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Zibeline n° 60 en PDF

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18<br />

M<br />

USIQUE<br />

Contemporaine hilare<br />

et soldat d’<strong>en</strong>fer<br />

Depuis près de 20 ans Télémaque r<strong>en</strong>d accessible<br />

des œuvres difficiles d’accès, <strong>en</strong> gommant<br />

les a priori rebutant d’ordinaire des publics qui<br />

ont connu des expéri<strong>en</strong>ces négatives au contact<br />

de la musique contemporaine.<br />

Le 25 janvier, aux ABD Gaston Defferre, le pari<br />

est osé, surtout <strong>en</strong> matinée lorsque les musici<strong>en</strong>s<br />

se prés<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t devant un public de scolaires<br />

de 8 à 18 ans. Au programme, des œuvres radicales<br />

des années <strong>60</strong>-70. Pas de ces opus<br />

chantants dans lesquels l’auditeur peut se<br />

reposer sur une mélodie suave et des harmonies<br />

consonantes… Non ! La Sequ<strong>en</strong>za III<br />

de Berio expose tout un vocabulaire explorant<br />

les limites de la voix de femme, du grave à<br />

l’aigu, du cri au râle, du souffle au rire… quand<br />

les Récitations d’Aperghis mett<strong>en</strong>t <strong>en</strong> forme<br />

des répétitions, jeux de mots, accumulations<br />

délirantes à la Perec.<br />

Mais d’emblée le public est conquis, malgré<br />

l’atmosphère énigmatique qui se noue <strong>en</strong>tre<br />

les musici<strong>en</strong>s/personnages. Leur tal<strong>en</strong>t et<br />

l’habile mise <strong>en</strong> scène d’Olivier Pauls font une<br />

partie du chemin qui conduit à l’adhésion. Au<br />

demeurant, c’est grâce à la prés<strong>en</strong>ce hardie,<br />

la maîtrise technique, les atouts de comédi<strong>en</strong>ne<br />

de Brigitte Peyré, soprano au sommet de<br />

son art, que l’<strong>en</strong>treprise réussit. Les jeunes ri<strong>en</strong>t,<br />

particip<strong>en</strong>t activem<strong>en</strong>t, suiv<strong>en</strong>t du regard et<br />

de l’oreille les multiples int<strong>en</strong>tions portées aux<br />

textes par la chanteuse, répèt<strong>en</strong>t spontaném<strong>en</strong>t<br />

<strong>en</strong> chœur un refrain hallucinant… Et<br />

lorsque les instrum<strong>en</strong>tistes donn<strong>en</strong>t des percussions<br />

(Christian Bini et Gisèle David)<br />

dans RRR de Kagel, quand le souffle cuivré de<br />

Gérard Ocello (trompette) se mêle aux inflexions<br />

de la soprano dans des duos de Max<br />

Lifchitz, l’att<strong>en</strong>tion ne retombe pas. C’est<br />

gagné !<br />

Clou d’un spectacle rare, les jeunes assist<strong>en</strong>t,<br />

<strong>en</strong> première mondiale, à une création de<br />

Thierry Machuel, compositeur au programme<br />

du baccalauréat <strong>en</strong> 2013 : Je resterai debout<br />

dans la lumière. Cet opus connaîtra un prolongem<strong>en</strong>t<br />

pour chœurs, représ<strong>en</strong>té fin mai<br />

dans la nouvelle salle que Télémaque inaugure<br />

à l’Estaque (Pole Instrum<strong>en</strong>tal Contemporain).<br />

Le soir, le même spectacle est joué : ce Corpus<br />

fictif qui inv<strong>en</strong>te sa propre forme. L’atmosphère<br />

y est au départ plus tempérée, pour une<br />

acuité d’adultes… mais Brigitte Peyré et les<br />

musici<strong>en</strong>s sont si déchainés que p<strong>en</strong>dant la<br />

Corpus Fictif © Agnes Mellon<br />

Sequ<strong>en</strong>za des rires irrépressibles fus<strong>en</strong>t, <strong>en</strong>fl<strong>en</strong>t…<br />

et ne cesseront plus ! Le public sage de la musique<br />

contemporaine a fait péter ses verrous<br />

grâce à la loufoquerie retrouvée de partitions<br />

des années 70, irrévér<strong>en</strong>cieuses, mais jouées<br />

aujourd’hui comme des messes grises. Là leur<br />

comique éclate, sans perdre une miette de la<br />

précision musicale, mais <strong>en</strong> retrouvant le<br />

«corpus» et la «fiction» qui <strong>en</strong> font <strong>en</strong>fin une<br />

matière vivante…<br />

Le 26 janvier place à L’histoire du soldat. Télémaque<br />

y revi<strong>en</strong>t après l’avoir souv<strong>en</strong>t intégré<br />

à ses programmes mais sa version 2013 du<br />

conte musical, par sa mise <strong>en</strong> scène intimiste,<br />

r<strong>en</strong>d au chef-d’œuvre du siècle dernier sa<br />

fausse légèreté. Une configuration fidèle à la<br />

version «chambriste» et à la volonté initiale<br />

de Stravinsky et Ramuz, pour un spectacle qui<br />

r<strong>en</strong>oue avec l’esprit du théâtre de tréteaux. La<br />

musique suit et comm<strong>en</strong>te les péripéties de<br />

Joseph, victime malgré lui d’un pacte fausti<strong>en</strong>.<br />

Quand le jeune militaire <strong>en</strong> permission troque<br />

son modeste violon contre un livre magique,<br />

c’est <strong>en</strong> réalité son âme qu’il concède à cet<br />

inconnu aux démoniaques arrière-p<strong>en</strong>sées.<br />

Récitants habités par leurs personnages respectifs<br />

-le soldat, le diable et le narrateur-,<br />

R<strong>en</strong>aud-Marie Leblanc (qui signe égalem<strong>en</strong>t<br />

la mise <strong>en</strong> espace) et Brigitte Peyré donn<strong>en</strong>t<br />

littéralem<strong>en</strong>t vie au texte de Ramuz. Créée au<br />

l<strong>en</strong>demain de la Grande guerre, L’histoire du<br />

soldat, derrière la fable naïve, interroge sur la<br />

notion de bonheur, le s<strong>en</strong>s de la richesse, les<br />

effets du temps et de l’éloignem<strong>en</strong>t. Des questionnem<strong>en</strong>ts<br />

pim<strong>en</strong>tés par une partition<br />

primesautière, rythmiquem<strong>en</strong>t très virtuose et<br />

mélodiquem<strong>en</strong>t colorée, interprétée avec subtilité<br />

et lyrisme, sur des tempi plus que risqués,<br />

qui pass<strong>en</strong>t comme sans effort : Télémaque a<br />

joué cette Histoire plus de 50 fois…<br />

JACQUES FRESCHEL ET THOMAS DALICANTE<br />

Émerg<strong>en</strong>ce de la matière<br />

Pour sa 2 e édition, Reevox, temps hivernal du<br />

GMEM dédié aux expéri<strong>en</strong>ces électroniques, a<br />

offert un terrain d’expression à une génération<br />

héritière des Pierre originels : Schaeffer & H<strong>en</strong>ry.<br />

Cinq «élèves» de la classe de musique électroacoustique<br />

du Conservatoire de Marseille<br />

dirigée par Pascal Gobin sont passés à la<br />

console de mixage, pour diffuser, spatialiser<br />

sur haut-parleurs leur matériel sonore. Si les<br />

trames profondes, vagues ondoyantes et orgue<br />

diffracté de Luci<strong>en</strong> Gaudion évoqu<strong>en</strong>t Les<br />

Poulpes, Abysses de Viviane Riberaiga, polyphonies<br />

de mots devinés, chuchotés, itératifs,<br />

affiche un discours plus <strong>en</strong>gagé sur la cruauté<br />

urbaine. Dans cette pléiade tr<strong>en</strong>t<strong>en</strong>aire, une<br />

jeune artiste n’att<strong>en</strong>d point le nombre des<br />

ans : à 17 ans, Juliette Lay mêle sons concrets<br />

et synthétiques pour une féminine Psychée,<br />

corde vibrante métamorphosée au gré d’impacts<br />

sourds, scratch et ondulations… Le geste<br />

minimaliste de Nicolo Terrasi pénètre la voie<br />

osseuse avec ses infra-graves, avant d’hausser<br />

son continuum ?Verrà la morte e avrà i tuoi<br />

occhi ? (d’après Pavese) vers des fréqu<strong>en</strong>ces<br />

effilées… Peut-être aussi qu’à force d’errem<strong>en</strong>ts,<br />

pas à pas contrôlés, de Loïse Bulot et<br />

son énigmatique Ma’iàn, aurons-nous deviné<br />

une voie scintillante, fugace…<br />

Dans le concert suivant la voie est là : Pôm<br />

Bouvier écrit une Théorie des cordes qui explore<br />

le son de l’intérieur, comme une matière<br />

cellulaire qui <strong>en</strong>fle et évolue, construisant un<br />

discours et ouvrant des mondes, épais et lumineux,<br />

qui s’effondr<strong>en</strong>t et se reconstruis<strong>en</strong>t. On<br />

oublie de chercher d’où provi<strong>en</strong>t le son, son<br />

origine et comm<strong>en</strong>t il se trafique, pour y<br />

plonger…<br />

JACQUES FRESCHEL<br />

Ces deux concerts ont eu lieu au KLAP,<br />

Marseille, le 6 février

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