

par l’adjectif « نديةً‏ humide, mouillé ». De la sorte, la double qualification masque en<br />

première lecture l’idée de danger, liée à l’emploi de l’expression « l’écueil mordu ».<br />

En effet, l’adjectif « mordu », évoquant l’image de l’érosion que fait subir la<br />

« merveille », c’est-à-dire la mer, anticipant toute la séquence sur le serpent et<br />

annonçant la rime « mordre/ordre » aux vers 37-38, s’évanouit, noyé dans une<br />

paraphrase. Le terme « merveille », tant cher à Valéry, renfermant grâce à la<br />

paronomase la « mer » et mettant en place la scénographie d'une mer caractérisée de<br />

« merveilleux » pour annoncer le danger, est lui aussi remplacé par le nom<br />

« miracle ‏.«األعجوبة Certes, les deux notions partagent des sèmes communs, ce qui<br />

étonne, séduit par des qualités éminentes, exceptionnelles et presque surnaturelles.<br />

« Miracle » peut aussi avoir des connotations religieuses, d’autant plus que le nom<br />

est suivi de البكرl’adjectif qui sans doute sous-entend l'origine. Faut-il avec<br />

l'expression األعجوبة البكر»‏ » lire « les mystères des origines » 3 ou faut-il voir une<br />

représentation biblique, la Création. Quelles sont intentions du traducteur ?<br />

Ainsi le poème ouvre des lectures possibles que Valéry ne rejetterait<br />

point : « Chaque sens est un appareil d'interprétation de choses inconnues (C1,<br />

1134). Le traducteur sur les pas du poète saisit un des différents sens, l’interprète<br />

selon sa propre perception du moment, de son vécu et choisit une des lectures<br />

1 Cf. LAURENTI H., « Les « Fréquences » d’un esprit, une génétique de l’imaginaire », PV11, « La Jeune<br />

Parque » des brouillons aux poèmes, nouvelles lectures génétiques, éditions, Lettres modernes, Caen,<br />

2006, p. 181.<br />

2 Pierre HECHAÏMÉ le souligne : « Le français, cérébral, rationnel est abstrait. L’arabe, comme toutes les<br />

langues sémitiques est concret. », La traduction par les textes, dar al mushref, Beyrouth, 1986, p. 3.<br />

3 Cf. S. FERENCZI, Thalassa. Psychanalyse des origines de la vie sexuelle, précédé de masculin et<br />

féminin, trad. J. DUPONT et M. VILIKER, Éditions Payot et Rivages, 2002, 200 p. L’auteur fait l’hypothèse<br />

que l’existence primordiale serait aquatique.<br />

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