Perception(s) numérique(s) - Shin Kim

Partie II
1. L’immersion de notre intellection dans le numérique
49. HOUDÉ Olivier, Qu’est ce que le réel?
in La Recherche, Juillet-Août 2014,
p.62
50. QUÉAU Philippe, Le virtuel : Vertus et
Vertiges, Paris, Editions Champ Vallon/
INA, 1993, p.133
De la visualisation tridimensionnelle aux possibilités
d’interaction avec le corps, l’outil numérique est désormais
plus qu’un simple moyen de représenter l’objet, il est un
nouveau champ d’expérience. De nombreuses études dans
le domaine des sciences cognitives portent aujourd’hui sur
la transition sociologique et psychologique qu’entraîne cette
évolution, et notamment sur l’apprentissage de la culture
numérique par les enfants. Pour un enfant qui n’a pas encore
construit son rapport au réel, l’apparition de la réalité via
le numérique pourrait être une cause de confusion dans le
développement de ses capacités perceptives. Olivier Houdé,
directeur du laboratoire de psychologie au CNRS, pose trois
principes qui fondent l’architecture cognitive d’un objet : la
permanence, le nombre et la catégorie de l’objet. 50 Un enfant
dont l’architecture cognitive est établie arrive, par exemple,
à reconnaître la présence d’une pomme même si on la cache
avec une nappe ; à choisir la ligne parmi d’autres sur laquelle
le plus de jetons sont alignés ; à distinguer la valeur entre
une fleur et une rose. Théoriquement, nous reconnaissons
nous, adultes, les objets qui nous entourent selon ces critères
cognitifs. Aujourd’hui, il semble que le numérique dans lequel
notre intellection est désormais immergée est en train de
transposer cette architecture sur une réalité autre. Mais dans
un monde de plus en plus numérique, que recouvre la notion
de réalité ? Le numérique est une forme de réalité. Philippe
Quéau, ingénieur français et directeur général de l’UNESCO
pour les sciences humaines et sociale, utilise le terme « néo-réalité
». Il affirme que le virtuel a pour vocation de s’hybrider
au réel. 51 Comment vivons-nous cette immersion progressive
et presqu’à notre insu de notre intellection dans un environnement
d’objets numériques ?
a. L’hybridation de la réalité par les illusions du
numérique
La première grande caractéristique du numérique est
de faire apparaître de multiples formes de réalité. Elena
Pasquinelli, philosophe et spécialiste des sciences cognitives,
nous parle, dans Illusion de la réalité paru en 2012, d’un
monstre gluant que nous savons imaginaire mais devant
lequel nous tremblons de peur. Elle affirme que « ce pouvoir
magique des expériences de fiction semble mettre notre raison
en échec, et nous conduire à un paradoxe. » 52 Ici, le monstre est
matériellement absent mais ses propriétés physiques sont
tout à fait susceptibles d’exister. L’auteur explique que ce
phénomène est le résultat de nos capacités d’imagination, de
simulation interne de croyance et d’émotion. Nous savons que
ce monstre n’existe pas mais nos sentiments de peur envers
lui résistent toujours. On peut transposer ce phénomène à
des objets numériques. Prenons l’exemple d’une vidéo expliquant
le principe du fonctionnement du ventilateur Dyson.
L’effet du vent est représenté de manière distincte par rapport
au corps matériel en plastique du ventilateur, cette information
visuelle nous permet de comprendre de manière
intuitive le fonctionnement de l’appareil autrement dur à
percevoir. Le cas du monstre et celui du ventilateur sont
similaires parce que nous réagissons de la même manière
en présence d’éléments fictionnels. Nous sommes face à
une multitude de réalités plus ou moins illusoires. Dans ce
contexte, l›interprétation que fait Pasquinelli du pouvoir
51. PASQUINELLI Elena, Illusion de la
réalité, Paris, Vrin, 2012, p.10.
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