Perception(s) numérique(s) - Shin Kim
Master Degree Thesis from ENSCI Publication : March 2016 Author : Shin hyung KIM
Master Degree Thesis from ENSCI
Publication : March 2016
Author : Shin hyung KIM
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c. La perception du corps robotisé<br />
42. LE BRETON David, L’adieu au corps<br />
: vers homo silicium in Technocorps,<br />
Dir. Braguette Munier, Édition François<br />
Bourin, 2014, Paris (Preimière version<br />
en 1999)<br />
43. Ibid, p57.<br />
44. Ibid, p57.<br />
45. Le silicium est l’élément le plus<br />
abondant dans la terre, l’auteur utilise<br />
ce terme pour ne laisse que la<br />
matérialité du corps humain.<br />
46. LECHNER Marie, Le corps amplifié de<br />
Stelarc in Libération, 12<br />
Nos organes de perception restent les mêmes dans un<br />
nouvel environnement, même <strong>numérique</strong>. Cependant, les<br />
nouvelles technologies du <strong>numérique</strong> arrivent aujourd’hui<br />
à remplacer l’intégralité d’un organe sensoriel et entraînent<br />
une réflexion nouvelle sur le statut de la perception même. Si<br />
la perception produite par la machine de manière artificielle<br />
correspond exactement à celle que l’on éprouve de manière<br />
naturelle, la relation de singularité entre le corps et l’objet<br />
peut désormais être remise en cause. Dans L’adieu au corps :<br />
Homo Silicium 42 , écrit en 1999, l’anthropologue David Le<br />
Breton souligne le statut de plus en plus obsolète de notre<br />
corps physique. Il prend l’exemple de certaines prothèses<br />
thérapeutiques. Il note ainsi que « certaines unités hospitalières<br />
sont désormais occupées par des patients appareillés de<br />
toute part, ce sont déjà des cyborgs, intégrés au sein de subtiles<br />
procédures informatiques de contrôle qui relaient une part<br />
ou l’ensemble de leurs fonctions organiques. » 43 Si ces moyens<br />
thérapeutiques correspondent à une première tentative d’augmenter<br />
l’être humain, la substitution sensorielle s’étend<br />
désormais hors du domaine médical. Le <strong>numérique</strong> intervient<br />
non seulement pour compenser une fonction déficiente d’un<br />
organe, mais aussi pour ajouter d’autres capacités de perception<br />
au corps. Le Breton explique ce phénomène comme « une<br />
volonté de maîtrise radicale de tous les processus corporels. » 44<br />
Comme l’indique déjà le titre de son texte 45 , le corps perd de<br />
plus en plus son rôle de récepteur sensoriel pour devenir en<br />
quelque sorte « absent » de l’expérience sensorielle.<br />
Il faut ici évoquer certaines réalisations de l’artiste autrichien<br />
Stelarc, connu pour ses performances parfois dérangeantes<br />
dans lesquelles il mêle le corps biologique à des<br />
composants électriques. On peut notamment citer Third Hand<br />
(1980), une troisième main robotique attachée à son bras droit,<br />
ou Extra Ear (2006) une oreille artificielle greffée dans son<br />
bras gauche. Dans un entretien réalisé en 2007, l’artiste dit :<br />
« Je ne vois pas le corps comme le site de la psyché ou de l’inscription<br />
sociale qui présuppose une sorte de moi, mais comme<br />
un appareil biologique qu’on peut redesigner. » 46 Les interventions<br />
de Sterlarc sont loin d’être fictionnelles et laissent<br />
envisager de nouvelles manifestations du « corps obsolète »<br />
dans un avenir proche.<br />
La possibilité de percevoir un objet via un intermédiaire<br />
<strong>numérique</strong> qui imite le corps humain est une première<br />
révolution. La seconde révolution n’est plus dans l’imitation<br />
parce que le <strong>numérique</strong> peut désormais être physiquement<br />
présent dans le corps. Pour Jean-Michel Besnier, philosophe<br />
français, le robot est une créature artificielle qui dépasse<br />
la capacité humaine ; on essaie donc maintenant d’imiter<br />
le robot : « On nous annonce que l’idéal serait pour nous<br />
d’incarner les performances atteintes par ces machines et de<br />
nous débarrasser du biologique. La machine a cessé d’être une<br />
simple métaphore. Son perfectionnement est bientôt apparu<br />
comme la trajectoire que l’homme pourrait espérer pour<br />
lui-même. » 47 Imaginons que nos yeux arrivent à activer un<br />
mode « microscope », que nos oreilles arrivent à filtrer une<br />
voix dans une salle de concert, que nos doigts arrivent à transmettre<br />
des données <strong>numérique</strong>s en jouant le rôle de circuit<br />
électrique. Avec ce corps augmenté, les sensations transmises<br />
par le <strong>numérique</strong> construisent une nouvelle perception et<br />
change notre rapport à la réalité des objets analogiques.<br />
Dans cette vision prospective, la performance <strong>numérique</strong><br />
ne se limite pas à une simple amélioration ou à un ajout de<br />
multiples fonctions, mais elle intervient pour augmenter<br />
notre intelligence. Désormais, le statut de notre cerveau peut<br />
être aussi mis en cause pour obsolescence comme le sont les<br />
organes sensorielles. L’intelligence personnelle qui contribuait<br />
à la création d’une perception subjective perd donc<br />
« Dans le domaine de la “bio-impression<br />
3D”, des chercheurs de l’Université<br />
de Wake Forest en Caroline du Nord<br />
viennent d’accomplir un progrès remarquable.<br />
Ils ont conçu une technologie<br />
d’impression 3D de tissus biologiques<br />
qui a permis de construire des cartilages<br />
d’oreille, des muscles, des fragments<br />
de mandibules et des os crâniens<br />
humains à partir de cellules souches et<br />
autres “matériaux” biologiques. »<br />
(Photo: Université de Wake Forest)<br />
IKONICOFF Román, LA CONSTRUCTION<br />
DE TISSUS HUMAINS PAR IMPRIMANTE<br />
3D DEVIENT UNE RÉALITÉ, Science&Vie,<br />
publié le 20/02/2016<br />
_<br />
www.science-et-vie.com<br />
Page consultée le 21.02.2016<br />
47. BESNIER Jean-Michel Besnier,<br />
Métaphysique du robot, in Technocorps,<br />
Dir. Braguette Munier, Édition François<br />
Bourin, 2014, Paris, p.77.<br />
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