Perception(s) numérique(s) - Shin Kim

présence du média (la plupart du temps un écran) devient
le seul indice pour les distinguer. Par ailleurs, la confusion
entretenue sur la nature réelle de l’objet peut aboutir à des
déconvenues notamment lors des achats en ligne parce qu’il est
facile de truquer l’aspect d’un objet. Il peut ainsi être modifié,
exagéré, retravaillé pour attirer les acheteurs. La performance
du rendu est utilisée comme une stratégie de vente.
Partie II
2. L’immersion de notre corps dans le numérique :
évolution de notre proprioception
Les étudiants en génie physique dans
3D-lab, TU Berlin
(Université technique de Berlin)
Photo www.tu9.de/research/5301.php
Dans le domaine de la prospective, on peut relever
l’ambigüité créée par le numérique autour des objets fictifs.
Certains objets qui n’existent que dans la réalité numérique
sont perçus d’une manière si convaincante qu’il est difficile
de savoir s’ils existent réellement. Cette ambigüité remet
en question le statut de l’objet fictif. Par exemple, CAVE
(cave automatic virtual environment) est une technologie basée
sur la projection de lumière dans un cube, développée depuis
les années 1990. Les images affichées sur les murs varient en
temps réel pour que le spectateur équipé de lunettes perçoive
un objet comme s’il était posé devant lui. Aujourd’hui,
plusieurs entreprises ou laboratoires d’ingénierie ont recours
à cette technologie pour développer leurs prototypes, en
transmettant un simple modèle 3D au système. CAVE est en
plein développement et déjà l’apparition d’un objet fictif ne
se limite plus aux interfaces bidimensionnelles. Par exemple,
les concepteurs d’automobile peuvent déjà expérimenter leur
voiture modélisée, en mettant simplement une chaise au
milieu de l’espace cubique. Assis sur la chaise, le spectateur
rentre dans l’intérieur d’une voiture simulée, tout en gardant
sa liberté de mouvements. La rapidité de ces changements
entraîne une confusion sur la notion de réalité.
Si le numérique nous ouvre la voie pour percevoir d’autres
formes de la réalité grâce à notre intellection, il nous permet
aussi d’expérimenter différemment la réalité telle qu’elle est
perçue par notre corps. C’est ce que j’appelle la transition de
notre proprioception, parce que le numérique semble transformer
le lien entre notre conscience et notre corps.
Ce n’est pas un hasard si Marshall McLuhan décrit les
différents médias (presse, radio, télévision, etc.) comme un
prolongement de nos organes physiques dans son essai Pour
comprendre les médias, publié en 1964. Les utilisateurs reçoivent
les informations de manière passive en oubliant l’intermédiaire
que constitue le média. McLuhan dit que « notre
nouvelle technologie électrique qui prolonge nos sens et nos
nerfs dans un enlacement global a de fortes implications
pour l’avenir du langage.» 62 Avec l’évolution des moyens de
communication, on réévalue à chaque fois les capacités de
notre corps. Dans le cas du numérique, ce phénomène d’incarnation
de notre perception semble plus vif que jamais : nous
faisons de plus en plus nôtres les capacités du numérique.
Depuis les années 1970, Don Ihde confirme cette idée en la
mettant à l’épreuve de techniques plus récentes. Il se base sur
les théories d’Edmund Husserl ou de Martin Heidegger pour
construire une approche spécifique du lien entre l’homme
et la technique, approche qu’il appelle « phénoménologie
61. MACLUHAN Marshall, Understanding
Media, NewYork, McGraw-Hill, 1964,
p.80
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[Our new electric technology that extends
our senses and nerves in a global
embrace has large implications for the
future of language - Notre traduction]
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