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Zibeline n° 60 en PDF

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64<br />

P<br />

H<br />

ILOSOP<br />

H<br />

IE<br />

À l’heure<br />

où le cinéma et le<br />

théâtre choisiss<strong>en</strong>t<br />

la domination masculine<br />

comme thème<br />

et titre, une mise au<br />

point s’impose<br />

On n’a pas att<strong>en</strong>du Pierre Bourdieu pour analyser la<br />

domination. «Comme la force est toujours du côté des gouvernés,<br />

les gouvernants n’ont ri<strong>en</strong> pour les sout<strong>en</strong>ir que<br />

l’opinion» constatait David Hume <strong>en</strong> 1752 dans son<br />

Essai sur les premiers principes du gouvernem<strong>en</strong>t. Il suffit de<br />

remplacer gouvernants et gouvernés par domi-nants et<br />

dominées pour que la modernité de Hume saute aux yeux.<br />

En revanche l’implacable sexisme des plus grands peseurs<br />

est un invariant dans l’histoire, Olympes de Gouges<br />

exceptée évidemm<strong>en</strong>t ! Les préjugés sexistes et aussi<br />

racistes sont les plus imprégnés dans les m<strong>en</strong>talités, parce<br />

que véhiculés depuis des millénaires comme des vérités.<br />

En revanche les inégalités sociales et la croyance <strong>en</strong><br />

dieu(x) ont souv<strong>en</strong>t été attaquées, analysées, depuis la<br />

condamnation de Socrate par exemple.<br />

V<strong>en</strong>ons-<strong>en</strong> aux femmes. En nous demandant d’abord,<br />

puisqu’elles sont assez grandes et nombreuses pour se<br />

déf<strong>en</strong>dre, pourquoi un homme (andros 1 ) s’intéresse à<br />

leur domination. Tout comme le combat pour le mariage<br />

gay il est des causes aux appar<strong>en</strong>ces particulières qui<br />

<strong>en</strong> fait dégag<strong>en</strong>t des possibilités d’émancipation pour<br />

l’humanité <strong>en</strong>tière : le combat pour l’égalité n’est pas<br />

seulem<strong>en</strong>t un combat de principe, il ouvre la voie à des<br />

formes de vie meilleures. Que serait une société où tous<br />

pourrai<strong>en</strong>t théoriquem<strong>en</strong>t se marier ? Une société où la<br />

femme serait l’égale de l’homme ? Une société où la<br />

bêtise et les truismes, prét<strong>en</strong>dues vérités d’évid<strong>en</strong>ce, reculerai<strong>en</strong>t.<br />

Plus de sexe faible, plus de «un papa une<br />

maman»…<br />

Car qu’est-ce que la domination masculine telle que les<br />

hommes (anthropos) la viv<strong>en</strong>t ? C’est l’androc<strong>en</strong>trisme,<br />

les principes masculins posés comme base sociale. Soit la<br />

dévolution à la femme de tâches familiales supplém<strong>en</strong>taires<br />

et ingrates. Soit <strong>en</strong>core le plafond de verre pour les<br />

diplômées et le plancher collant pour les sans diplômes,<br />

qui font qu’elles n’accèd<strong>en</strong>t jamais aux directions et<br />

occup<strong>en</strong>t massivem<strong>en</strong>t les emplois les moins payés.<br />

L’androc<strong>en</strong>trisme c’est aussi att<strong>en</strong>dre des femmes qu’elles<br />

parl<strong>en</strong>t moins et moins fort, qu’elles n’interromp<strong>en</strong>t pas,<br />

qu’elles s’intéress<strong>en</strong>t à la santé et l’éducation mais pas à<br />

la politique et aux idées, à moins de r<strong>en</strong>oncer à leur<br />

féminité…<br />

Mais il s’agit là des structures visibles ; l’apport de Bourdieu<br />

dans la sociologie est l’insistance sur le symbolique :<br />

tout comme dans la reproduction des classes sociales ce<br />

n’est pas tant la richesse transmise qui cause la reproduction<br />

des inégalités, mais l’invisible, à savoir le capital<br />

culturel : c’est la manière dont les par<strong>en</strong>ts parl<strong>en</strong>t à la<br />

maison, et dont les représ<strong>en</strong>tations sociales prolong<strong>en</strong>t<br />

les clichés qu’elle véhicule, qui détermine la position des<br />

<strong>en</strong>fants.<br />

L’ordre symbolique<br />

Dans l’ordre de la domination masculine, la véritable<br />

viol<strong>en</strong>ce symbolique est son intériorisation par les dominants,<br />

c’est-à-dire par les hommes qui ne peuv<strong>en</strong>t vivre<br />

Rosie la riveteuse, 1943, J. Howard Miller<br />

Andros,<br />

ça c’est fort de...<br />

autrem<strong>en</strong>t leur relation aux femmes, et par les dominées,<br />

c’est-à-dire les femmes, de l’ordre androc<strong>en</strong>trique hérité<br />

depuis des millénaires : Andros va jouer à la pétanque et<br />

sa femme débarrasse. Normal, se dit-il, elle n’aime pas la<br />

pétanque ; normal se dit-elle, je nettoie mieux que mon<br />

andros, c’est naturel.<br />

Comme dans le combat contre l’homophobie, l’<strong>en</strong>nemi<br />

principal est toujours l’illusion que la Nature existe. Ri<strong>en</strong><br />

n’est moins naturel aux hommes (anthropos) que le naturel.<br />

C’est une grille de référ<strong>en</strong>ce produite par les hommes<br />

(andros ?). On y a mis des valeurs, le fort-le faible, et Spinoza<br />

a très vite vu qu’on l’avait personnifiée : Deus sive<br />

natura, la nature ou dieu, c’est la même chose.<br />

Ainsi le corps des femmes sert de support à des procédés<br />

de légitimation de la viol<strong>en</strong>ce symbolique. Le regard<br />

croit voir dans le corps féminin des élém<strong>en</strong>ts objectifs<br />

comme l’intériorité, l’abs<strong>en</strong>ce (de pénis), la pénétration,<br />

la fragilité… Les descriptions médicales du Moy<strong>en</strong> Âge,<br />

des tapisseries, décriv<strong>en</strong>t le vagin comme un phallus<br />

inversé ; le corps ainsi construit devi<strong>en</strong>t une légitimation<br />

de comportem<strong>en</strong>ts «naturels», des positions sociales, protectrices,<br />

sexuelles. La viol<strong>en</strong>ce symbolique est alors cette<br />

relation de causalité circulaire : visiblem<strong>en</strong>t, le dominant<br />

est dominé par sa domination, ne peut <strong>en</strong> sortir, et la<br />

domination n’est possible qu’avec la complicité de la<br />

dominée.<br />

Pourquoi <strong>en</strong> est-on là ? Par la déshistoricisation : mot<br />

barbare qui exprime le rejet de l’histoire pour la transformation<br />

de l’arbitraire social <strong>en</strong> naturel prét<strong>en</strong>du. La<br />

domination masculine ne va pas de<br />

soi ; par delà le très subjectif droit du<br />

plus fort démonté par Rousseau,<br />

objectivem<strong>en</strong>t, il semble que ce soit<br />

la femme qui ait le pouvoir suprême :<br />

celui de mettre au monde l’humanité.<br />

D’où cette viol<strong>en</strong>ce des hommes<br />

à leur égard, pour masquer ce privilège<br />

ou le faire passer pour une tare.<br />

Ainsi depuis des siècles cet ordre de<br />

domination doit se reproduire artificiellem<strong>en</strong>t<br />

; comme le disait Hume<br />

pour les gouvernants, l’androc<strong>en</strong>trisme<br />

s’appuie sur les institutions,<br />

l’opinion, l’État, l’École pour se recomm<strong>en</strong>cer<br />

sans cesse.<br />

«Ce sont ces forces, et non l’unité domestique<br />

à laquelle s’attaque un certain<br />

féminisme, qu’il faut neutraliser pour<br />

libérer les forces de changem<strong>en</strong>t» expliquait<br />

Bourdieu. L’égalité doit se<br />

poursuivre par la loi, et dans les<br />

institutions.<br />

RÉGIS VLACHOS<br />

1<br />

Le mot homme <strong>en</strong> français, trop<br />

ambigu, confond le mâle et le g<strong>en</strong>re<br />

humain ; on emploiera donc ici<br />

andros et anthropos

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