Perception(s) numérique(s) - Shin Kim

Partie II
4. Les innovations permises par les nouvelles modalités
de perception
Nous sommes capables de mesurer l’impact du numérique
sur la représentation des objets par le numérique et sur
notre perception de ces derniers. Mais cela ne se limite pas
à une simple influence ou à une transformation : certaines
de ces représentations par le numérique permettent des
modalités de perception physique et mentale complètement
nouvelles. L’immersion de notre intellection dans le
numérique, notion que j’ai explorée précédemment, amène
par exemple de nouvelles possibilités dans le domaine de
la psychothérapie. Les essais pour faire du numérique un
outil de l’amélioration du vivant ont surtout abouti à une
révolution de la structure biologique de la perception telle
qu’elle était jusqu’à maintenant établie : il s’agit de la substitution
sensorielle.
a. La thérapie par la réalité virtuelle
Certaines possibilités de représentation par le numérique
comme l’éclatement programmé ou le trajet fluide de la
caméra aident à comprendre plus facilement la structure ou
le fonctionnement d’objets complexes. Doté de ce formidable
pouvoir d’illusion, le numérique a commencé à être envisagé
comme un moyen thérapeutique dans les années 2000,
notamment avec les premiers dispositifs de réalité virtuelle.
Aujourd’hui, l’activité est connue sous le nom de « thérapie
par la réalité virtuelle » (TRV). Son objectif est d’éliminer
certains troubles liés aux états psychologiques du patient. Un
bon exemple est celui de la phobie. La réalité virtuelle simulée
par le numérique permet au patient de se confronter à ses
peurs de façon graduelle, jusqu’à ce qu’il adopte un nouveau
comportement. Un objet ou un environnement spécifique est
proposé à chaque patient selon son cas, pour personnaliser
son expérience et la rendre réelle. Dans un article publié en
avril 2015 par Psychomédia, Stéphane Bouchard, chercheur au
Canada en cyberpsychologie, explique : « L’anxiété peut être
réduite chez des personnes atteintes de phobies en les exposant
à des situations liées à ces dernières dans des environnements
virtuels thérapeutiques dérivés des jeux informatiques. » 92 Par
exemple, des environnements de guerre en Irak sont
recréés pour les anciens soldats souffrant de traumatismes
psychologiques. C’est donc une véritable innovation dans le
domaine de la psychothérapie, qui pourrait rendre les traitements
plus simples et plus rapides par rapport à d’autres
procédés.
Ensuite, la psychothérapie par la technique numérique ne
se limite pas à exorciser les troubles liés à la mémoire ; elle
fait aussi l’objet de recherches pour soigner les anomalies
congénitales dès l’enfance. Pour les enfants, la thérapie
prend la forme de jeux vidéo. La technique numérique
devient donc essentielle au traitement. Dans l’introduction
de Subjectivation et empathie dans les mondes numériques, Serge
Tisseron explique le fonctionnement des jeux vidéo en
psychothérapie. Il souligne notamment l’attitude empathique
du thérapeute qui permet au patient de « laisser cours à
une activité libre dans le jeu et d’effectuer des demandes
inconscientes adressées au thérapeute. » 93 Dans le même
ouvrage collectif, Benoit Virole, docteur en psychopathologie,
explique plus précisément comment l’expérience de
la réalité dans le jeu est associée à l’état psychologique du
petit patient. Parmi les exemples donnés par Virole, un
enfant énurétique joue à Age of Empire (ou d’autres jeux de
91. « De plus en plus d’applications de
réalité virtuelle en santé et en psychothérapie
», Psychomédia, publié le 30
avril 2015
www.psychomedia.qc.ca/psychologie/2015-04-30/sante-realite-virtuelle,
page consultée le 25.06.2015
92. TISSERON Serge, Introduction in
Serge Tisseron, Benoît Virole, Philippe
Givre, Frédéric Tordo, et al., Subjectivation
et empathie dans les mondes
numériques, Paris, Dunod, 2013, p.19
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