Untitled

LA RIVE GAUCHE 197
l'illustre sculpteur Barye, le grand Barye qui, mconnu,
bafou, saisi par ses cranciers, venait souvent le soir,
au sortir de son modeste atelier du quai des Clestins,
oublier ses souffrances et rver, cette place mme,
devant le splendide panorama de Paris que couronne la
noble silhouette du Panthon. C'est Pun des plus admi-
rables aspects de la grande Ville.
Rien n'est plus relatif qu'une impression ressentie;
pour certains esprits amoureux du Pass, telle ruine
est beaucop plus impressionnante que le plus moderne
des palais, et aussi les rues, les maisons, les pavs.
Il est une heure exquise pour voquer l'me du
vieux Paris: c'est le crpuscule.
La couleur particulire chaque chose s'est fondue
dans les teintes gnrales que rpandent le jour qui
s'en va et la nuit qui commence.
De fines silhouettes denteles se profilent sur le ciel
pendant que de grandes masses violettes, noires et
bleues mettent des rues entires dans un mystre infini.
Alors la pense s'veille, les souvenirs s'animent, se
prcisent; on revit les scnes dont ces rues, ces maisons,
furent les impassibles tmoins. On entend les cris de
fureur ou de joie, les tambours battent, les cloches
sonnent, des groupes passent en chantant dans ces
dcors de rve. La vision est revenue!
Ce pont de l'Estacade qui, de sa barrire de poutres
noires, ferme pour ainsi dire l'est l'antique Paris,