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SIGNIFICATION ENTRE INTERPRÉTATION ET TRADUCTION<br />

hivernale écoute, attentive au cœur du monde les « Bontés 1 constellées » que l’arabe<br />

reproduit par une périphrase «<br />

». La<br />

métaphore des « fontaines scellées » est maintenue avec une amplification pour bien<br />

فيفجومحكماتِ‏ « sources transposer l’image de l’éclatement et de la délivrance des<br />

». En privilégiant l'image visuelle d'une fontaine d'une place publique األَقفالِ‏ ‏ِفوق الن ُّبوعِ‏<br />

qu'on ouvre et qu’on referme en employant l'expression arabe équivalente à<br />

« cadenassées », elle se trouve banalisée. Mais la nature s’enhardit et la rime avec,<br />

pour mettre en valeur la personnification du printemps qui se poursuit au vers<br />

suivant. Après avoir brisé les fontaines scellées « L’étonnant printemps rit, viole…<br />

On ne sait d’où / venu ? ». C’est autour du verbe « violer » que des interrogations se<br />

posent : peut-on traduire ce qui n’est pas écrit expressément ?<br />

Certes, le verbe « viole » a un sujet, le printemps mais il n'a point d'objet.<br />

Allusion sexuelle sans doute mais le contexte ne laisse par lire une référence<br />

particulière. Ici, c'est toute la nature qui se réveille et la virilité, cette sève sexuelle<br />

n'a pas d'objet particulier. La conjugaison de tous les éléments rend cet éveil<br />

panthéiste. Dans le texte arabe, le choix d’un complément engendre, une<br />

interprétation, une signification et une représentation ambiguës. Le traducteur a<br />

choisi non pas l'équivalent du verbe « violer » à connotation sexuelle « إغتص » mais<br />

le verbe « إفتض » qui est associé plutôt à l'eau « إفتض الماء » et que nous retrouvons<br />

dans des expressions telles que « déflorer les vierges » ou « dérouler les bobines ».<br />

C’est justement cette dernière, « يفتض ُّ البكارات », qui a été retenue par le traducteur<br />

pour évoquer l’éternel recommencement. Mais la juxtaposition des deux termes,<br />

« bobines » ayant en arabe la même racine que « vierge », peut induire à une<br />

interprétation sexuelle et produire un effet. Tout cela nous ramène à nous<br />

s'interroger sur un sens caché comme le suggère, Valéry en nous mettant en garde<br />

dans sa définition des mots 2 . En effet le dossier génétique dévoile plusieurs aspects 3 ,<br />

entre autres, une des versions fait apparaître le verbe « violer » accompagné d'un<br />

complément « L’étonnant printemps les viole… ». Est-ce que cette intention a été, à<br />

un moment donné, de la genèse du poème, traduite par le poète lui-même, refoulée<br />

et rejetée par la suite, intention qui consciemment ou inconsciemment apparaît sous<br />

la plume du traducteur. Néanmoins, elle ajoute un peu plus d’ambiguïté au texte<br />

source et produirait un effet 4 certain chez le lecteur. Le traducteur a-t-il le droit de<br />

traduire l’intention du poète, si intention il y a ? Jusqu’où peut-on aller ? Quelles en<br />

sont les limites 5 ? Toujours est-il que la traduction ouvre des portes ; elle nous invite<br />

à prendre en compte « l’avant-texte ».<br />

وغداً،‏<br />

عند نھدةٍ‏ من حنايا آلھات الس ِّماح تلك المنيرة<br />

1 L’arabe ne possédant pas le double système graphique majuscule/minuscule : comment compenser ?<br />

2 « On peut faire attention<br />

Au sens des mots/Au sens- /À un sens qu’on croit caché /Aux associations et formes etc. » (CIII, 540).<br />

3 . D’une part, le printemps a toujours été intimement lié à la terre et surtout au gel qui la recouvre. D'autre<br />

part les verbes « rit et viole » ont été introduits sous forme d'un ajout dans des états tardifs avant d’être<br />

retenus dans le texte publié : Cf. NADAL, op. cit., pp. 339-340-341 et la planche VII.<br />

4 « Si dans un développement ou suite à un sujet donné - telle chose c'est-à-dire tel mot important - est<br />

avoisiné par certains mots qui ne s'y accordent pas directement - tous ces mots et le 1er concordent dans<br />

l'effet. » (CIII, 497)<br />

5 Question soulevée par Umberto ECO, Les limites de l’interprétation, Grasset, 1992, et par Nicolas<br />

JOURNET, « La liberté de l’interprète selon U. Eco», in op. cit., pp. 117-19.<br />

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