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Myosotis<br />
«Forget me not» (Ne m’oublie pas !),<br />
ce sont les derniers mots que ce<br />
chevalier anglais adressa à sa<br />
bi<strong>en</strong>-aimée, <strong>en</strong>voyant sur le rivage<br />
la fleur pour laquelle galamm<strong>en</strong>t il<br />
se noyait. C’est ainsi que naquit le<br />
myosotis. Philippe G<strong>en</strong>ty donne<br />
cet appel <strong>en</strong> titre de son dernier<br />
spectacle. L’étrangeté se déploie<br />
dès la première image : un personnage<br />
<strong>en</strong>tre sur scène, <strong>en</strong> robe<br />
longue, <strong>en</strong>tame un chant lyrique…<br />
se retourne <strong>en</strong>fin vers les spectateurs,<br />
il s’agit d’une chimpanzé de<br />
taille humaine qui nous regarde.<br />
De son chant naiss<strong>en</strong>t des figures<br />
qui peu à peu s’anim<strong>en</strong>t. Chacune<br />
porte avec elle son double, marionnette<br />
de même taille, au visage<br />
id<strong>en</strong>tique. La danse les unit, laisse<br />
naître le trouble : qui est vivant<br />
dans cet étrange ballet ? Les corps<br />
souples se pli<strong>en</strong>t, s’élanc<strong>en</strong>t, se<br />
mêl<strong>en</strong>t, se sépar<strong>en</strong>t, s’emport<strong>en</strong>t,<br />
s’alanguiss<strong>en</strong>t, virevolt<strong>en</strong>t, hésit<strong>en</strong>t.<br />
Puis une large toile, comme<br />
un sac imm<strong>en</strong>se laisse émerger<br />
nos personnages, se met à tournoyer<br />
avec l<strong>en</strong>teur, remodelant<br />
l’espace, valse mélancolique et<br />
langoureux vertige. La magie se<br />
poursuit <strong>en</strong> un conte d’hiver où<br />
l’imagerie naïve se teinte d’humour.<br />
La troupe danse, patine, chante<br />
avec un <strong>en</strong>thousiasme et une<br />
fraîcheur délicieuse. La force du<br />
spectacle selon Philippe G<strong>en</strong>ty<br />
et Mary Underwood ti<strong>en</strong>t au fait<br />
qu’il s’agit de la transcription dansée<br />
de leurs rêves. À cela s’ajout<strong>en</strong>t<br />
© Pascal Francois<br />
des souv<strong>en</strong>irs, et la réussite du<br />
travail avec la jeune troupe norvégi<strong>en</strong>ne<br />
qui interprète au millimètre<br />
cette belle partition visuelle.<br />
Autre manière de replonger dans<br />
l’univers onirique et s<strong>en</strong>sible de<br />
Philippe G<strong>en</strong>ty, un ouvrage<br />
paraîtra <strong>en</strong> mai 2013 chez Actes<br />
Sud, évoquant les conditions et<br />
les inspirations diverses de ses<br />
œuvres.<br />
MARYVONNE COLOMBANI<br />
Ne m’oublie pas a été joué<br />
les 1 er et 2 février au Théâtre<br />
Toursky, Marseille<br />
13<br />
T<br />
H<br />
É<br />
Â<br />
TRE<br />
Corne de brume<br />
Comm<strong>en</strong>t un petit employé de<br />
«maison de commerce» de Lisbonne<br />
qui regardait la mer sans<br />
trop s’approcher du bord du quai a-<br />
t-il pu composer une Ode Maritime<br />
aussi puissante et singulière dans<br />
son bouillonnem<strong>en</strong>t verbal ? Éternel<br />
mystère de l’homme -au pluriel<br />
pour Fernando Pessoa écrivain<br />
éclaté <strong>en</strong> hétéronymes divers- et<br />
de l’œuvre signée ici Alvaro de<br />
Campos, pseudo ingénieur-mécanici<strong>en</strong><br />
de la marine jeté dans une<br />
houleuse modernité à qui la mer<br />
ouvre les routes de l’esprit. Ivan<br />
Romeuf, pieds nus sur les planches<br />
et droit dans ses jeans relève<br />
tranquillem<strong>en</strong>t le défi sans boire la<br />
tasse ; une scénographie assez<br />
juste (scène et murs comme un<br />
tableau noir sur lequel subsist<strong>en</strong>t<br />
des fragm<strong>en</strong>ts du texte à la craie /<br />
lumière mobile, discrète) offre une<br />
immersion dans le texte que la voix<br />
porte peut-être trop sagem<strong>en</strong>t ;<br />
suivre fidèlem<strong>en</strong>t les fluctuations<br />
des affects turbul<strong>en</strong>ts qui mont<strong>en</strong>t<br />
et démont<strong>en</strong>t le poème permet de<br />
garder l’oreille att<strong>en</strong>tive du public<br />
mais gomme <strong>en</strong> même temps<br />
l’étrangeté sidérante de cette<br />
confession extrême où lyrisme et<br />
masochisme ne sont pas rimes de<br />
hasard. Romeuf n’est pas seul sur<br />
scène ; le saxophoniste Jean-Jacques<br />
Lion, invité à lui t<strong>en</strong>ir compagnie<br />
dans sa grande t<strong>en</strong>ue de dame (?)<br />
noire lusitani<strong>en</strong>ne («corps de femme<br />
qui jadis fut mi<strong>en</strong>») anneau de<br />
pirate à l’oreille, souffle, éructe et<br />
beugle trop souv<strong>en</strong>t dans les paroxysmes<br />
de la voix, écrasante sirène<br />
de bateau qui noie tout. On pati<strong>en</strong>te<br />
alors, confiant, certain que le<br />
sil<strong>en</strong>ce va rev<strong>en</strong>ir et lorsqu’Ivan<br />
Romeuf lit «le ral<strong>en</strong>tissem<strong>en</strong>t du<br />
© X-D.R<br />
volant» assis sur un petit banc, lunettes<br />
sur le nez dans un coin de<br />
la scène, on goûte à nouveau le<br />
spectacle...<br />
MARIE JO DHO<br />
Sur le Quai / Ode Maritime<br />
de Fernando Pessoa mise <strong>en</strong> scène<br />
et <strong>en</strong> jeu par Ivan Romeuf a été créé<br />
du 22 janvier au 2 février au<br />
Théâtre de L<strong>en</strong>che, Marseille<br />
Fantaisie boréale<br />
Ce que l’on voit d’abord c’est la glacière <strong>en</strong> plastique orange vif posée<br />
sur le plateau nu ; c’est elle qui donne le ton et la température ambiante<br />
par suggestion elliptique et subliminale : nous sommes donc dans les<br />
plaines <strong>en</strong>neigées du Grand Nord, voire sur la banquise, quand marseille<br />
objectif DansE et les Bernardines nous convi<strong>en</strong>t à une «prom<strong>en</strong>ade <strong>en</strong><br />
pays proche» !<br />
Un homme seul -mais les oreilles de sa chapka lui donn<strong>en</strong>t déjà une tête<br />
de chi<strong>en</strong>- arp<strong>en</strong>te et dessine l’aire de jeu (volet 1 : Sous nos pas) <strong>en</strong> un<br />
prologue un peu énigmatique où il est question de théâtre puisqu’il est<br />
finem<strong>en</strong>t dit que dans cette comédie apparaîtront «des défunts» ; quelque<br />
peu égaré, que peut-il faire d’autre que raconter des horreurs sanglantes<br />
de cauchemar ou courir jusqu’à épuisem<strong>en</strong>t ? Le guitariste Alexandre<br />
Maillard <strong>en</strong> cowboy-bûcheron électrise brillamm<strong>en</strong>t la course folle<br />
d’Arnaud Saury et c’est le noir...<br />
Réchauffem<strong>en</strong>t avec le volet 2 : Paradise et les fesses fermes de Séverine<br />
Bauvais (le «vrai» chi<strong>en</strong> c’est elle) qui frétill<strong>en</strong>t de dévouem<strong>en</strong>t pour son<br />
maître : burlesque et t<strong>en</strong>dre ; le texte ? on ne sait plus tant les corps<br />
pourtant modestes dans leurs déplacem<strong>en</strong>ts dérisoires (déployer <strong>en</strong> vain<br />
un poster de paysage de neige / se caler l’un contre l’autre) suffis<strong>en</strong>t à<br />
déposer une petite couche d’anxiété sur le rire qui affleure <strong>en</strong> perman<strong>en</strong>ce ;<br />
Séverine Bauvais danse des yeux et ce joli bricolage dit beaucoup sur la<br />
solitude glacée. On se réjouit de savoir qu’il y aura <strong>en</strong>core du travail, une<br />
suite et même un épilogue qui donnera à ces Mémoires du Nord la pointe<br />
de cohér<strong>en</strong>ce qui fait <strong>en</strong>core défaut.<br />
M.J.D.<br />
Mémoires du Nord, projet <strong>en</strong> cours de la Compagnie Mathieu ma fille Foundation,<br />
a été donné au théâtre des Bernardines, Marseille, les 1 er et 2 février